Gouvernement Zida : Réformer ou… Périr
Blaise Compaoré est parti mais le système Compaoré est toujours en place. Depuis la fuite de l'ex président, on assiste à des vagues de contestations contre certains de ses anciens dignitaires restés sur place. Même si ces contestations sont légitimes, notre peuple devra faire attention pour ne pas bondir sur l'ombre alors que la proie est tranquillement arrêtée. Le problème est bien plus profond.
Durant l'ère Compaoré, toutes nos institutions, notre économie, notre justice, nos lois, la culture politique, et une bonne partie des intellectuelles n'existaient que pour rendre gloire et consolider le pouvoir personnel de l'ex locataire de Kosyam. Maintenant que la poussière de notre insurrection populaire commence à tomber, il nous faudra sans passion ni émotion, démanteler froidement et méthodiquement le système Compaoré à travers des réformes. Le gouvernement Zida ferait donc œuvre utile s'il œuvrait dans ce sens.
Un gouvernement doit toujours s'attaquer à tout mal au sein de sa société en commençant par la racine. En coupant la racine, il coupe en même temps tout ce qui constituait une cause profonde, et résout ainsi le mal une bonne fois pour toute. A défaut, le remède consistera à des actions d'éclat, à des calmants qui ne s'attaqueront qu'aux symptômes tandis que le mal continuera de ronger la société. Par exemple, enfermer un Ousmane Guiro à la MACO, sera considéré comme un calmant si on ne prend pas la peine de réformer la douane et la justice pour que d'autres Ousmane Guiro n'apparaissent pas dans un future proche ou lointain. Avec cette période de transition, le gouvernement Zida a une occasion en or pour couper les racines de grands maux de la société burkinabè. Il s'agira pour lui de conduire cinq grandes réformes qui au final, permettront de refonder la société burkinabè pour une nouvelle direction. Ces réformes pourraient être d'ordre médiatique et public, politique, constitutionnel, institutionnel et économique.
1. Une réforme de l'espace médiatique et public : c'est la plus importante des réformes car une démocratie sans liberté d'expression devient un régime autocratique. Cette réforme doit libérer nos pensées et délier nos langues pour que le peuple burkinabè puisse enfin jouir de ses droits civils et politiques. Sous l'ère Compaoré, on a eu à faire à un monde universitaire muselé, ainsi qu'à une presse et des médias enchaînés avec pour conséquences la montée en puissance d'intellectuels moutons et l'apparition de griots dans nos organes de presse. La réforme devra faire en sorte que plus jamais dans notre pays, un journaliste ou un burkinabè n'ait à craindre pour sa vie, son poste, etc. pour s'être exprimé librement sur la gestion de la chose publique. Il nous faut par exemple « une loi Norbert Zongo » qui dépénalisera le délit de presse, et protègera le journalisme d'investigation.
2. Une réforme politique : L'objectif de cette réforme sera de faire en sorte qu'on ait des partis politiques d'idées et non de personnes. Par exemple, aucun président de parti politique ne devra accumuler plus de deux mandats électifs successifs à la tête de son parti. Elle règlementera rigoureusement la vie des parties politiques en élargissant l'espace politique, mais aussi en sévissant vigoureusement contre le nomadisme politique ainsi que les partis politiques fantômes qui n'existent que sur du papier. A défaut de démanteler le CDP qui a causé tant de peine et de mal à notre pays, il faudra la sanctionner en l'interdisant par exemple de participer à des joutes électorales pour X nombres d'années.
3. Une réforme constitutionnelle : elle limitera les pouvoirs de la branche exécutive de notre pays et fera en sorte que des contre-pouvoirs efficaces puissent voir le jour. Il faudra s'inspirer de l'Afrique profonde pour réécrire notre constitution. Par exemple, de la même manière que le Mogho Naaba ne cumule pas la fonction de chef de terre, notre président ne devra plus être en même temps le chef suprême des armées, de la magistrature, chef de l'État, chef du Gouvernement, etc. Aussi, la limitation du nombre de mandats doit être claire et bétonné. Un Président élu à la fin de son ou ses deux mandats n'est plus éligible à vie et aucun membre de sa famille immédiate ne pourra le succéder.
4. Une réforme institutionnelle : l'ex président avait assujetti toutes les institutions de notre pays à son pouvoir personnel et familial si bien qu'aucune d'elle n'osait rêver de/ou assumer son indépendance. L'objectif de cette réforme sera d'obtenir des institutions inclusives, pluralistes mais unitaires, et qui ne s'identifieront pas à un individu ou à un groupe d'individu. Cette réforme devra donc faire en sorte que l'indépendance de la justice, et des médias soit une réalité. Aussi, elle devra mettre l'armée au service du peuple et non d'un individu et permettre à l'administration de fonctionner de manière neutre et impartiale. Par exemple, aucun membre de la famille du Président ne devra occuper des postes de responsabilités clés ou de premier plan dans son administration. Dans tous les cas, la réforme institutionnelle devrait prévenir la concentration du pouvoir ou de l'autorité de l'État dans les mains de quelques individus.
5. Réforme économique : sous le régime Compaoré, le système économique bénéficiait à une poignée d'individus qui, utilisait leur pouvoir économique pour consolider leur pouvoir politique et étendre leur domination sur le reste de la société. Cette réforme économique devra réaffirmer le principe de l'utilisation des ressources du pays pour la satisfaction des besoins du plus grand nombre pour que cesse la pauvreté et les inégalités insoutenables. Ainsi, elle devra par exemple instaurer plus de transparence dans la gestion de l'industrie minière. Aussi, cette réforme doit garantir à tout burkinabè désireux d'entreprendre les mêmes droits, et les mêmes chances devant les opportunités d'affaires pour une concurrence saine et loyale. Il y a lieu donc de mettre un terme aux monopoles et passe-droits divers dont certains bénéficiaient dans les milieux d'affaires comme les banques, l'immobilier, les BTP, l'import/export, etc.
Pour la conduite de ces réformes, il sera souhaitable de faire attention à deux points. Premièrement, les juristes et les économistes ne devront pas avoir le monopole de la production de ses réformes. De la même manière qu'il ne faut jamais abandonner la guerre aux mains des seuls généraux, de cette même manière, ces réformes ne devront pas être le monopole d'une poignée d'initiés. Il sera judicieux de mettre en place des équipes pluridisciplinaires en faisant appel aux historiens, sociologues, philosophes, coutumiers, etc. ou toute autre personne qui connaît l'histoire de l'Afrique profonde, la société burkinabè, sa culture et son histoire politique pour contribuer.
Deuxièmement, on notera que malgré la réalité de la mondialisation, les institutions et réformes universelles ou passe-partout n'existent pas. En lieu et place du copier-coller, nos réformes devront prendre forme dans le substrat culturel et les systèmes de valeurs partagés par l'ensemble du peuple burkinabè. C'est pour cette raison qu'il faudra trouver une expertise burkinabè qui comprend cet enjeu, pour penser ces réformes. C'est à ce prix qu'on garantira notre indépendance de pensée et d'action.
Devant l'histoire, la performance du gouvernement Zida se mesurera par sa capacité à conduire l'ensemble de ces réformes (ou du moins à les initier), et non à des actions d'éclat d'arrestation de X ou Y, ou à l'organisation d'élections. L'argument selon lequel le vrai changement interviendra immédiatement après les élections manque simplement de consistance. En effet, la plupart des ténors de l'opposition actuelle traînent des casseroles de l'ancien régime. Une fois élus, il ne faudra pas s'étonner que ces derniers refusent de rouvrir certains dossiers et s'engouffrent dans la politique politicienne pour sécuriser leur réélection. Le gouvernement Zida a donc une occasion rêvée pour faire le ménage et poser les jalons pour le Burkina Faso de demain.
Somme toute, c'est la conduite et l'application intégrale de ces réformes qui fera que des François Compaoré, des Blaise Compaoré, des Asimi Kouanda, des Alizète Gando, des Ousmane Guiro, etc. ou des crimes crapuleux comme ceux du 15 octobre 1987 et de Sapouy n'auront plus droit de cité sur notre terre sacrée.
Gouvernement Zida, il faudra donc engager des réformes pour refonder la société burkinabè sinon, l'autre battant de l'enfer s'ouvrira sur notre pays comme l'a si bien dit le Pr. Laurent Bado.
Bernard Zongo
barkbigazongo@gmail.com
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