« Moi aussi je suis burkinabè », dixit Dr Wendyam Judicaël Aymar COMPAORE

Publié le vendredi 30 janvier 2015

La décision prise par les autorités de transition d'exclure les burkinabè vivant hors du pays du scrutin couplé présidentielle et législatives d'octobre prochain continue de faire des gorges chaudes. Le Président Michel Kafando a beau expliquer que ni les moyens, ni la logistique ne le permettaient à l'étape actuelle, certains continuent de crier à l'injustice. Depuis la France où il habite, Dr Wendyam Judicaël Aymar COMPAORE interpelle le Président de la transition et son Premier ministre. C'est dans la « lettre ouverte » ci- dessous.




Le vote est un droit civique fondamental dans toutes les démocraties. Selon l'International Institue of Democracy, 115 pays accordent le droit de vote à leurs ressortissants résidant à l'étranger. Les panafricanistes du siècle dernier ne concevaient le développement de l'Afrique qu'à travers son unification avec sa diaspora, ceci impliquant nécessairement la participation de cette dernière à la vie politique et économique des pays d'origine. Ceci dit, il est désormais de coutume dans la plupart des Etats démocratiques d'intégrer leurs diasporas dans divers scrutins, afin de respecter primo leurs propres normes constitutionnelles, mais secundo, d'inciter leurs ressortissants à l'étranger à participer au développement économique de leur pays d'origine.


En Afrique de l'Ouest, Ivoiriens, Sénégalais, Béninois et Maliens pour ne citer que ceux là, ne dérogent pas à ce principe constitutionnel. Force est de constater que le Mali dans des conditions de transition politique similaires au nôtre, sous la présidence de Dioncounda Traoré a tenu son pari en organisant une élection présidentielle libre, transparente, sans exclusive, prenant en compte les Maliens de l'étranger, respectant de ce fait leurs normes constitutionnelles.

Au Burkina Faso, depuis le 7 mai 2009 une loi a été consacrée par l'Assemblée nationale au vote des Burkinabé de l'étranger en ce qui concerne les scrutins présidentiels et référendaires et devrait entrer en vigueur pour compter de la présidentielle 2015. Depuis la mise en route de la transition politique qui dans son principe se veut inclusive, nous observons avec attention, mais surtout appréhension les mutations qui en découlent, en l'occurrence le débat sur le vote des Burkinabé de l'étranger. Serions-nous moins nantis en termes de capacités organisationnelles que Maliens, Ivoiriens, Béninois, Sénégalais, et autres peuples épris de démocratie, d'équité et de justice ? Pourquoi remettre en cause un acquis démocratique majeur qui émane de plus de deux décennies de lutte de plusieurs partis politiques et de personnalités de la société civile ?


Du Bien fondé du vote des Burkinabé de l'étranger


Le vote est par essence le premier droit civique commun à tout ensemble d'individus qui partagent la même citoyenneté. De l'histoire de la démocratie comme modèle par excellence de gouvernance, il a été observé des suffrages capacitaires, censitaires, mais jamais de suffrage discriminant selon le lieu de résidence.

Du reste, la participation des Burkinabé de l'étranger à la vie économique du Burkina est indéniable. Il est important de rappeler que la population du Burkina est estimée à plus de 16 000 000 d'habitants et le nombre de Burkinabé émigrés estimé à plus de 10 000 000. En d'autres termes plus d'un Burkinabé sur deux réside en dehors des frontières géographiques. Cette configuration démographique impose de nous une vision inclusive permettant de faire participer tous les Burkinabé sans distinction du lieu de résidence, au développement économique de notre patrie. Imaginons qu'au-delà des différentes transactions financières des émigrés à l'endroit de leurs familles restées au pays, l'Etat suggère leur participation à l'assiette fiscale par une contribution aussi symbolique soit- elle. Imaginons que cette contribution soit assujettie à la nationalité et donc, au renouvellement du passeport, à l'image du droit fiscal Américain. Imaginons par voie de conséquence que le budget de l'Etat soit multiplié par deux et permette d'instaurer une véritable protection sociale au Burkina. Le Burkina Faso est l'un des pays au monde qui comporte le plus d'expatriés par rapport à sa population intra muros et la vision du politique doit permettre d'intégrer cette diaspora comme véritable levier de développement économique.

Mais comment pouvons-nous toujours demander à nos compatriotes vivant à l'étranger de participer à la vie économique du pays si nous persistons à les exclure de la vie politique ? Le mérite du politique se mesure à sa capacité à imaginer pour le peuple un développement juste et équitable.


De l'illégalité de l'exclusion des Burkinabé de l'étranger


Dans un état qui se veut démocratique, l'arbitraire n'a pas de raison d'être ; pour ce faire il est impératif que les décisions politiques soient conformes à la loi fondamentale. A cet effet, rappelons les dispositions de notre code électoral en rapport avec le vote des Burkinabé de l'étranger :

- Article 42. Loi n° 019-2009/AN du 07 mai 2009 – Art. 1. Le corps électoral se compose de tous les burkinabè des deux sexes, âgés de dix huit ans accomplis à la date du scrutin, jouissant de leurs droits civiques et politiques, inscrits sur les listes électorales et n'étant dans aucun cas d'incapacité prévu par la loi.

- Article 17. Loi n° 019-2009/AN du 07 mai 2009 – Art. 1…. Hors du territoire national, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) prend les dispositions nécessaires pour l'organisation des scrutins référendaires et présidentiels dans les ambassades et consulats généraux du Burkina Faso.

- Article 52. Loi n° 006-2012/AN du 05 avril 2012 – Art. 1. Pour justifier son identité, l'électeur produit l'une des pièces suivantes : acte de naissance ou jugement supplétif d'acte de naissance, Carte nationale d'identité burkinabé (CNIB). Pour les Burkinabè résidant à l'étranger, ils doivent être immatriculés à l'ambassade ou au consulat général et présenter la carte consulaire.

- La charte de la transition stipule dans son article 22 : la participation des Burkinabé de l'étranger à l'élection présidentielle qui sera organisée sera conforme aux dispositions de la constitution et du code électoral.


Le vote des Burkinabé de l'étranger à l'élection présidentielle est inscrit dans la constitution depuis mai 2009 pour entrer en vigueur à compter de 2015. Il est donc une lapalissade de noter qu'une exclusion des Burkinabé de l'étranger devra nécessairement passer par une modification du code électoral et de la charte de la transition. Hors, si nous voulons être rigoureux avec nous-mêmes et surtout en phase avec notre moral, cette loi devra demeurer dans son état actuel. Pour mémoire, c'est une tentative de modification de notre loi fondamentale qui a été le corollaire direct des évènements de fin octobre 2014. Comment pouvons- nous défendre une chose et son contraire ? Pourquoi vouloir changer maintenant une règle éditée depuis 2009 pour laquelle opposition et société civile ont lutté depuis plus de deux décennies ?


De la faisabilité du vote des Burkinabé de l'étranger en 2015

Depuis l'entrée en vigueur de la loi pour le vote des Burkinabé de l'étranger en 2009, la CENI s'attèle à mettre en place le dispositif. Pour ce faire, elle a effectué au préalable différentes missions dans les Etats précurseurs en la matière pour s'enquérir de leur expérience. Ensuite, elle a ciblée 32 Ambassades et 9 Consulats généraux puis entamé l'installation de ses démembrements. Ainsi de Lomé à Abidjan en passant par Addis Abéba, de Paris à Washington en passant par Rome, la CENI a sillonné les différentes capitales où elle a procédé à l'installation de CEIAm (Commission Electorale Indépendante d'Ambassade) et de CEIc (Commission Electorale Indépendante de Consulat) tout en prenant en compte dans les différentes commissions des représentants de l'ex majorité et de l'ex opposition et de la société civile.


Concernant le corps électoral de l'étranger, les différents ambassades et consulats disposent indéniablement de listes primitives sur la base des cartes consulaires qu'ils établissent. Cette base de données qui est susceptible certainement d'être enrichie, ne pourra jamais être exhaustive. Il incombe alors aux différents démembrements de la CENI à l'étranger de s'inspirer de cette base de données afin d'établir des listes valides et authentiques tout en respectant scrupuleusement les critères du code électoral. Il suffira dans ce contexte pour la CENI de s'imposer l'objectif d'avoir une liste électorale crédible plutôt qu'exhaustive, des Burkinabé de l'étranger.

Est-il absolument nécessaire de rappeler que la présidentielle de 2010 au Burkina avait mobilisé seulement 1 000 000 de votants sur plus de 16 000 000 d'habitants ? (Seulement 6 Burkinabé sur 100 étaient allés aux urnes). Ce faible taux d'enrôlement et de participation aux scrutins nous place au même niveau que les autres pays d'Afrique Subsaharienne ; elle n'a pas empêché la validation des résultats par les observateurs nationaux et internationaux puisque le suffrage universel reste paré aux yeux de tous comme le meilleur gage de légitimité du pouvoir. En tout état de cause, la crédibilité du scrutin ne reposera pas sur les taux d'enrôlement et de participation, mais sur la validité des listes. La CENI à travers ses démembrements installés à l'étranger est sans nul doute compétente pour mener à bien cette mission.


« Il n'y a qu'une seule façon d'échouer, c'est d'abandonner avant d'avoir réussi » Olivier Lockert. L'incapacité d'organiser une élection transparente à l'étranger relève aujourd'hui d'un axiome ; il s'agit d'une question de volonté politique et subsidiairement d'organisation.

L'exclusion des Burkinabé de l'étranger à la présidentielle de 2015, n'est pas seulement illégale ; elle est inopportune, dénuée de vision politique, et obsolète dans une démocratie. Par conséquent, nous appelons l'ensemble des forces vives de la transition à réviser leurs positions, leurs certitudes. « Ce n'est pas le doute mais la certitude qui rend fou » Nietzsche.

Enfin, les Hommes passent, mais l'histoire demeure.

Excellences, Monsieur le Président, Monsieur le Premier Ministre « MOI AUSSI JE SUIS BURKINABE »


Dr Wendyam Judicaël Aymar COMPAORE

Médecin Urgentiste

Délégué CSBE Ile de France





via leFaso.net, l'actualité au Burkina Faso http://ift.tt/1yVE7V0