Chronique de Raakedo : Le Burkina n’est pas un pays francophone

Publié le jeudi 1 septembre 2016

La Chronique de Raakedo (“raakedo” signifie en gourounsi, “autrement dit”) est une analyse d’Amon Bazongo, étudiant burkinabè à Taïwan. L’économie et l’expérience des tigres d’Asie sur les questions de développement passeront régulièrement sous sa loupe, avec évidemment, le Burkina Faso en toile de fond.


Le Burkina Faso n’est pas un pays francophone. Voici une affirmation qui peut choquer plus d’un, je l’avoue. Et pourtant, le Burkina n’est bel et bien pas un pays francophone. Dire le contraire, ce serait éliminer la majorité de la population burkinabè, n’offrir aucun outil a cette majorité pour leur permettre de contribuer à la construction d’une société moderne et faciliter avec joie la disparition de nos langues locales.

Le Français au Burkina Faso

Selon une publication de l’Institut National de la Statistique et de la Démographie(INSD), en 2006 la langue française se trouvait en 13ème position dans le classement des langues parlées au Burkina Faso. En tête du classement, on avait le moore parle par 45% de la population, le fulfulde par 8%, le gulmancema par 5%, le dioula par 4%.

Prenons un exemple très simple pour montrer à quel point cette affaire de langue est importante. L’activité économique d’une grande partie de la population urbaine est informelle.

Ces opérateurs économiques contribuent pour beaucoup à l’économie nationale, mais comme la plupart d’entre eux n’ont pas le français comme première langue, leurs contributions au PIB est soit ignorées, soit pas suffisamment considérées. Ce qui veut dire que le calcul de la richesse du pays est simplement faux. En plus de cela, on sait bien que le Burkina a une économie majoritairement agricole.

Mais qui sont ceux qui exercent cette activité ?  Certainement pas des gens qui s’expriment dans la langue de Molière. Dans le domaine du Droit, comment voulez-vous qu’un individu qui a pour première langue le gulmancema, comprenne la constitution du Burkina Faso ? Pourquoi aller si loin … qu’il comprenne ne serait-ce qu’un acte de naissance ? L’alphabétisation sert a quoi si les documents administratifs par exemple, sont tous en francais ?

 La réalité, c’est que c’est la minorité de francophones qui contrôle la majorité de multilingues, parce que à la question « le Burkina est-il un pays francophone? », la meilleure réponse devrait être « le Burkina est un pays multilingue ». Cependant, c’est la réalité qui fait peur aux Burkinabè. Cette réalité n’est pas que burkinabè, elle est en fait africaine.

Alpha Oumar Konaré l’avait bien signifié lors du 10ème sommet de la Francophonie organisé à Ouagadougou. A l’époque président de la république du Mali, Alpha Konaré avait commencé son allocution devant les chefs d’Etats et de gouvernements en langue bambara, pendant de très longues minutes avant de revenir à la langue française. Voici un geste qui devrait être salué par les Africains en général.

Pourquoi a-t-on peur du multilinguisme ?

Cependant, les Burkinabè ont peur du multilinguisme même s’ils la pratiquent à la maison. L’école a réussi à nous convaincre que nous ne devons parler qu’une et une seule langue. L’école a réussi à nous faire croire de façon religieuse qu’un des facteurs de formation d’une nation, c’est une langue commune. L’école a réussi, dans la mesure où nous pensons qu’il est impossible de communiquer quand on parle plusieurs langues.

Et pourtant, l’école a tort parce qu’il y a des contre-exemples à ce qu’elle nous enseigne: la Suisse, Singapour, le Rwanda ont chacun 4 langues officielles, l’Inde et l’Afrique du Sud ont chacun plus d’une dizaine de langues officielles, la Russie a des dizaines de langues d’Etats bien que le russe soit la langue officielle, … Tant d’exemples qui montrent que le multilinguisme est bien possible pourvu qu’il y ait une politique de langues qui devrait permettre à tous les citoyens de participer aisément à la vie de la nation.

Langues, Arts et Lettres

L’école, outre le fait de nous convaincre qu’une seule langue est bien, nous fait croire que les langues africaines ne servent pas à grand-chose dans le monde et que d’ailleurs, ce ne sont que des dialectes, ce qui est à mon avis un manque de respect à l’égard de nos cultures. S’exprimer en français, revient à exprimer le génie créatif de la culture française.

 Alors, que fait-on pour exprimer le génie créatif de la culture moaga ou kassena ou marka ? La culture moaga par exemple a tellement de proverbes qu’on peut en faire une bible. Je ne suis pas moaga et je ne parle pas moore, mais je le sais pour en avoir entendu plusieurs de la part de nombreux amis.

Le penseur Alexander von Humboldt pensait que « la langue est l’âme des peuples » et que « leur âme est leur langue ». Si l’on suit la logique de von Humboldt, ce que l’on est en train de faire est d’échanger notre âme contre celle du peuple français si l’on ne la déjà fait. Si c’est vraiment ce que l’on veut faire, ben … qu’il en soit ainsi alors.

Ce n’est pas Jocelyne Beroard du groupe Kassav qui dira le contraire, elle qui disait lors d’une interview « Moi, je dis quand on perd une langue, on perd une culture! Donc si votre culture est à zéro et que pour vous il est inutile de préserver cette culture pour vos enfants, d’accord! Tant pis pour vous! Parce qu’exister à travers la culture de l’autre ce n’est pas exister! C’est être colonisé! »

Apprendre sa langue ne veut pas dire refuser d’apprendre d’autres langues

Ce que je promeus, néanmoins, c’est le multilinguisme, c’est-à-dire la capacité de parler et d’apprendre plusieurs langues en commençant par nos langues. « Celui qui ne connait pas de langues étrangères, ne connait rien de sa propre langue » selon Wolfgang von Goethe.

J’ai la chance de parler couramment le mandarin chinois et de savoir ce que Goethe veut dire. On apprend vraiment plus sur soi-même lorsqu’on cherche à connaitre l’autre.

Je ne peux donc pas m’insurger contre la langue française dans cet article, loin de moi cette idée. La langue française a permis à beaucoup d’entre nous de comprendre le monde dans lequel nous vivons et nous éloigne d’une sorte de “ghetto linguistique”. Mais nos langues locales méritent bien de cohabiter avec le français. Elles sont suffisamment belles, modernes, et elles ont, elles aussi des histoires à nous raconter.

Langues et Education

Un argument que j’entends souvent de la part de ceux qui sont dubitatifs quant à la capacité de nos langues d’être mises en valeur, c’est « comment on va dire les mots ordinateur ou appareil digestif ou encore physique nucléaire dans nos langues?« .

Cette question est très intéressante, mais je réponds toujours par « c’est parce qu’on ne veut pas le dire dans nos langues qu’on ne sait pas comment le dire« . Ce que les gens ne savent pas, c’est que les termes techniques et scientifiques sont attribués par ceux qui ont inventé ces termes, et adaptés dans la langue des autres. Prenons l’exemple de l’ordinateur.

Le premier ordinateur a été inventé aux Etats-Unis et les américains l’ont appelé « computer ». Les Chinois n’ont pas inventé cette machine et n’avaient donc aucun mot pour la désigner. Ils ont décidé quand même de l’appeler « dian nao » en mandarin qui veut dire « cerveau électrique« . Les Chinois ont traduit tous les termes qui leur étaient inconnus dans leurs langues (mandarin, cantonnais, shanghaien, wenzhouen, etc).

Pourtant, ça n’a pas empêché les Chinois d’être les plus grands fabricants d’ordinateurs au monde de nos jours. Il en est de même pour les Japonais qui n’ont pas inventé l’appareil photo ou les Coréens qui, il y a quelques années, ne savaient pas ce que c’est qu’un smartphone, mais narguent aujourd’hui le iPhone avec leur Samsung.

Tous ces peuples ont adapté les termes des autres dans leur langue comme le font d’ailleurs toutes les langues du monde à l’exception des langues africaines. Quand est-ce que l’on va comprendre que le multilinguisme est une richesse comme cela a toujours été le cas dans l’Afrique précoloniale ? Pourquoi ne pas valoriser ou seulement reconnaitre nos langues de façon officielle, et mettre en place une politique des langues ?

Education multilingue en Afrique

Plusieurs organisations internationales ont publié des documents sur le multilinguisme. L’UNESCO par exemple, a publié un document en 2010 intitulé « Pourquoi et comment l’Afrique doit investir dans les langues africaines et l’enseignement multilingue« , document que vous pouvez retrouver gratuitement sur Internet.

Je vous donne juste un seul exemple d’une chose que j’ai retenu de ce document. On apprend que les enfants formés dans un environnement multilingue apprennent plus vite que ceux formés dans un environnement monolingue. Au primaire par exemple, si un enfant monolingue a besoin de 6 ans, un enfant multilingue aura besoin de 5 ans pour avoir le même niveau que le premier enfant.

La conséquence est qu’une école multilingue peut être constituée de 5 classes au lieu de 6. Ce qui permet d’économiser énormément d’argent ou de réinvestir cet argent dans la formation technique comme l’agriculture ou les arts industriels par exemple. Voici un exemple concret du comment l’Afrique peut bénéficier de l’héritage de ses ancêtres.

La confusion entre langue locale et lingua franca

Une lingua franca est une langue qui est parlée et comprise par des populations qui parlent plusieurs langues. Au Burkina Faso, le français est une lingua franca dans les grandes villes, mais pas dans tout le pays. On dit souvent que les mossé sont partout au Burkina. J’ai été moi-même surpris d’entendre le mooré dans des marchés de Bobo-Dioulasso qui est très loin d’être une région moaga.

Le mooré est bien plus important pour le Burkina que le français et je suis désolé de le dire aussi froidement. L’anglais est en train de devenir une lingua franca mondiale. C’est-à-dire que tous les habitants de la terre sont en train d’avoir l’anglais comme langue commune. L’anglais est donc plus important pour le Burkina que le français. Encore désolé de dire ainsi.

En réalité, l’Afrique est la véritable force de la langue française, et comme vous le voyez c’est eux, les Français, qui ont besoin de nous. A nous de savoir donc négocier.

Nous sommes responsables de ce qui va arriver demain

Nous sommes Africains, nous devons être fiers de nous-mêmes, de nos traditions. Nous avons donc le droit et le devoir d’apprendre, de parler et d’écrire nos langues par n’importe quel médium possible. Mieux, nos langues sont encore vivantes. Bien plus vivantes que certains ne le pensent.

 Si nous les négligeons, nous négligeons du même coup notre diversité et notre richesse culturelle. Nous nous négligeons nous-mêmes aussi. Nous pouvons par contre utiliser nos langues pour construire nos sociétés de demain. Plusieurs pays africains sont déjà sur cette voie. L’Afrique de l’Est vient d’adopter le swahili comme langue officielle, le Botswana a le tswana comme langue officielle, etc.

Le Burkina Faso devrait emboîter le pas et s’approprier réellement sa culture. Le burkindlim par exemple est un ensemble de valeurs que tous les Burkinabè devraient connaitre. Il en est de même pour le pulaaku. Pourtant,  il n’y a aucune traduction de ces termes en français.

C’est aux Burkinabè d’utiliser leurs langues, de comprendre leurs concepts et de les vivre. C’est comme cela que l’on met en place les fondements de sociétés modernes.

Amon Mocé Rodolphe BAZONGO

Chroniqueur pour Burkina24


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