Les héros de l'insurrection (n°11) : Issouf Zoungrana
Notre héros du jour c'est Issouf Zoungrana, Président de l'association Action pour le civisme et la démocratie et par ailleurs Vice- Président du conseil régional des organisations de la société civile de la région du Centre. Economiste gestionnaire de formation mais « acheteur de profession » comme il préfère être appelé, il travaille pour le compte d'une multinationale qui a une représentation au Burkina Faso. Récits d'un témoin de l'insurrection populaire qui a conduit à la chute du président Blaise Compaoré.
Lefaso.net : Comment avez-vous suivi l'insurrection au Burkina Faso ?
Issouf Zoungrana (I.Z.) : Il faut dire qu'on a pris part aux différentes marches à l'appel du chef de file de l'opposition. Et nous avons suivi l'évolution des choses jusqu'à la marche du 28 (octobre 2014, ndlr) et même celle des syndicats le 29. Le 30, comme tous les Burkinabè conscients de la gravité de la situation, nous sommes sortis. Ce jour- là, je me souviens que dès 06 heures j'étais au niveau de l'axe Est de l'Assemblée nationale, c'est – à- dire le boulevard Charles De Gaule. Nous avons dû lutter là-bas avec les forces de l'ordre pour pouvoir atteindre l'Assemblée nationale mais nous avons fait face à la résistance de la Gendarmerie nationale qui à dû replier quand l'Assemblée nationale a été prise par les manifestants. Et quand nous avons voulu avancer après le repli de la Gendarmerie, nous avons été bloqués peu avant le domicile de François Compaoré (petit frère du Président, ndlr). Nous y avons été empêchés de passer par des hommes armés qui tiraient à balles réelles. Nous avons essayé à maintes reprises de passer mais nous n'avons pas pu. C'est le lendemain après la démission du chef de l'Etat que cet espace- là a été libéré. Le 31 également nous sommes ressortis cette fois- ci pour demander aux militaires de prendre leurs responsabilités parce que pour nous il n'était plus question qu'après avoir fait tirer sur la foule, le Président Blaise Compaoré continue de diriger ce pays- là.
Lefaso.net : Cette insurrection, on le sait a fait de nombreux morts. En avez- vous enregistré dans vos rangs ?
I. Z. : Dans nos rangs directement, non ! Par contre, sur place chez François Compaoré, je sais qu'il y a plusieurs personnes qui sont tombées. Je ne voudrais pas me prononcer sur le chiffre mais j'ai personnellement vu deux morts sur place, mais les informations qui nous parvenaient faisaient état de six morts.
Lefaso.net : Que pensez- vous de la décision des nouvelles autorités d'organiser un deuil national en la mémoire de ceux qui ont trouvé la mort dans l'insurrection ?
I. Z. : Moi je pense que ce n'est que justice. Ce n'est que justice parce que ces gens- là sont sortis et ont payé de leur vie pour que les autres triomphent. Personne actuellement ne peut dire qu'il a plus subi que ceux qui sont au cimetière. Je pense que honorer ces martyrs, ces combattants de la liberté n'est que justice.
Lefaso.net : Comment avez- vous accueilli la démission de Blaise Compaoré ?
I. Z. : A sa démission j'étais à la fois satisfait et déçu parce que, comme les Gabonais le disent, c'était une ressource et un modèle qu'on aurait pu utiliser s'il n'était pas allé jusqu'au bout. Il n'a simplement pas écouté et aujourd'hui il paie le prix de son entêtement. Un sentiment de joie, mais aussi un sentiment de regret parce qu'aujourd'hui quand vous regardez, au- delà de sa propre personne, il y a plusieurs personnes, plusieurs compétences autour de lui qui sont grillées. Ces personnes auraient pourtant pu servir le Burkina Faso et c'est l'un de mes regrets. Sinon pour le reste, c'est la démocratie qui a triomphé.
Lefaso.net : Pourquoi vous êtes- vous engagés dans ce combat- là ?
I. Z. : Le combat à un moment donné était devenu un combat citoyen. Vous avez dû observer ce qui se passait, que ce soit sur le plan économique, sur le plan politique,… à tous les niveaux de notre pays vous avez vu à un certain moment comment le pouvoir était ! C'était simplement la patrimonialisation du pouvoir, la gestion d'un clan, c'était vraiment des choses qui à un certain moment étaient inacceptables. C'est pourquoi en tant que citoyens burkinabè, nous sous sommes lancés dan cette lutte. Simplement.
Lefaso.net : Blaise Compaoré est parti, les tractations ont abouti à la mise en place des instances de transition, quelle appréciation faites- vous du processus en cours ?
I. Z. : Moi je suis sincèrement satisfait. Tout ce qui se fait actuellement ce sont des étapes prévues par la Charte de la transition, ce sont des structures prévues dans la charte. Vivement je souhaite que tout le dispositif soit mis sur place pour qu'on commence à travailler réellement et remettre le pays sur pied, c'est –à- dire gérer la transition et organiser des élections libres et transparentes pour un retour à une vie constitutionnelle normale.
Lefaso.net : Doit- on comprendre que vous êtes satisfait au stade actuel ?
I. Z. : Pour la mise en place des structures de la transition je suis satisfait. Mais la lutte continue parce que nous sommes dans une période transitoire. Donc il faut rester en veille et accompagner les autorités transitoires y compris à travers la critique, pour que la transition puisse se dérouler normalement.
Lefaso.net : Avez- vous des attentes particulières ?
I. Z. : J'attends que le gouvernement de transition organise les élections dans les délais prévus par la charte. J'attends également que ce gouvernement de transition profite de ce break pour verrouiller un certain nombre de choses qui vont permettre au Burkina Faso de rester durablement un Etat démocratique. Je pense par exemple à l'article 37. Il va falloir le verrouiller davantage pour qu'il ne vienne pas à l'idée de quelqu'un de le déverrouiller. Il faudra aussi un certain nombre de réformes au niveau de la justice. Vous savez que ce qui est arrivé au Burkina Faso l'est en grande partie parce que ça n'a pas bien fonctionné à ce niveau. Parce que vous avez plusieurs dossiers qui étaient en suspens au point qu'à un certain moment, plus personne n'avait confiance en la justice. Donc il faut qu'on œuvre pour que la justice burkinabè soit indépendante. Aussi, de 1987 à nos jours il y a eu beaucoup de crimes, beaucoup de choses se sont passées. Donc moi je crois qu'une structure comme la commission vérité justice et réconciliation doit être mise en place pour connaitre de ces questions au cours de la transition, quitte à passer le relais au gouvernement qui sera issu des élections de 2015. Donc il y a un certain nombre de défis qu'il faudra absolument relever au cours de la transition.
Lefaso.net : Faut- il entendre par là que vous êtes pour le jugement des anciens dignitaires ?
I. Z. : Je crois que la justice devra simplement faire son travail.
Lefaso.net : Quelque chose vous reste t- il sur le cœur ?
I. Z. : C'est inviter tous les Burkinabè à s'intéresser aux questions publiques ; inviter tous les Burkinabè à accompagner ce processus de transition parce que c'est une lourde mission que nous avons confiée au chef de l'Etat, au Premier ministre, aux membres du gouvernement et aux membres du conseil national de transition. J'invite vraiment les Burkinabè à être compréhensifs et surtout à n'avoir qu'une seule considération en tête : l'intérêt du Burkina Faso. Que Dieu bénisse le Burkina Faso.
Propos recueillis par Samuel Somda
Lefaso.net
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