Destitution des maires : Un frein au développement local (Comment y mettre fin ?)
Un virus social a atteint les communes et enlève les maires sans grand bruit. Trois sont déjà à la touche, une dizaine galope sans répit. Par contre, certains, de peur de perdre leur poste, sont devenus des fidèles fervents, abandonnant pour l’heure les questions de développement de leur commune. Ce qui constitue un frein au développement des communes du Bénin.
Les maires des communes du Bénin sont désormais de grands marathoniens. Ils sont, depuis que la vague de destitution a dévoilé sa fureur, chaque jour dans de longues négociations et parfois très difficiles. Les conseillers sont ainsi les maîtres des communes. Puisqu’ils sont désormais considérés comme de pierre précieuse. Plus important qu’eux n’existent plus dans les communes. Nombre de béninois cherchent à comprendre, la main noire ou la volonté de Dieu qui agite les communes. Mais toujours pas de preuve. Les conseillers n’ont qu’un reproche : « gestion solitaire du maire ». On ne pourra pas dit avec preuve les motifs de la destitution des maires. Et comme les textes l’autorisent, les maires d’Allada, de Parakou et de Bonou sont déjà déchus de leur poste. Dix autres sont sous le coup de la menace. Leurs fauteuils de maire tanguent comme une barque sur l’eau. A ces moments de détresse, tous les dieux sont loués et adorés avec ferveur. Ils sont soumis sous la tension et sont prêts à faire des promesses mirobolantes au détriment du bien-être de leur population. Si le maire d’Allada a pris par une bataille médiatique qui n’a pas pu aboutir, celui de Parakou s’est engagé dans toutes les négociations mais en vain. Avec ses mentors politiques, ils auraient promis des liasses. Et pourtant statu quo. Rien n’a changé. Celui de Bonou, bien qu’étant du parti politique le plus convoité du département de l’Ouémé, le Prd, a cédé son fauteuil contre toute attente. Ceux de Djidja et de Gogounou sont aussi dans les négociations. Mais, pour l’heure, leur destin serait scellé. Ils partiront à coup sûr, selon certaines discrétions. Ils ne seront pas les seuls, plusieurs autres sont ciblés. Le phénomène progresse et inquiète les acteurs du développement.
Le développent local au ralenti
La décentralisation aussi chère pour la population béninoise ne marche plus comme elle avait voulu. Dans les communes du Bénin, la préoccupation majeure des maires s’écarte à grand pas des questions du développement. Chacun d’eux pense à l’heure actuelle à comment maintenir son poste. S’ils ont dépensé des fortunes, passer des nuits noires avant de gagner leur poste, il est normal qu’ils se comportent ainsi. Mais, ils doivent reconnaître qu’ils sont élus pour le développement de leur commune. Plus rien ne marche comme prévu dans les communes du Bénin. Surtout celles qui sont déjà touchées par les menaces de destitution. Les projets de développements paraissent au ralenti. Puisque les premières autorités pensent d’abord à eux-mêmes. Alors que ces communes, même sans difficultés du genre, n’arrivent pas à consommer tout leur budget. Parfois certaines se retrouvent, à la fin de l’année, à moins de 50%.
Selon Luc Atropko, ces situations de crise mettent à mal non seulement la cohésion au sein des conseils communaux, mais handicapent surtout la mise en œuvre des politiques publiques locales. Rien de durable ne peut se construire dans l’instabilité, avait-il dit. Le comble c’est quand un maire, menacé de destitution est obligé de se soumettre à des compromissions sur le dos des populations. Son maintien se fait à coups de facilités ou de faveur à tel ou tel conseiller. En de pareilles circonstances, les plus grands perdants seront toujours les populations qui attendent de l’exécutif local des initiatives pour faire évoluer les services sociaux de base. Un maire destitué, c’est plusieurs mois de ralentissement voire de paralysie du conseil communal. Le départ d’un maire est synonyme d’un recommencement. Parfois, le maire peu patriote part avec son carnet d’adresse et certains de ses partenariats qu’il a pu négocier ou en cours de négociation pour la commune.
Le regard de l’expert en décentralisation, Jean Pierre Elong M’Bassi
« Il y a plusieurs manières de regarder la question de la destitution des maires. Je n’aime pas le terme destitution. C’est à croire que les maires étaient intronisés et après on les destitue. Or il ne s’agit pas de ça. Qu’est ce qu’un maire? Le maire est le chef de l’exécutif. Ça veut dire que la réalité du pouvoir n’est pas dans ses mains puisque c’est celui qui exécute. La réalité du pouvoir est au niveau du conseil municipal. C’est le conseil municipal qui investit la plénitude du pouvoir local. Mais on assiste à une présidentialisation du maire et on a oublié que celui qui commande ce n’est pas le chef de l’exécutif, c’est le peuple à travers ses représentants dans l’organe délibératif qui oriente la manière dont l’effort commun va être utilisé. Donc le fait même de parler de destitution montre à quel point on a subverti les textes et que la fonction délibérante s’est trouvée déshabillée alors que la plénitude du pouvoir local est investie dans l’organe délibérant. Ainsi il y a là un problème fondamental de compréhension de ce que les élus du peuple ont décidé. Maintenant, tout dépend de la manière dont le système politique est organisé. Je suppose qu’on ne parle pas de cas de faute parce que nul n’est au- dessus de la loi. Si vous êtes maire et vous faites une faute qui est punie par la loi, vous êtes passible de la force du droit. Mais je parle du cas où il s’agit simplement de jeu politicien c’est-à-dire du cas où parce que le maire est élu au second degré, on s’entend entre conseillers dans des coalitions politiciennes pour le destituer. Je pense qu’il ne faut pas trop jouer à ça parce qu’un mandat municipal, c’est cinq (5) ans. Et si tous les ans on change de maire, vous voyez bien que l’équipe municipale aura du mal à se justifier auprès de la population. Pourquoi une équipe municipale qui a gagné ensemble, a du mal à gouverner ensemble ? Ça montre bien qu’il y a une perversité dans la manière de percevoir le pouvoir municipal. On m’élit parce que je me mets au service de ma population. Alors qu’est ce qui est si grave dans le fonctionnement d’une équipe municipale pour que j’oublie ce service que je dois à la population et que je privilégie strictement les relations entre membres du club du conseil municipal ? Je ne comprends pas comment on peut mettre au- dessus de la population qui vous a élu les jeux politiciens au sein du conseil municipal. Je sais et on m’a dit que je suis un naïf mais je préfère garder ma naïveté. Parce que si tout le monde était cynique et jouait systématiquement aux subtilités de la politique politicienne, on mettrait en grande fragilité la constitution institutionnelle d’un Etat. C’est pour cela qu’il y a des mandats, on donne 5 ans pour que vous ayez le temps de réaliser ce pourquoi on vous a élu. Mais si après un an vous devez partir parce que votre tête ne plaît pas à tel, si pour cela on coalise pour destituer et on « recoalise » pour à nouveau destituer, je crois que cela installe une instabilité dans le monde municipal. Et cela ne fait pas du bien à l’état de droit.»
Comment mettre fin aux destitutions ?
Selon Raoul Glessougbe, Juriste et Expert dans la gouvernance locale, pour mettre fin à l’instabilité politique à la tête des communes et surtout à la mauvaise gouvernance qui s’y prévaut, il va falloir revoir le régime juridique de l’élection des maires. Le rôle du législateur étant aussi, d’apporter une solution aux préoccupations actuelles de la communauté, il est impératif face à la saison des crises de destitution des maires, de réfléchir pour plus encadrer cette procédure qui est comme une épée de Damoclès qui plane sur toutes les communes. C’est pourquoi, il propose la constitutionnalisation de l’élection des maires au suffrage universel direct. A cet effet, les maires seront élus directement par la population. Pour y parvenir, les partis ou groupes de partis présenteront une liste de candidats aux élections communales sur lesquelles seront identifiés clairement les candidats aux postes de maires, d’adjoints aux maires, de chefs d’arrondissements et de chefs de villages ou de quartiers de villes. Cette réforme a plusieurs avantages qui pourraient garantir la bonne gouvernance et l’éthique électorale, à cet effet : Cette réforme permettra à la population, en votant pour une liste, de savoir pour qui elle vote en qualité de maire, d’Adjoints au maire, de chefs d’arrondissements et de villages ou quartiers plutôt que d’en donner procuration à des conseillers qui au gré de leurs intérêts du moment, trahissent la volonté des électeurs ; Elle mettra fin à la traitrise voire la transhumance politique de certains conseillers communaux ou locaux, qui une fois élus sur une liste de parti ou de groupes de partis, peuvent sans coup férir, refuser d’accorder leur vote au candidat désigné par le parti ou groupes de partis aux différents postes pour aller soutenir ceux des listes adverses bien que des mesures soient prises par le législateur (Article 406 alinéa 2 de la loi 2013-06 portant code électoral en République du Bénin qui dispose que « le candidat aux fonctions de maire est proposé par la liste ayant obtenu la majorité absolue des conseillers »). Plusieurs situations du genre ont été observées aux dernières élections communales. Ensuite, le maire étant élu directement sur une liste donnée par la population, seule cette dernière aura la possibilité de lui retirer sa confiance. C’est vrai, le cas échéant, les conseillers communaux pourront enclencher la procédure par leur vote de défiance. Mais il reviendra encore une fois, à la population d’élire un nouveau maire, sur la base des candidats qui leur seront présentés par les partis ou groupes de partis en lice. En outre, cette réforme permettra d’éviter les reports des élections communales, municipales et locales comme on l’a souvent constaté dans le passé. En effet, les gouvernants ne respectent scrupuleusement que les normes constitutionnelles. Depuis la conférence nationale, on n’a jamais manqué de respecter la date d’expiration du mandat des députés, encore moins celui des présidents qui se sont succédés à la tête du pays. Par contre, comme la date des élections communales et locales n’est pas constitutionnelle, le report est plus facile au point où la deuxième mandature a été prorogée jusqu’à sept ans. Enfin, les maires, avec cette forte légitimité, pourront avoir les coudées franches pour garantir une bonne gouvernance à la tête des collectivités. A défaut, ils seront vraiment tenus seuls responsables de leurs déviances. Ce qui n’est pas toujours le cas.
Lexique de la décentralisation
Communauté de communes : Etablissement public de coopération intercommunale regroupant plusieurs communes qui en décident la création pour exercer à la place et pour le compte des communes membres, certaines de leurs compétences prévues par la loi n° 2009-17 b Portant modalités de l’intercommunalité au Bénin.
Bon à Savoir
e-démocratie : Le concept est diversement nommé : e-démocratie, cyberdémocratie, démocratie virtuelle, digitale ou en ligne, administration citoyenne électronique…Quel que soit le terme utilisé, cette forme de démocratie est indissociable des NTIC et sa mise en pratique passe inévitablement par les opportunités inédites qu’offrent ces technologies. La e-démocratie, c’est donc l’exercice de la démocratie à l’aide de l’utilisation des NTIC. Elle s’impose désormais comme un puissant moyen de favoriser l’engagement civique pour le développement collectif.
Gilles Grégory Gnimadi (Stg)
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