Les vertus et les rigueurs du pardon
Pendant que nous sommes entrain de donner une sépulture à nos martyrs, il peut sembler prématuré de parler du pardon. Mais en face, il y a cette autre question : pourquoi attendre, attendre ne constitue-t-il pas un risque ? Car l'oubli n'est pas le pardon. La chose n'est pas aisée pour celle et pour celui qui a souffert en silence pendant de longues années. Toutefois, l'esprit voit bien qu'il faut en passer par là.
On ne peut pas demander aux autorités de la Transition de régler des questions aussi brûlantes et aussi étendues en 12 moins. En certains moments, il faut être réaliste. Vite fait bien fait, c'est seulement dans les contes. L'expérience montre que ce qui est fait à la hâte a toute chance d'être bâclé. Si on leur demande de faire vite, on sera comptable avec eux de la qualité du résultat. Nous devons accepter que la Transition a pour unique devoir de poser les bases pour le travail futur.
La Charte de la Transition lui a assigné cette mission. C'est pourquoi le délai de 12 mois a été compris par tous. Pour prendre une métaphore paysanne : ils ont 12 mois (11 mois maintenant) pour déblayer le terrain pour ceux qui viendront semer après. A moins que nous ayons loupé un épisode. Et le nous ici est approprié. Car à l'heure actuelle, les Burkinabè doivent se penser et se vivre en termes de « Nous ». Ce n'est pas parce que le citoyen n'est pas en responsabilité qu'il doit mutiler sa pensée. Nos réflexions doivent nourrir le travail des autorités que nous nous sommes données.
Ce qui ne nous donne nullement l'autorisation de tomber dans un travers sérieux : un travers que je nommerai la contestation permanente. Il a bien fallu la contestation pour faire tomber le régime précédent. Et dans cette affaire, je serais le moins innocent, moi qui ai attrapé la plume depuis de longues années. Il a fallu dire un gros NON. Qui ne se souvient du carton rouge du très regretté doyen Arba Diallo ? Je conviens que nous devons faire comprendre aux autorités de la Transition que c'est ton pied mon pied. Seulement, on ne peut pas valablement travailler dans un climat de crise permanente. Ce que je préconise, c'est à tout le moins une contestation de basse intensité pendant ces 12 mois. Aussi vertueux soit-il, dans le couple, aucun conjoint ne peut vivre avec une femme ou un homme qui n'a que des reproches dans la bouche.
Aux autorités de la Transition aussi de savoir limiter et le nombre et la flamboyance de leurs discours. Rien n'est pire que d'annoncer des actions, en sachant bien qu'on n'a ni le temps ni les moyens pour les réaliser. Ils ne sont pas en campagne. Ce qui devrait les dispenser d'avoir la bouche prometteuse.
Les vertus du Pardon
Nous sommes tous croyants. Et les différentes religions prônent le pardon. Les premières sourates du Saint Coran commencent par énoncer : « Bi smillai Arhamane Arahim ». (Au nom du Dieu Clément et Miséricordieux). Dans le Notre Père, les catholiques adressent ces suppliques au Créateur : « Pardonne-nous nos offenses, comme nus pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés ! » Et traditionnellement nos mères et pères nous ont enseigné cette maxime : « Dunii yaa Sugri » ! Traduction : c'est le pardon qui fonde la société des hommes. On peut certainement aller plus loin. Mais, très modestement et très prudemment, je laisse cette tâche à ceux qui sont plus qualifiés en ces matières.
Le vivre ensemble
Répétons-le : il n'est pas donné à tout le monde de savoir pardonner, même si on voit que c'est la condition du vivre ensemble. Le Mahatma Gandhi conseille que « Œil pour œil est une loi qui finira par rendre le monde aveugle ». On sent bien qu'il dit vrai. L'humain étant ce qu'il est, qui peut être certain de ne pas offenser ses semblables un jour ? Il nous faut donc en discuter. Voir ensemble comment la chose se peut. Solder un passif difficile. Pour ensuite instaurer plus sereinement d'autres modalités de fonctionnement. Des vérités douloureuses doivent être dites. Parce qu'il importe de situer les responsabilités et les manquements. Les uns auront le courage de reconnaître leurs torts. Les autres devront trouver en eux les ressources morales pour surseoir à la vengeance. Car, ce qu'il faut, c'est la justice.
La justice d'abord
Notre justice est décriée. Mais, est-ce vraiment à tort ? Dans un précédent écrit s'adressant aux juristes de notre pays, j'avais évoqué « l'usage d'un savoir diabolique ». Il paraît que la formule a choqué. Or j'entends persister. Tout simplement parce que dans la société moderne, la place de la justice est centrale. C'est sur ce corps social que l'on compte pour trancher les litiges. Si donc, le juge n'est pas neutre, le jugement est nécessairement faussé. Donc, pour que notre justice soit à même de faire le travail que l'on attend d'elle, elle doit elle-même être refondée. Ce qui est advenu au Ministre Adama Sagnon l'illustre parfaitement.
Nous voulons la justice car seul ce travail va réparer les torts subis par les uns et les autres. Chacun voit facilement qu'on ne peut parler de pardon, alors que le fautif jouit du bien de sa victime. On va essayer d'imaginer la chose. Un margoulin a profité de son entregent pour me prendre ma maison et ma voiture. Le matin, alors que j'attends le bus SOTRACO, je le regarde quitter ma maison dans mon véhicule. Comment pourrait-on me parler de pardon et de réconciliation alors que le tort que je subis persiste ?
Il y a plus grave. On a tué un parent. Du coup ses enfants perdent toute chance de réussir des études. En plus du chagrin, la veuve doit maintenant se débrouiller pour faire vivre la famille. Et un matin, les autorités convoquent cette pauvre femme dans un stade pour lui dire de donner son pardon à un type qui ne lui a pas demandé pardon, un type qui n'est pas nommé, un type obscur qui ne lui a pas dit pourquoi il veut son pardon. Pire, elle n'a même pas la garantie que ce type souterrain ne va pas recommencer ses méfaits. De telles situations ont été vécues par des Burkinabè devant nos yeux.
La journée nationale du pardon n'a pas connu grand résultat parce qu'on a choisi d'ignorer ces choses. Des choses simples, si évidentes que même les gamins comprennent dans les cours de récréation.
La vérité, la justice, la réconciliation
Ce slogan du collectif contre l'impunité reste valable. Une fois qu'on aura connu les dessous des différentes affaires, la justice dira s'il y a sentence ou pas, et si oui, quelle sentence. Mais le ton sera donné par les frères et sœurs mis en cause. Une repentance sincère, c'est cela seul qui ouvrira la voie au pardon. On ne demande pas d'humilier quelqu'un. Car si on fait naître la haine dans les cœurs, rares sont ceux qui comprendront la démarche.
Notre devise nationale c'est Unité - Progrès – Justice. Tout est dit. Il nous faut l'unité pour construire notre pays. Aucun progrès ne viendra du désordre. Et s'il n'y a pas la justice, on ne pourra pas faire la paix des cœurs. Car c'est bien là l'objectif ultime : chasser les haines, instaurer des méthodes de travail donnant sa chance à tout enfant du Burkina Faso. Ne plus permettre que ceux qui photocopient sans espoir les dossiers de demande regardent prospérer ceux qui savent faire des « anffiaires ».
Sayouba Traoré
Écrivain, Journaliste
via leFaso.net, l'actualité au Burkina Faso http://ift.tt/1yWsQSR