Maître Luc Martin Hounkanrin sur la révision de la constitution : «Même si le nouveau Président veut être vertueux et humble, il ne le pourra pas »
LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE QUI SERA ELU EN AVRIL 2016 NE SERA PAS PLUS VERTUEUX QUE SES PREDECESSEURS
Comme chaque citoyen béninois, j’aspire à l’élection d’un nouveau Président de la République en Avril 2016. Cette aspiration découle de la constitution du 11 Décembre 1990.
Mais ne nous y trompons pas, quel que soit l’homme qui sera élu, en Avril 2016, il ne sera pas plus VERTUEUX que ses prédécesseurs.
Et pourquoi ?
L’évidence aujourd’hui après 25 ans environ d’expérimentation de notre constitution est que, celle-ci ne permet pas un réel développement dans une cohésion nationale et une paix véritable dans notre pays.
Le constat réel est que tous les Présidents de la République de l’ère du renouveau démocratique sont des patriotes qui ont toujours voulu faire développer le pays dans la cohésion, la paix et la prospérité.
Cependant, malgré leur bonne volonté et leur engagement, malgré les sacrifices consentis par chacun, les fruits n’ont pas tenus les promesses des fleurs.
Tous nos gouvernants, Président de la République, ministres, députés, présidents des différentes institutions, cadres, civils et militaires, gestionnaires des affaires de l’Etat, dirigeants des partis politiques, tous les gouvernés de notre pays, sont conscients de cette réalité-là, en tout cas, de l’inadéquation de nos institutions politiques avec nos réalités socio-culturelles et historiques.
L’une des causes premières de ce piétinement, depuis le 1er Août 1960 et singulièrement, depuis la conférence des forces vives de la Nation de Février 1990, est, il faut le dire, notre constitution du 11 Décembre 1990 qui a fait de l’institution du Président de la République, sans embage, un véritable Monarque.
A y voir de prêt, le Président de la République du Bénin a plus de pouvoir que le Président de République française ou le Président des Etats-Unis d’Amérique (USA).
Au Bénin, il n’y a pas de contre-pouvoir, il n’y a que le pouvoir ; or, il faut, comme le dit Montesquieu, que par la disposition des choses le pouvoir arrête le pouvoir.
En effet, le Président de la République, détenteur du pouvoir Exécutif, chef du gouvernement, détermine et conduit seul la politique de la Nation selon l’article 54 de la constitution.
Il nomme les ministres, les membres du gouvernement qui sont responsables devant lui seul. Le Président de la République nomme trois des sept membres de la cour constitutionnelle ; le Président de la cour Suprême, le président de la Haute Autorité de l’Audio visuelle et de la communication, le grand Chancelier de l’ordre national. Il nomme également les membres de la cour suprême, les ambassadeurs, les envoyés extraordinaires, les magistrats, les officiers généraux et supérieurs, les hauts fonctionnaires selon l’article 56 de la constitution.
En définitive, la réalité est que tous les pouvoirs sont concentrés dans les mains de la seule institution : le Président de la République.
Pourtant le Président de la République est, après tout, un homme, le premier citoyen du pays, mais après tout un homme de sang et de chair.
En tant qu’homme, il n’est pas infaillible. L’on sait que le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument. Dans le contexte socio-culturel, qui est le notre, où le peuple est majoritairement analphabète, où la crainte du chef est vivace, où l’idée du chef est que celui-ci a tout pouvoir pour décider de tout ce qu’il veut, comme il veut, on peut être tenté de dire que notre constitution du 11 Décembre 1990, place d’emblée à la tête d’une République, un Roi qui a droit sur tout, qui peut disposer de tout bien et même de la vie ou de la mort des individus, au lieu de se considérer comme un citoyen, le premier sûrement qui doit être respectueux du bien public et des libertés individuelles et collectives de ses concitoyens dans une République normale où il prête serment de respecter et de défendre la constitution que le peuple béninois s’est librement donnée (article 53 de la constitution).
Il est donc inutile à présent de rêver d’un homme idéal, d’un messie, d’un vertueux tout accompli, qui pourrait au lendemain des élections présidentielles de 2016, transformer le Bénin, par une baguette magique en un pays uni, prospère avec les faiblesses avérées de notre constitution actuelle. Même si le nouveau Président veut être vertueux et humble, il ne le pourra pas.
Nous sommes en politique, et non dans une église, une mosquée, un temple, une synagogue, etc. où la vertu est exaltée, où la crainte de l’être suprême fait naître la sagesse.
Ici, en politique, nous sommes sur le champ des intérêts croisés, où l’homme africain se fait vite Dieu, parce qu’il est de la nature de l’être humain qu’il est faillible, corruptible et même despotique.
Il est donc plus que jamais nécessaire et urgent de corriger cet état de chose en procédant à une révision en profondeur de notre constitution pour réajuster le pouvoir exécutif, renforcer la capacité de l’Assemblée Nationale à contrôler le gouvernement, rétablir le pouvoir judiciaire dans ses lettres de noblesse, transformer la Cour Constitutionnelle en une Chambre de la Cour Suprême, créer une Chambre électorale à la Cour Suprême, supprimer certaines institutions inopportunes, envisager le partage du pouvoir à côté de la séparation du pouvoir, créer des régions, limiter le mandat présidentiel à un (1), éviter l’émiettement des partis politiques, faire du Président de la République un arbitre et non un partisan.
L’atout majeur de la constitution de 1990 à conserver et à améliorer reste sa vision démocratique, qui doit être conservée et améliorée. Il est essentiel de souligner que les pères rédacteurs de notre constitution ont été très clairvoyants et inspirés en dotant notre pays d’un régime présidentiel, gage important de la stabilité relative que nous avons conservé jusqu’à ce jour. Un Président avec un Premier Ministre, issu d’un parti ou d’une coalition de partis, aurait entrainé certainement depuis, une rupture de notre processus démocratique.
Cependant, au regard du diagnostic sommaire qui est fait et tenant compte de ce que, nous constituons encore un Etat-Nation, fragile et très dépendant de la communauté régionale et internationale, il nous faut, pour nous en sortir, faire preuve de créativité, en opérant de manière hardie des réformes institutionnelles qui nous permettent de renforcer les bases de la Nation béninoise, solidaire, fraternelle, assurant la justice et l’égalité pour tous.
Cette créativité qui doit induire les réformes idoines, est la clef de bon nombre de nos problèmes. Elle incombe à la classe politique, et à l’ensemble du peuple béninois.
Citoyen et observateur du jeu politique, intéressé par le devenir de mon pays, je voudrais ici, ouvrir quelques pistes de réflexions autour de quelques réformes, que je trouve nécessaires et souhaitables.
Le prochain mandat du nouveau président, qui sera élu en Avril 2016 doit être, à mon avis, une période de transition qui permettrait la révision en profondeur de la constitution actuelle et la mise en œuvre de la constitution révisée en profondeur…
Ces réformes consistent à l’institution :
- D’un Président arbitre et non partisan.
- D’un mandat présidentiel unique de cinq (5) ans sans limitation d’âge.
- D’un programme loi-cadre de développement national qui sera la boussole de tout gouvernement quelque soit le mandat.
Ledit programme loi-cadre peut être réévalué en fonction du temps et des impératifs nouveaux du pays.
- Des régions
Ces régions peuvent correspondre aux six (6) anciens départements (Atacora, Atlantique, Borgou, Mono, Ouémé et Zou). Ainsi, le pays pourrait constituer six (6) grands pôles de développement sur la base d’une décentralisation conséquente.
- Des partis politiques départementaux et régionaux.
- Du partage du pouvoir entre régions en introduisant le principe la rotation du pouvoir au sommet de l’Etat.
La question politique fondamentale à solutionner reste chez nous, comme dans la plupart des pays d’Afrique, la garantie de l’alternance démocratique. La rotation du pouvoir politique reste, en attendant, l’évolution des mœurs, la solution adaptable à nos réalités pour éviter les frustrations et leurs corolaires qui sont les entraves au développement durable.
- D’un parlement bicaméral avec une chambre des représentants et une chambre des sages cooptés au niveau de chaque région.
- D’un réajustement du pouvoir exécutif.
Il est trop hypertrophié par rapport à celui du parlement, du pouvoir judiciaire et autres institutions. Ce déséquilibre est l’une des sources de la corruption et de ses effets pervers.
- D’un rétablissement du pouvoir judiciaire dans tous ses droits pour consolider la démocratie béninoise et bâtir un véritable Etat de droit.
Il importe de restituer à la Cour Suprême tous ses attributs afin qu’elle puisse bien jouer sa partition en toute indépendance du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif.
Dans ce cadre, la Cour Constitutionnelle peut être muée en une chambre constitutionnelle à la Cour Suprême. Une Chambre électorale de la Cour Suprême peut être instituée pour qu’il ne soit plus question de la CENA (Commission Electorale Nationale Autonome).
Par ailleurs, le ministère de l’Intérieur doit retrouver ses droits républicains en matière d’élections, avec pour seule autorité de contrôle de la Chambre électorale de la Cour Suprême.
La mission dévolue à la Haute Cour de Justice peut être désormais confiée aux tribunaux et cours.
En tout cas, la constitution étant la loi suprême de tout pays, c’est-à-dire le premier levier de développement de tout pays « le salut public est la loi suprême » (Salus publica suprema lex), disent les romains.
Il est impérieux de réviser notre constitution pour nous mettre à l’apprentissage d’une culture démocratique réelle, gage d’un développement durable et d’une réelle modernité.
Que visent, en définitive, ces quelques propositions ?
J’en cite quelques-unes :
- Mettre chaque citoyen et chaque région du pays en confiance, quant à la gestion du pouvoir d’Etat, objet de toutes les convoitises et de toutes les rivalités.
- Renforcer la cohésion de l’unité nationale.
- Renforcer la justice et la solidarité nationale.
- Réduire les incitations à la corruption.
- Réduire les charges de fonctionnement de l’Etat.
Tous ces facteurs incitatifs au patriotisme, au travail, à la paix feront du Bénin, un pays prospère, et moderne.
Maître Luc Martin HOUNKANRIN
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