Projet de mise en affermage de trois hôpitaux de zone : Les prémices d’une révolution sanitaire au Bénin ?
Un nouveau vocable a cours dans l’univers politico affairiste béninois depuis le 19 octobre dernier : « Mise en affermage ». En effet, au cours de son dernier Conseil des Ministres, le Gouvernement béninois a décidé, pour des raisons d’efficacité, de performance et d’efficience, de mettre en affermage les trois hôpitaux de zone de Djidja (Djidja, Abomey, Agbangnizoun), Covè (Covè, Ouinhi, Zagnanado) et Djougou (Djougou, Copargo, Ouaké). Ce nouveau vocable et le concept y associé alimentent depuis lors les échanges sur les réseaux sociaux. Au-delà des passions politiciennes qu’elle déclenche, l’initiative du Gouvernement a le mérite d’ouvrir les yeux des Béninois sur une problématique sensible et hautement sociale souvent ignorée : la politique sanitaire du Bénin. L’absence d’informations cohérentes et fiables, chacun laisse libre cours à son imagination. Ainsi depuis quelques jours le Gouvernement est-il l’objet de bien des procès d’intention. Et pourtant, en essayant de voir la réalité en face on devrait convenir que face à l’ampleur que prend la problématique de la couverture sanitaire, la décision du Gouvernement ouvre peut-être une nouvelle ère pour le pays et surtout pour les malades.
L’affermage, selon le site Sieg.unblog, est un contrat par lequel une personne publique (autorité affermante) confie l’exploitation d’un service public, pour une durée déterminée (généralement moins longue que celle d’une concession, du fait de l’absence de capitaux à amortir), à un fermier librement choisi (…). L’Administration finance les frais de premier établissement (le fermier n’avançant que le fond de roulement), et met éventuellement à la disposition de son partenaire les ouvrages nécessaires à l’exécution du service. Le gestionnaire exploite l’activité à ses risques et périls, perçoit directement des redevances sur les usagers, mais doit acquitter un fermage, d’un montant prédéterminé par le contrat, à la personne publique (son bénéfice étant donc égal à la différence entre ces deux sommes). S’il appartient au fermier d’entretenir les ouvrages qui ont été mis à sa disposition, les travaux de renforcement et d’extension sont à la charge de la collectivité affermante». La notion française d’affermage rentre dans la catégorie européenne de la concession mais se limite au cas où le prestataire (le « fermier ») se voit confier le soin d’exploiter à ses risques et périls un équipement/une infrastructure déjà construit ; il se rémunère également directement auprès des usagers. Les équipements remis au fermier restent la propriété de la collectivité.
Une décision pragmatique
Vu sous cet angle, la décision du Conseil des Ministres a pris une décision salutaire qui n’a rien à voir avec les arguments de bradage évoqués, sans doute de manière plus partisane par d’aucuns. Et plusieurs raisons peuvent être évoquées pour soutenir notre thèse.
Premièrement il y a le constat même fait par le Gouvernement et contenu dans le Communiqué publié par le secrétariat Général du Gouvernement : « Trois hôpitaux de zones, construits respectivement à Djidja, Covè et Djougou, et équipés depuis plusieurs années, ne sont toujours pas fonctionnels et sont livrés aux intempéries. Le projet de concession de la gestion desdits hôpitaux initié depuis 2015 n’a malheureusement pas abouti, ce qui risque à terme, d’accélérer la dépréciation des installations.
Pendant ce temps, les populations bénéficiaires continuent de souffrir des difficultés liées à l’inaccessibilité aux soins. Prenant la mesure de cette situation, et se fondant sur la communication conjointe du Ministre de l’Economie et des Finances et du Ministre de la Santé, le Conseil a autorisé le principe d’un appel d’offres en vue de mettre lesdits hôpitaux en service, par affermage. » En prenant sa Décision, le Gouvernement a donc non seulement visé la nécessité de sauver les meubles en ce qui concerne les installations, mais aussi la santé des Populations, lesquelles n’ont pas d’autres alternatives que de s’en remettre à la fatalité à défaut de se déplacer. Si la décision du 19 octobre arrivait à être concrétisée, il est indéniable que tout le monde y gagnerait : l’Etat lui-même qui ne sera plus être obligé d’aller chercher ailleurs les ressources pour amortir les coûts des infrastructures et l’équipement ; les populations qui auront des centres de santé de type moderne et adaptés à leurs besoins.
Résoudre l’équation technique et limiter les évacuations sanitaires
Deuxièmement, au-delà de ce qui saute à l’œil, il y a que cette décision ouvre des perspectives qui pourraient s’avérer intéressantes lorsqu’on se situe sur l’angle de développement. En effet, nul n’ignore la déliquescence de la carte sanitaire nationale. D’ailleurs si ces hôpitaux construits pour des populations des zones reculées se retrouvent non fonctionnels des mois plus tard, avec des risques de dégradation des équipements chèrement acquis, c’est justement parce qu’un problème se pose. Il a peut-être nom ; absence de planification stratégique et opérationnelle. Même si ces dernières années des efforts ont été faits dans le sens d’atteindre les Objectifs du Millénaire du Développement, force est de constater que d’énormes équations restent à résoudre parmi lesquelles la fuite des cerveaux et sa conséquence directe qui est l’incapacité de nos centres de santé à prendre en charge de bout en bout certaines pathologies au grand désespoir aussi bien des patients que du personnel médical. Inutile de déplorer que même le Centre national Hospitalier Hubert Koutoukou MAGA, n’arrive pas toujours à assumer efficacement un minimum de sécurité aux dialysés. Côté cardiologie, impossible de réaliser une cardioscopie qui rassure. Non pas par manque de volonté du personnel médical, mais par défaillance technique management peu rassurant du capital humain. La pratique des évacuations sanitaires, si elle permet à une certaine élite de se tirer d’affaires, s’avère très coûteuse avec un taux de satisfaction plutôt sujet à débats. Mais comment pouvait-il en être autrement lorsqu’on se rend compte qu’à l’heure actuelle il est impossible de réaliser l’IRM au Bénin ? Quelle crédibilité pour nos centres de santé dans ces conditions et quel sérieux accorder aux pouvoirs publics dans ce secteur de la gouvernance ?
Face à une telle grisaille, la mise en affermage des hôpitaux de zone énumérés ne peut que susciter un brin d’espoir : celui de voir des opérateurs privés avertis investir le secteur avec l’implication active de l’Etat pour exploiter à fond les possibilités qu’offrent ces hôpitaux dotés de plateaux techniques modernes à en croire le Ministre d’Etat Pascal Irénée KOUPAKI lors de son point de presse du 19 octobre dernier. Ce sera peut-être le début d’un parfait partenariat gagnant-gagnant entre l’Etat et des opérateurs privés désireux de s’investir dans le secteur de la santé. Pour ce faire, le Gouvernement doit éviter toute précipitation, et surtout s’assurer de précautions usuelles en guise de garanties. Entre autres il serait souhaitable de :
- Voir de plus près ce qui se fait dans la sous-région (Côte-d’Ivoire, Sénégal, voir Gabon) ;
- S’informer sur les expériences réussies de partenariat public-privé en matière sanitaire notamment dans le cadre d’une mise en affermage ;
- Adopter une politique volontariste d’accompagnement des efforts des privés à travers par exemple le renforcement des capacités d’intervention aussi bien pour ce qui est des expertises qu’en ce qui concerne les plateaux techniques ;
- veiller à la modulation des couts de certaines prestations pour certaines catégories de citoyens (le revenu moyen annuel pourrait être un facteur à prendre en compte)
- Mettre en œuvre le RAMU ou veiller à assurer aux populations, quelle qu’elles soient une prise en charge sanitaire lui permettant d’avoir facilement accès aux différents services.
Comme on peut le constater, si elle est bien conduite, cette initiative de mise en affermage des hôpitaux de zone ne peut que profiter aux Béninois. Car elle apporte une plus value dans ce secteur vital où se crée les inégalités de par l’incapacité de l’Etat à assurer une véritable santé pour tous.
Une contribution de Agapit Napoléon
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