Côte d'Ivoire. De qui Simone Gbagbo est-elle le nom ?

Publié le mardi 30 décembre 2014


Il y a quelque chose d'enfantin dans le visage qu'on ne lui connaissait pas. Le regard est triste, presque apeuré. La photo est signée Loïc Gnago pour Reuters. Rien de la panthère noire à laquelle nous étions habitués ; rien de la passionaria qui pendant plus de vingt ans (dont dix années de « Première dame ») a été omniprésente sur la scène politique ivoirienne.




Entre le jour de Noël et la nuit de la Saint-Sylvestre*, l'actualité étant au point mort, la presse française s'est intéressée au sort de l'ex-Première dame de la République de Côte d'Ivoire : Simone Gbagbo. Son procès s'est ouvert le vendredi 26 décembre 2014. Pour « atteinte à la sûreté de l'Etat ». L'Etat en question étant bien sûr celui de Côte d'Ivoire ; ce qui oblige à relativiser les choses.


« Union, discipline, travail », la devise de ce pays est particulièrement carrée et correspond bien peu à son histoire à peine plus que cinquantenaire. L'union est bien malmenée depuis vingt ans et la mise en œuvre de la politique de « l'ivoirité » ; la discipline est une vertu que l'on y rencontre rarement, pas même dans les corps habillés qui, pourtant, l'ont érigée en « force principale » ; quant au travail, la Côte d'Ivoire s'est peu illustrée en la matière, si ce n'est en accueillant des bras, des jambes et des têtes venus d'ailleurs. Il n'y a aucune valeur « politique » dans la devise ivoirienne ; c'est sans doute un signe. Pas de liberté, pas d'égalité, pas de fraternité, pas de justice… Mais il est vrai que ceux des pays qui affichent des valeurs « politiques » dans leur devise nationale ne sont pas nécessairement les mieux lotis. En Afrique (mais le reste du monde n'est pas mieux loti), ils sont ainsi une dizaine à revendiquer la « justice » : du Bénin à la Tunisie en passant par le Burkina Faso, la RDC, le Gabon, le Ghana, etc. Pas sûr que cette valeur affichée soit une valeur respectée.


Voilà donc Simone Gbagbo devant ses juges. En compagnie de 83 personnalités proches de son époux, Laurent Gbagbo. Pour des faits qui remontent à 2010-2011 et qui sont caractérisés comme étant ceux de la crise post-présidentielle qui a fait, ne cesse-t-on de répéter sans que jamais une enquête sérieuse ait été diligentée, 3.000 morts. Sans compter toutes les victimes qui vivent encore avec le souvenir des blessures infligées, des viols subis, des règlements de compte perpétrés, des meurtres auxquels ils ont assisté…


2010-2011/2014-2015. Quatre ans après, tout cela semble lointain. Alors que la Commission dialogue, vérité, réconciliation (CDVR) a été une formidable arnaque (cf. LDD Spécial Week-End 0660/Samedi 20-dimanche 21 décembre 2014) et que la prochaine présidentielle doit se dérouler dans moins de dix mois, on peut s'étonner du timing choisi pour cette exposition publique de la faillite de la justice ivoirienne.


« Inertie », absence « d'indépendance », la justice ivoirienne, si tant est qu'elle existe (sa compétence, dans le domaine qui est le sien, est quasi nulle au-delà de toute considération politique), est incontestablement l'institution la plus délabrée de la République ivoirienne qui, pourtant, ne manque pas de monuments en ruine. « Alassane Ouattara persiste à promettre une justice impartiale mais a de plus en plus de mal à convaincre » a écrit Maureen Grisot dans Le Monde daté du samedi 27 décembre 2014. Jean-Louis Le Touzet, dans Libération (27-28 décembre 2014), donne une explication à cet entêtement : « Cette volonté de tenir le procès avant la fin de l'année colle avec la promesse faite par l'UE de débloquer 5 millions d'euros en appui budgétaire pour l'organisation d'une justice impartiale avant la fin 2014 ». Pas très glorieux tout cela !


Simone Gbagbo a été réclamée par la Cour pénale internationale (CPI) depuis février 2012 pour y être jugée pour « crimes contre l'humanité », aux côtés de son mari et de Charles Blé Goudé, la troïka de la haine et de la mort. Mais Abidjan s'est toujours refusé à la livrer, assurant être en mesure de la juger avec équité ; ce que ne manque pas de contester La Haye. « Mais c'est surtout par peur de troubles politiques qu'Abidjan se refuse à ce transfèrement, car livrer Simone Gbagbo à La Haye signifierait que le pouvoir devrait également donner des personnes liées à son propre camp, celui des vainqueurs, impliquées dans des crimes de sang », écrit Le Touzet dans Libération (cf. supra).


Justice ! Vous avez dit justice ? Bien évidemment, Ouattara n'a pas les moyens de juger équitablement Simone Gbagbo mais encore moins de livrer à la justice ceux qui, dans son camp, se sont illustrés durablement (et ce durablement prend aussi en compte le temps présent) dans toutes sortes d'exactions. Maureen Grisot raconte dans Le Monde (cf. supra) que ceux des FRCI - les ex-« rebelles » - qui sont convoqués par la justice se moquent de ces convocations dès lors qu'ils « sont, à un niveau ou un autre, protégés ».


Dans ce contexte, la présence de Simone Gbagbo devant ses juges laisserait penser que l'Etat de droit l'emporte enfin sur l'Etat d'exception en Côte d'Ivoire. Mais après quatre années en résidence surveillée à Odienné, dans le Nord de la Côte d'Ivoire, que peut-on espérer de ce procès ? Que faut-il en attendre ? Qui se souvient de « Simone la Terrible » ? Qui peut lire, aujourd'hui, sans frémir, le monumental ouvrage qu'elle a publié en 2007 (« Paroles d'honneur », éd. Ramsay et Pharos/Jacques-Marie Laffont – cf. LDD Côte d'Ivoire 0205/Mardi 6 mars 2007) à la veille de la signature de l'accord politique de Ouagadougou ? Ce livre de plus de 500 pages était déjà l'illustration de toutes les dérives d'un couple qui a instrumentalisé la politique et la religion au service de son ascension sociale.


Quand on en est à attendre le salut d'un homme (ou d'une femme) providentiel, c'est qu'il ne reste pas grand-chose des institutions humaines et que l'Etat s'est plus que jamais dilué du fait du comportement bonapartiste ou populiste de ceux qui sont sensés le diriger et l'animer. Cette dérive est propre à ceux qui prétendent gouverner en direct, du chef au peuple, en toute « liberté » et veulent se passer des institutions étatiques. L'histoire récente de la Côte d'Ivoire, c'est l'histoire de cette dérive.


Mais qui se souvient des propos tenus par Simone Gbagbo le samedi 15 janvier 2011, lors d'un meeting organisé au Palais du peuple à Abidjan ? La présidentielle 2010 venait de se dérouler dans des conditions plutôt satisfaisantes. Mais la tension entre les deux camps, celui de Gbagbo et celui de Ouattara, s'était exacerbée dès lors que les conditions de l'annonce des résultats (et tout le reste) avaient été contestées. ADO et son staff vont alors se retrouver ghettoïsés à l'hôtel du Golf. Simone va, ce jour-là, stigmatiser Ouattara, « le chef des bandits », un « allié du diable ». Avant d'affirmer : « Dieu gère, purifie, chasse et détruit. Il arrache les purulences. Regardez comment les masques tombent et comment les ennemis se dévoilent ». Son livre usait du même ton messianique : « Dieu nous [il s'agit d'elle et de Laurent] a donné l'ordre et la consigne de posséder notre pays. Le combat que les Ivoiriens mènent depuis plus de quatre ans pour s'approprier leur pays est un combat noble et béni de Dieu […] Seuls les Ivoiriens se donneront le dirigeant qu'ils veulent et leur choix sera celui de Dieu ». Voilà donc la vision de celle qui a été Première dame de Côte d'Ivoire. Mais ce n'est pas sa « vision » qui va être jugée ; ce seront ses actes. Malgré tout, c'est cette « vision » des choses qui a conduit la Côte d'Ivoire au chaos. Et sans doute aussi le fait que cette « vision » ait été celle d'une Première dame ; fonction, selon moi, anti-républicaine, mais qui perdure de jure ou de facto dans trop de républiques !


* Concernant la Saint-Sylvestre et la justice ivoirienne, je rappelle que la bousculade mortelle qui a eu lieu à Abidjan dans la nuit du 31 décembre 2012 au 1er janvier 2013 (cf. LDD Côte d'Ivoire 0386/Jeudi 3 janvier 2014) n'a, semble-t-il, jamais fait l'objet de poursuites à l'encontre des responsables malgré une soixantaine de morts et une cinquantaine de blessés et les promesses du Premier ministre ivoirien. Le ministre de la Justice, Gnenema Coulibaly, soulignera par la suite que le juge d'instruction a entendu 300 personnes dans cette affaire et que « le parquet et le cabinet d'instruction sont en phase avec les personnes à poursuivre », ajoutant que le procès du « drame de la Saint-Sylvestre » débuterait avant la fin de l'année judiciaire, en juin 2013. A ma connaissance, ce procès n'a jamais eu lieu.


Jean-Pierre BEJOT

La Dépêche Diplomatique




Lire aussi : "Paroles d'honneur"" : Ou quand Simone Gbagbo réécrit l'histoire de la Côte d'ivoire (1/5http://www.lefaso.net/spip.php?article19752]





via leFaso.net, l'actualité au Burkina Faso http://www.lefaso.net/spip.php?article62555