Tribune – « Gouvernance de l’administration publique : Pourquoi la loi 081 est très très mauvaise ? »

Publié le vendredi 9 septembre 2016

Dans cette déclaration, Ousmane Djiguemdé dissèque la loi 081 portant statut de la Fonction publique au Burkina Faso. 

On ne peut pas avoir contribué à déstructurer l’Administration publique dans ses principes (par les raccourcis d’accès aux emplois publics), dans son fonctionnement (par le travestissement des processus décisionnels) et dans son contenu (par sa politisation, la gestion et la promotion par des voies autres que le mérite et la compétence), puis prendre le pouvoir pour espérer dérouler allègrement et en toute quiétude son programme politique ! C’est une illusion qui vous rattrape forcément et les RSS[1] sont en train de le vivre.

Par patriotisme, nous leur avons dit, aux RSS et au Premier Ministre, aux premières heures de leur régime, et ce malgré l’avis contraire d’un des leurs, que s’ils ne prenaient pas en main l’Administration publique, à travers une réforme courageuse dont une proposition concrète leur est parvenue, il leur sera difficile de dérouler un programme quelconque, bien ou mal ficelé. Le résultat est là !

Non seulement ils n’ont pas eu l’adhésion des agents publics pour leur apporter, dans une collaboration franche et sincère, l’expertise nécessaire pour élaborer des politiques publiques pertinentes, pire ils ont trouvé en face d’eux, par leur entêtement et le mauvais exemple qu’ils donnent avant et après leur élection, un mur qui ne fait que se durcir dans le temps, et qui préfigure un échec que la Transition leur a préparé sur un plateau d’or, à travers la poursuite de la relecture de la loi no 013-98/ADP, entamée dans un autre contexte, sur des bases fixées par un gouvernement en mal de légitimité, et qui a fini par accoucher d’un texte biaisé dans ses processus, avec un contenu loin d’être celui qui peut garantir la bonne gouvernance administrative.

Pourquoi la loi no081-2015/CNT du 24 novembre 2015, portant statut général de la Fonction publique d’État, est très mauvaise pour la gouvernance administrative au Burkina Faso ?

Appuyons-nous sur deux points essentiellement, pas sur la question de la rémunération qui, quoi qu’on dise, ne saurait satisfaire qui que ce soit, au regard de la nature humaine elle-même, et des possibilités de l’État. Même aux USA, pour s’en sortir, nos compatriotes qui y vivent le savent, il faut plusieurs emplois pour joindre les deux bouts.

Du reste, pour l’aspect rémunération, nous avions déjà démontré dans une tribune intitulée « relecture de la loi 013 : entre trahison et piège présidentiel », parue en novembre 2015 dans plusieurs médias en ligne, que cette réparation n’allait pas être à la hauteur des attentes des uns et des autres. Nous allons nous appuyer exclusivement sur les aspects de gouvernance pure, à savoir l’organisation et la responsabilisation des acteurs de l’Administration publique !

En effet, la nouvelle loi prend appui sur le concept de métier pour réorganiser l’intervention publique, à travers la professionnalisation des acteurs. C’est bien ! Ce qu’il faut effectivement savoir, c’est que, lorsqu’en 2006, la France introduisait dans le lexique administratif le répertoire interministériel des métiers de l’État (RIME) qu’elle venait d’élaborer, il s’agissait de faire de lui, au niveau interministériel, « l’outil de référence qui contribue à rendre plus lisibles les emplois de l’État et les compétences » qui leur sont associées, et ce, au « service d’une fonction publique de métiers en construction ». Très bonne chose !

Mais, en filigrane, les concepteurs du RIME français, qui ont reconnu que la réflexion sur le concept de « métier » devait encore être mûrie, même s’ils ont tenu mordicus à ce que le RIME soit « la représentation ordonnée, selon une liste arborescente, des emplois-référence », ont tout de même admis le caractère ambiguë de la notion de métier, compte tenu du fait qu’elle est à la fois commune et porteuse de sens très différents, malgré qu’il reste un concept évocateur, contrairement au terme “emploi-référence”. C’est cette raison essentielle qui les a poussés à l’écarter comme concept de travail pour construire le RIME, même s’ils l’ont utilisé finalement pour nommer le répertoire et communiquer sur l’outil.

Quand le DG de la Fonction publique, monsieur Francis Paré, dit dans sa communication sur la loi 081 que l’introduction d’une approche « métier » permet de disposer de statuts particuliers par regroupement de secteurs à activités similaires ou par famille professionnelle, en rupture avec l’approche « emploi » basée sur les textes d’organisation des emplois spécifiques par ministère », il est dans son droit et dans son rôle. Mais il est en retard d’une réflexion sur la France qui a rendu cette approche désuète.

Et quand il dit que cela permet non seulement de s’adapter facilement aux créations, fusions, scissions ou suppressions de départements ministériels en matière de gestion des ressources humaines, il est vite rattrapé par la situation dans certains ministères. Les difficultés actuelles que traverse le Ministère de l’Éducation nationale et de l’Alphabétisation (MENA), dans la démarche de scission/fusion des sous-secteurs de l’Éducation nationale, montrent, à suffisance, que l’approche RIME, encore imparfaite en France, est une voie sans issue pour le Burkina Faso, s’il reste le copier-coller imparfait auquel on assiste, puisqu’il ne sied pas au contexte actuel de notre pays.

Pourquoi l’approche RIME est-elle inapplicable dans le contexte actuel et dans les conditions que nous connaissons au Burkina Faso ?

Entre la version 2006 et la version 2010 du RIME français, les insuffisances ont conduit à certains correctifs majeurs. Ainsi, l’on a transformé le domaine de l’Administration générale en domaine d’Affaires générales qui veut que ce domaine regroupe les « emplois qui contribuent au fonctionnement général des services de l’État et de leurs établissements publics notamment dans les domaines de l’assistance administrative, des achats, du management de la qualité, de la documentation et des archives ».

Une telle option fait automatiquement des postes de secrétaire général, de directeur général, de gouverneur, de directeur, de haut-commissaire, de préfet, de chef de département, de chef de projet, etc., des emplois et non des fonctions. Ce qui est une absurdité !

D’autre part, la notion d’emploi-référence, conçus comme des « briques de base du répertoire sur lesquelles peuvent s’articuler les emplois-type des répertoires ministériels », repose sur la volonté d’identifier le « « plus grand dénominateur commun » d’activités, de savoir-faire et de connaissances par-delà les différences constatées entre les ministères et les situations concrètes de travail et ce, tout en restant réaliste ». Ceux-ci ont été déterminés par domaine fonctionnel, comme si l’amalgame entre l’emploi et la fonction était possible.

Dans ces conditions, tous ceux qui sortent par exemple Administrateur civil, sont obligatoirement destinés à être gouverneur, haut-commissaire ou secrétaire généraux de ministère ou institutions. Dans ces conditions aussi, tous ceux qui sortent par exemple, Inspecteur du Trésor, n’ont autre vocation que d’être cadre dirigeant d’administration centrale ou de service central du Trésor. C’est à ce niveau et dans beaucoup d’autres exemples de cette nature que se trouve la confusion entre emploi et fonction qui fait de cette démarche une approche contre-productive.

En effet, le RIME français ne reconnaît pas le métier, mais fait de l’emploi, « une référence servant de socle au repérage des emplois exercés dans un contexte donné ». On lui a préféré le concept de « emploi-référence ». Pourtant le législateur burkinabè a forcé pour introduire le métier : « Les fonctionnaires sont regroupés par métier, emplois et classes.

 L’ensemble des emplois d’une même administration ou d’un même service et nécessitant une qualification de même nature constitue un métier » (article 3, loi 081). Ce qui va le rattraper plus tard dans la mise en œuvre de la loi, comme on l’a vu plus haut avec « cette boîte à scorpions » qu’est le MENA, si l’on ne laisse pas le temps au concept « métier » de prospérer dans la réflexion pour proposer une perception plus consensuelle.

Dans la législation française, tout comme dans la législation burkinabè qui l’a imitée, la notion d’agent public est clairement définie et les droits et devoirs qui s’y attachent sont très précis. On sait par ailleurs que, même s’il y a une très faible possibilité de chercher certains profils de responsables publics parmi d’autres catégories de citoyens, c’est en général parmi ces agents publics que l’on va chercher ces responsables à qui l’on confie la mission de diriger une structure administrative. Ils deviennent ainsi des gestionnaires de structures administratives, donc des gestionnaires publics que les anglais appellent « public manager » ou managers publics.

Certes, ils peuvent y accéder par voie de sélection, conformément aux dispositions du décret n°2007-724/PRES/PM/MEF/MCPEA du 17 novembre 2007 portant modalités de désignation des membres des organes d’administration et de gestion des établissements publics et des sociétés à participation majoritaire de l’État qui dit, en son article 39, que le poste de Directeur Général des établissements publics de l’État, des sociétés d’État et des sociétés d’économie mixte à participation majoritaire de l’État est soumis à appel à candidature. Mais, dans la pratique, presque tous ces gestionnaires publics sont nommés par décret en conseil de ministre, décret simple ou par arrêté.

Mais en vérité, pour l’observateur avisé, on perçoit mal ce qu’il y a de compliqué, mise à part la volonté politique, à combler ce vide juridique pour définir, qui peut être appelé gestionnaire public, quelles sont les conditions d’accès aux différentes fonctions de gestionnaires publics, quels sont les droits, obligations et prérogatives attachés à chaque fonction de gestionnaire public.

Il s’agit, ni plus ni moins de changer les paradigmes pour introduire le concept de gestionnaire public dans notre législation et d’en faire un « métier de management de structure administrative », si l’on entend par « agent public » un « métier d’exécution du service public ». Il s’agit de rester dans la dynamique des avancées du plan Thémis et de l’évolution de la recherche sur le management public qui dispose déjà d’abondantes productions.

C’est la persistance dans l’erreur, la confusion entre emploi et fonction, le manque d’ingéniosité des français à tracer les limites entre agents publics et gestionnaires publics qui les ont conduits au tâtonnement sur la formulation du RIME. Le Burkina Faso ne doit pas tomber dans ce piège de la facilité de l’imitation de l’absurdité.

Sur le terrain de la gouvernance de l’Administration elle-même, il faut savoir que les administrations publiques modernes reposent sur trois (3) piliers essentiels : une évaluation, qui doit être de qualité pour favoriser une reddition de comptes, la plus exacte possible, afin d’induire les correctifs nécessaires à la préservation de la qualité de l’intervention publique. Sur ce terrain-là, la loi no081-2015/CNT n’a connu aucune avancée notable. On peut même dire qu’elle connaît une régression par rapport à la loi no013-98/ADP.

Elle aurait connu une quelconque avancée, si elle avait renforcé le processus décisionnel qui enclenche l’intervention publique, afin de le rendre plus collégial et d’en faire un principe de validité de la décision. Elle aurait connu une avancée, si elle avait renforcé le dispositif de l’évaluation, aussi bien des agents publics, des gestionnaires publics et des structures administratives, pour le rendre plus crédible, avec une périodicité et un processus de collecte de données, d’enregistrement et de traitements des résultats plus contraignants.

Elle aurait enfin connu une avancée si elle avait un dispositif plus pertinent de mise en œuvre de processus décisionnels capable de rétablir avec diligence et efficacité l’Administration publique, les agents publics ou les tiers dans leurs droits, tout en conservant la qualité de l’intervention publique. Sur ces aspects, elle garde un silence absolu.

Pourtant, la loi no081-2015/CNT aurait pu utiliser cette opportunité pour renforcer l’administration de la Fonction publique (titre IV) et l’organisation des carrières (titre V) en affinant ces titres pour prendre en compte ces aspects, afin de moderniser l’Administration publique. Mais, la plus belle femme ne peut donner que ce qu’elle a et il ne faut pas oublier que cette loi est né au forceps, dans une espèce de course contre la montre.

Elle a connu un contexte marqué plus par la volonté de réparer une injustice de traitement salariale avérée, qu’il fallait réparer à tout prix, même si elle n’y est pas parvenue, qui a fait qu’elle s’est éloignée largement de la modernisation espérée.

Au final, c’est une loi bancale qui ne satisfait ni les agents publics désillusionnés par le taux de la réparation du préjudice, ni l’Administration publique qui n’a pas réussi à moderniser la Fonction publique, ni les usagers et les citoyens qui sont toujours avides d’une reddition de comptes de qualité sur l’usage des ressources publiques et la mise en œuvre des interventions publiques. Ainsi, ce furent des ressources et du temps perdus dans d’interminables et improductives discussions.

Avec tout le malheur qui était prédit pour la gouvernance actuelle et qui se confirme, il ne sera plus possible, aux RSS et à toute autre personne qui viendrait à leur succéder, de gouverner ce pays sans un minimum de consensus. Ce n’est pas une question de politiciens ou de politique, mais de pragmatisme politique.

C’est pourquoi, en lieu et place de la conférence des insurgés, il faut une concertation plus large, sous la forme d’assises nationales sur l’État et la citoyenneté, pour déterminer ensemble quel type d’État conviendrait pour ce pays, et quel type de citoyen, nous souhaitons tous être réellement dans ce nouvel État, pour garantir un vivre-ensemble harmonieux.

Ce que International Crisis Group a dit, dans son Rapport Afrique N°240 du 6 septembre 2016 « Burkina Faso : préserver l’équilibre religieux », ne rassure point. C’est pourquoi tous les citoyens, tous les leaders d’opinion, de quelque obédience qu’ils soient, ont l’obligation, s’ils aiment encore ce pays, de s’impliquer dans cette affaire pour le reconstruire. À tous, nous disons : mieux vaut prévenir que guérir. À bon entendeur, salut !

Ousmane DJIGUEMDÉ

oustehit@hotmail.fr


[1] RSS signifie Roch, Salif et Simon, prénoms du triumvirat, formé de Roch Marc KABORÉ, Salifou DIALLO et Simon COMPAORÉ, qui gouverne le Burkina Faso depuis le 29 décembre 2016.


via L'Actualité du Burkina Faso 24h/24 http://ift.tt/2bXkB22