Les explications de la sociologue en formation, Philippine SONON : « La structure familiale a subi de profonds changements »
Dans le cadre de mieux comprendre le phénomène de la solitude que vivent les personnes du troisième âge, nous nous sommes rapprochés de Philippine Sonon, Doctorante et assistante de recherche en sociologie sur le campus de l’université d’Abomey-Calavi. Elle a donné son point de vue sur le phénomène en tant que citoyenne et ensuite en tant qu’observatrice attentive de la société.
Généralement en Afrique, en particulier au Bénin, les personnes âgées sont abandonnées. Selon vous qu’est ce qui explique ce fait ?
J’aimerais d’abord avant tout vous remercier de m’avoir associé à cette réflexion. Mes propos n’iront pas dans le même sens d’un jugement de valeurs mais je m’en tiendrai à décrire les faits liés à cette problématique et à donner mon opinion en usant d’une double casquette : je m’exprimerai à la fois en tant qu’individu et en tant qu’observatrice attentive de la société. Pour répondre je dirai que nous sommes dans une société en pleine refondation où on assiste impuissamment à la mutation des valeurs, à « l’émergence » de nouvelles valeurs. Donc je ne dirai pas que les personnes du troisième âge que j’appelle affectueusement « les patriarches » sont de tout temps abandonnées. Cela est arrivé avec les mutations sociales et les normes « importées » de l’extérieur. La structure familiale a subi de profonds changements. De la famille élargie (au sein de laquelle on observait le père, la mère, les neveux, les nièces, les oncles, les tantes, les grands-pères et les grands-mères…) on passe progressivement à la famille nucléaire ( composé du père, de la mère et des enfants ), à la famille recomposée (composé du père, de la mère , des enfants de l’un des conjoints ayant précédemment contracté un mariage , suivi de divorce et des enfants issus de la présente union etc…) On passe d’une vie communautaire à une vie fortement industrialisée, où les valeurs autrefois valorisées comme la solidarité, la tolérance et l’entraide perdent toute leur quintessence pour laisser place à de nouvelles valeurs. Ce qui fait que les faits actuels concernant les personnes du troisième âge sont observés dans notre société. On opte pour d’autres formules comme laisser le grand-père ou la grand-mère au village ou dans une maison de retraite.
Cette solitude dans laquelle se trouvent les personnes du troisième âge a quels impacts sur la société ?
Bon, on dit qu’en Afrique, une personne d’un certain âge constitue à priori, une mine d’or, je dirai une mine de connaissance. Or les mutations sociales actuelles ne favorisent pas toujours la transmission de cet héritage ; de ce paquet de connaissances aux jeunes générations. La plupart du temps ses personnes partent avec tout leur savoir. De plus notre société étant fortement analphabétisme en langue française comme en langue locales (le taux d’analphabètes en langue officielle étant de 52%, sauf erreur de ma part), ses connaissances ne sont toujours pas systématiquement consignées sous forme écrite, pour être utiles au bon fonctionnement de la société. Ce qui constitue dans une certaine mesure, une perte pour le développement du pays.
Quels comportements doivent avoir les jeunes envers cette catégorie afin qu’elle cesse de végéter dans l’ennui sans précédent ?
J’aimerais rappeler que je ne souhaite pas tenir des propos « moralisateurs » et dire ce qui doit être. C’est important de laisser la liberté aux autres de décider de leur vie. Toutefois j’invite humblement la jeune génération dont je fais partie à revisiter leur position vis-à-vis de cette catégorie de personnes. On n’est pas systématiquement inutile quand on est d’un certain âge…
Quelle est la part de responsabilité du gouvernement ?
Je crois que cette problématique interpelle beaucoup plus le niveau micro de notre société que le niveau macro. Cela concerne beaucoup plus la structure familiale. Néanmoins, l’appui du gouvernement aux structures et ONG qui militent pour la valorisation des personnes de cette trempe sera très productif, car il y a quelques ONG qui travaillent dans ce sens. La mise en place des structures étatiques décentralisées et le renforcement des capacités des acteurs de ces structures ne seront pas de trop.
Qu’avez-vous à conseiller à leurs enfants et à leurs petits fils ?
Je conseillerais simplement en tant que personne humaine, d’offrir de l’amour à cette catégorie de personnes, car là où il y a l’amour on est beaucoup plus productifs et rentables.
Propos recueillis par Serge Vissoh (stag)
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