Tribune – « Et si nous supprimions l’armée ? »

Publié le dimanche 11 septembre 2016

Koudraogo Ouédraogo a une idée: supprimer l’armée. Pourquoi ? Il s’en explique dans cette déclaration.

Voici un sujet sur lequel, je mène la réflexion depuis quelques années déjà. À quoi servent les 11 000 (sinon plus) hommes et femmes mobilisés en permanence et entretenus aux frais du contribuable ? En avons-nous besoin ?

Du rôle de l’armée dans un État

Le rôle de l’armée est de défendre le territoire national.

Il arrive que d’autres missions non liées à ce rôle lui soient confiées. Par exemple, au Burkina-Faso, le secourisme est confié à l’armée à travers la brigade des sapeurs-pompiers. En Europe (Angleterre, France, Irlande etc.) on voit les militaires faire du secourisme pendant les hivers, lorsque les inondations menacent les populations : ils construisent des digues, évacuent les populations, ravitaillent les fermes isolées, etc.

L’armée, c’est la clé passe-partout dans beaucoup de pays, et il est dommage qu’au Burkina, elle ne soit pas réquisitionnée pour récurer les caniveaux afin d’épargner les populations des inondations à répétitions, surtout maintenant que l’assainissement est un droit constitutionnel, et que l’État risque de longues poursuites judiciaires par les victimes des inondations pour violation de leurs droits fondamentaux !

L’armée peut être utile, cela ne souffre pas de débat, mais quels facteurs militent en faveur de sa suppression ?

L’absence presque totale de conflits inter-états

Le Burkina-Faso et le Mali sont les seuls Etats ouest-africains à être allés en guerre l’un contre l’autre depuis 1960. La « guerre de noël » en 1984 fut la dernière.

Ailleurs sur le continent, les guerres entre Etats sont aussi rares : en fait, hormis les guerres d’indépendance (Mozambique/Portugal et Namibie/Afrique du Sud), seulement deux autres conflits inter Etats peuvent être cités : la guerre Maroc/Mauritanie (1975) et plus récemment Erythrée/Ethiopie (1998)

L’inadaptation de l’armée à juguler des conflits internes

Si on peut noter avec satisfaction l’absence ou presque de conflits entre états, ce n’est pas le cas à l’intérieure même des états. L’époque contemporaine est marquée par une abondance des conflits internes : Liberia (1990), Sierra-Leone (1991), Guinée-Bissau (1998), Côte-d’Ivoire (2000), Mali (2012), pour ne citer que ceux-là.

Ces conflits internes ont mis à nu les carences des armées nationales qui se sont bien trop souvent retrouvées elles-mêmes divisées selon les lignes de démarcations des conflits, contribuant ainsi au problème plutôt qu’à la solution.

Du reste, la nature même des problèmes que soulèvent ces conflits internes requière des solutions politiques plutôt que militaires.

En effet, pendant longtemps, nous avons déploré la « balkanisation » du continent. Cependant, très peu de pays ont montré suffisamment de flexibilité lorsque certains nationalismes se sont manifestés. Peut-être que justement, la réponse à ces nationalismes est plus d’intégration régionale d’abord et africaine ensuite.

Beaucoup de critiques peuvent être faites à l’Union Européenne, mais très peu de gens renieront sa contribution à installer la paix dans l’union : la Corse, l’Ireland, les pays Basques, autant de mouvements indépendantistes armées qui ont déposé les armes pour aller à la table des négociations : pourquoi s’entretuer pour se retrouver dans la même union après ?

Concernant la menace islamiste, il faut noter que ce qui se passe en Syrie, au Nigeria et au Mali est plutôt exceptionnel : profitant de la faiblesse de l’État, ces mouvements ont vite conquis du territoire (l’État Islamique étant un parfait exemple), créant une ligne de démarcation permettant ainsi à l’armée d’intervenir. Leur mode opératoire cependant, s’apparente plus à ce que l’on peut voir en France, en Allemagne, au Burkina-Faso et en Côte-d’Ivoire ; des attaques terroristes ponctuelles limitées dans le temps et dans l’espace, relevant plus des services de renseignement et de police que de l’armée.

On se rappellera que la toute puissante armée britannique, l’une des plus expérimentées du monde et qui a beaucoup de succès, a dû s’asseoir à la table des négociations avec les islamistes en Afghanistan, après être arrivée à la conclusion qu’une victoire militaire ne serait point possible contre un ennemi qui n’avait que faire des méthodes conventionnelles de guerre.

En somme, l’armée n’est pas adaptée à ce nouveau type de conflit et par conséquent ne peut être que d’une utilité très limitées devant ces nouvelles menaces sécuritaires. En Grande-Bretagne justement, ce sont Scotland Yard (Police) et le MI5 (services de renseignements) qui sont au-devant de la lutte anti-terroriste. Aux USA, depuis les attentats du 11 Septembre, si l’armée américaine et la CIA ont ouvert des fronts à l’étranger, sur le territoire national, le FBI est celui qui est au-devant de la lutte anti-terroriste.

Manque d’équipement, de disciple et de motivation

Les problèmes d’équipement affectent toutes les armées de notre sous-région ouest-africaine. Même la puissante armée du Nigeria a dû se rééquiper avant de commencer à marquer des points contre Boko Haram. L’on ne peut pas passer sous silence le refus total de l’armée du Mali d’aller affronter les rebelles touareg, justement pour cause de manque d’équipements adéquats (en tout cas une des raisons données). N’eût été l’intervention des forces françaises, Bamako la capitale serait tombée aux mains des rebelles.

Les raisons de ce sous-équipements sont multiples : la faiblesse de moyens financiers, la corruption, l’inadaptation de certains équipements à notre environnent.

Les problèmes d’entrainement vont de pair avec ceux de l’équipement mais aussi de la discipline. Sans l’équipement nécessaire, il est difficile de pourvoir l’entrainement qu’il faut. Une armée qui n’est pas disciplinée ne peut pas réussir. On se rappelle l’ire des instructeurs américains de l’armée malienne au lendemain de sa déroute face à la menace touareg. Les seules choses qu’ils ont mis en cause était la discipline et la motivation. Il est difficile de motiver et discipliner une armée lorsque les recrues sont « appointées » par des politiciens véreux avec qui les officiers ont tissé des liens de complicités.

Les armées en Afrique de l’ouest ont toujours eu du mal à se soumettre à l’autorité politique civile. En fait le premier coup d’État en Afrique de l’ouest, intervenait dès le 13 janvier 1963 au Togo, soit moins de trois (3) ans après l’indépendance. Le dernière coup d’État ne date même pas encore d’une année, et intervint ici au Faso, le 16 Septembre 2015.

 A l’exception du Sénégal, tous les pays de l’Afrique de l’ouest ont dû faire avec les militaires à la tête de l’État, tant et si bien qu’un pays comme le Burkina n’en est à peine qu’à son deuxième président issu de la société civile depuis son indépendance ! Il n’y a pas meilleur exemple de cette indiscipline, que le cas du Gal. Y. Zida qui fait attendre le Président du Faso. Quel respect pourrait-il commander à ses troupes quand elles voient comment lui, il traite la plus haute personnalité du pays ?

Les menaces sécuritaires contemporaines

Nous avons déjà fait mention des conflits internes causés par les revendications à caractère nationaliste. À cela s’ajoutent les risques liés au terrorisme international, telle l’expansion du djihad islamiste à travers des affiliés comme Boko haram, AQMI, etc.

Une autre menace, nouvelle mais qui progresse très rapidement est celle causée par les narcotrafiquants d’Amérique latine en particulier. Il est bien connu que l ‘Afrique de l’ouest est désormais la zone de transit préférée pour acheminer la drogue vers l’Europe.

Finalement, géopolitiquement, l’Afrique de l’ouest, c’est tout de même 300 millions de consommateurs, et surtout des ressources minérales aussi. En poussant extrêmement les choses, on pourrait facilement imaginer un scénario ou les différents protagonistes de l’économie mondiale inciteraient la création de foyers de tension pour mieux s’approprier les ressources. Si cela se fait déjà au Congo, on peut bien l ‘envisager ici aussi.

Conclusion

En somme, pour l’effort que le contribuable consent, le tableau n’est pas très reluisant en presque 60 ans d’indépendance pour ce qui concerne les armées nationales.

De plus, la nature même des menaces auxquelles nos états sont confrontés a beaucoup changé depuis la création de ses armées nationales. La menace de déstabilisation aujourd’hui, du Burkina-Faso est plus forte des terroristes, narcotrafiquants et de la ruée vers les matières premières, qu’elle serait d’un pays voisin. Ces menaces relèvent à mon sens plutôt de la compétence des forces de police et de renseignement que de celle de l’armée. C’est pourquoi une suppression de l’armée pourrait bien être une alternative viable.

Aussi curieux que cela puisse paraitre, il existe beaucoup de pays qui ne possèdent pas d’armée : Le Costa-Rica, Haïti, la République Dominicaine, l’ile Maurice, L’Islande, etc.

D’autres pays comme la Suisse, Singapour n’ont pas d’armée de métier, c’est à dire que tous les citoyens forment l’armée.

Il existe donc des modèles que nous pourrions étudier ou imiter si nous voulions nous engager dans cette voie.

Toute suppression de l’armée, pour réussir devrait :

  • Etre décidée par le peuple souverain par referendum
  • Garantir aucune perte d’emploi : l’armée finit quand la dernière recrue va à la retraite. En Guinée-Bissau, elle a justement fait un coup parce que les politiques s’apprêtaient à la supprimer.

Même les pays riches, producteurs d’armements sont entrain de repenser l’armée et tous tendent à la faire plus petites, plus automatisées. Aux USA, en France, au Royaume-Uni les effectifs de l’armée ont été réduits, on utilise de plus en plus des drones pour effectuer certaines tâches allant jusqu’au bombardement, et la recherche en robotique pour construire le parfait soldat n’a jamais été aussi assidue.

Un pays importateur d’armement peut-il vraiment se défendre quand les puissances se réservent toujours l’option du nucléaire ?

Que perdrons-nous en supprimant l’armée au Burkina-Faso ?

Koudraogo Ouedraogo

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NDLR : Le titre est de l’auteur


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