Contribution au débat sur le réaménagement des horaires de travail à l’école

Publié le mardi 31 mai 2016

INTRODUCTION

          Depuis quelques semaines, l’un des sujets qui font l’actualité au Bénin, c’est la question de la réforme administrative dans les secteurs public et privé, réforme qui prendra la forme d’un réaménagement des horaires de travail. A voir de près, le débat a été lancé par le Directeur Général de la Réforme de l’Etat (DGRE) avec des précisions procédurales, grâce à la complicité des médias.

          En attendant le démarrage des consultations nationales qui seront initiées, selon Le Matinal n° 4834 du mercredi 18 Mai 2016, « à l’effet d’écouter tous les acteurs des secteurs concernés (les syndicats, le patronat, les agents de l’Etat, les associations des parents d’élèves, les inspecteurs du travail, etc…), » les cadres du Ministère du travail sont en train d’étudier les différents aspects du projet. Après les consultations nationales au niveau « de toutes les couches sociales », la tendance dominante sera dégagée et un rapport circonstancié sera adressé à l’autorité qui disposera des éléments nécessaires pour prendre « la décision appropriée ».

          En réalité, quels sont les motifs du projet ? Quels sont les éléments handicapants pour la mise en œuvre de la réforme ? Le gouvernement de la rupture doit-il tout réformer ?

 

I- Les motifs de la réforme

          Conformément au contenu de l’entretien que le Directeur Général de la Réforme de l’Etat (DGRE) a eu avec des journalistes, entretien qui a inspiré l’article publié par M. Hospice ALLADAYE dans Le Matinal n°4834 du mercredi 18 Mai 2016, l’on ne retiendra que le motif principal du projet, « c’est le besoin de restaurer l’équilibre familial ». Le projet est donc motivé par un « impératif  social ».

           Pour aller dans les détails, le DGRE a apporté les précisions selon lesquelles l’ « on a constaté qu’avec ce qui est fait actuellement, les parents n’ont pas le temps matériel pour s’occuper de l’éducation de leurs enfants. Ils sont trop distants de leurs enfants et ces derniers sont laissés à eux-mêmes. Le nouveau réaménagement permettra aux parents de rentrer un peu plus tôt chez eux et de s’occuper de leurs enfants. Ce réaménagement permettra également de diminuer les embouteillages dans les grandes villes ».

II-Des éléments handicapants pour la réforme

A- Le climat et les habitudes alimentaires

          Le Bénin est un Etat de l’Afrique occidentale. Par conséquent, il bénéficie d’un climat tropical, caractérisé par l’absence de périodes froides marquées et prolongées et par l’existence d’au moins trois mois pluvieux et chauds. Un tel climat, contrairement au climat tempéré des pays européens, impose entre autres, des habitudes alimentaires spéciales.

          Le matin, la population des travailleurs est tenue de consommer des repas légers comme le thé ou la bouillie. A la mi-journée, il est recommandé de prendre des repas lourds comme le riz, le haricot ou les pâtes alimentaires avec obligation, pour des raisons de santé, de disposer d’un temps raisonnable de deux à trois heures de digestion et de repos. Par contre, en Europe, le climat tempéré froid impose la consommation de repas lourds le matin et de repas légers à midi, à la pause d’une heure de temps. Scientifiquement, un repas léger demande moins de temps de digestion et de repos qu’un repas lourd. Il y va de la santé du citoyen travailleur et de la mobilisation des conditions pour lui permettre d’être productiviste. La consommation d’un repas lourd, sans repos, entraînera un bon moment de sommeil sur les charges professionnelles.

B- Les infrastructures routières et les embouteillages

          Depuis l’indépendance du Bénin jusqu’à ce jour, les infrastructures routières disponibles dans les centres urbains en général et les communes comme Porto-Novo, Cotonou et Parakou en particulier, n’ont jamais connu un développement remarquable dont les citoyens peuvent fiers. La circulation routière dans ces villes est un calvaire, autant en saison sèche qu’en saison des pluies. Malheureusement, la croissance démographique des agents publics dans ces villes a évolué à un rythme incroyable. Par exemple, la plupart des agents des secteurs public et privé qui travaillent à Cotonou vivent le long des axes Cotonou-Sèhouè, Cotonou-Grand-Popo, et Cotonou-Porto-Novo.

          Sur les différents axes énumérés, nous pouvons retrouver des cités dortoirs comme Abomey-Calavi, Glo-Djigbé, Allada, Hèvié, Ouèdo, Kpahou, Ouidah, Sèkandji, Sèmè-Kpodji et Porto-Novo. A tout prendre, les lieux de résidence des agents du public et du privé sont dans un rayon de 20 à 45 km de Cotonou. Chaque jour ouvrable, lorsqu’ils s’ébranlent, par vagues, pour leurs lieux de travail, soit à motos, soit en voitures, l’on se rend très vite compte du caractère insuffisant et exigu des constructions routières (échangeur, toboggans, voies pavées ou bitumées etc…) de ces dix dernières années. Comme suite logique, les heures de pointe, ces moments où les travailleurs vont au service ou en reviennent, constituent pour ces derniers des périodes de gros embouteillages, de stress et de tensions morales.

          Au vu de l’état actuel de la circulation routière, avec l’absence de réserves pour de grandes voies destinées à des circulations à intensité maximale et l’inexistence de transports en commun bien organisés, l’agent public est incapable de dire à quelle heure exactement il sera à destination.

C- Les programmes d’études et les rythmes scolaires

          Conformément aux dispositions de l’article 16 de la loi portant orientation de l’éducation nationale en république du Bénin, « les programmes définissent les connaissances théoriques, les savoir-faire et les savoir-être devant être acquis au cours d’un cycle donné ». Il faut aller à l’article 54 pour découvrir les prescriptions du législateur scolaire qui indique que « l’année scolaire compte trente-six (36) semaines réparties en trois trimestres de travail de durée comparable, séparés par quatre (04) périodes de vacances de classes ».

          En d’autres termes, pour une bonne exécution des programmes en vigueur, l’enseignant, selon les exigences de l’Ecole de Qualité Fondamentale (EQF) et au niveau des enseignements maternel et primaire, a rigoureusement besoin de six (06) heures d’activités pédagogiques par jour, de vingt-huit (28) heures par semaine et de mille-huit (1008) heures par an.

         Au niveau des enseignements du second et du troisième degrés, les enseignants sont tenus d’organiser, au quotidien, huit (08) heures d’activités d’enseignement, d’apprentissage et d’évaluation, trente-six (36) heures par semaine et mille deux cents quatre-vingt-seize (1296) heures par an.

         En clair, pour respecter les normes nationales et internationales établies, les temps de travail et les périodes de vacances sont non négociables. Pour un encadrement efficace et efficient des apprenants, les administrateurs scolaires tout comme les décideurs politiques, ont l’obligation d’accorder un respect scrupuleux aux prescriptions du législateur scolaire et universitaire.

 

D- Les exigences des nouvelles réformes du système éducatif

          Une lecture croisée des recommandations des fora de 2007 et 2014 et du contenu du projet de société du Président Talon, « Le nouveau départ », pour ce qui concerne le secteur de l’éducation, permet de savoir que pour remettre d’aplomb le système éducatif Béninois, il urge de mettre en chantier un pack de cinq réformes prioritaires, à savoir :

  1. La réhabilitation de l’éducation à la citoyenneté puisque la mission de l’école est avant tout de préparer les citoyens en herbe. Le moment est venu d’associer savamment les activités de formation et d’éducation.
  2. La relance des activités coopératives pour permettre surtout aux élèves des filières de l’enseignement général d’avoir un peu de formation qui les prépare à exercer des métiers relatifs à la gestion des activités artisanales, agricoles ou industrielles.
  3. La définition du nouveau contenu des activités socio-éducatives qui préparent les élèves pour les journées culturelles, en mettant en relief les compétences sociales et professionnelles acquises par ces derniers.
  4. La prise d’un acte règlementaire pour fixer la période officielle pour le déroulement des journées culturelles afin de mettre fin à la pagaille qui s’observe dans les établissements.
  5. La prise et la mise en œuvre d’un Programme Collectif de Réussite Scolaire (PCRS) pour combattre de façon méthodique la baisse du niveau des élèves et des étudiants en français et la création d’une zone franche du savoir.

          Au total, la mise en œuvre des différentes réformes citées supra aidera à renforcer le socle commun des connaissances et compétences acquises par les apprenants tout au long d’un cycle donné. Ce travail n’exclut pas l’évaluation des deux réformes en cours d’expérimentation, dans les domaines de l’utilisation de la dictée et des langues nationales.

           A la lumière de tout ce qui précède, il est permis d’affirmer que l’introduction dans le système éducatif d’une réforme relative au réaménagement des horaires de travail, en ce moment précis, ne serait rien d’autre qu’une activité perturbatrice, vouée à l’échec comme ce fut le cas avec les « journées continues » du temps de la révolution du 26 Octobre 1972. Toute tentative pour un passage en force de ladite réforme portera un coup fatal à toutes les réformes éducatives en cours ou à venir.

E-            La bataille des parents pour l’augmentation continue de leurs revenus mensuels

          L’expérience a souvent prouvé qu’aucune réforme ne peut prospérer si l’on ne prend en compte le contexte dans lequel elle est appelée à être mise en œuvre. En effet, le Bénin est aujourd’hui, selon le dernier rapport du Fonds Monétaire International (FMI) qui a inspiré un article de Le Matinal n°4836 du vendredi 20 Mai 2016, le 20ème pays le plus pauvre au monde. Dans le même temps, le phénomène de la mondialisation oblige les Béninoises et les Béninois à se soumettre aux exigences de la société de consommation. Personne n’a envie de vivre en marge des progrès technologiques.

           C’est ce qui explique la bataille que mènent tous les agents des secteurs public et privé pour accroître leur revenus mensuels tous les jours, par tous les moyens. Certains y vont avec des moyens légaux et d’autres, des démarches illégales. Pour avoir son écran plat, son smartphone ou sa tablette, il faut pouvoir payer le prix et pour mobiliser les moyens, beaucoup de parents d’élèves sont très attachés à l’idée d’effectuer des heures supplémentaires. Il suffit de faire un tour dans certains services de l’administration publique à partir de dix-neuf (19) heures pour constater l’ampleur du phénomène. Selon le proverbe, « l’appétit vient en mangeant ».

           Autrement dit, plus on a, plus on veut avoir et ce comportement humain répond aux normes de la société de consommation. Alors, le Ministère de la Fonction Publique, du Travail et des Affaires Sociales aura fort à faire pour obtenir l’adhésion de ces agents à son projet relatif à l’éducation familiale et sociale des enfants.

           Depuis plus d’une décennie, la situation est similaire dans les pays développés comme les Etats-Unis où les parents pensent qu’il revient à l’école de s’occuper de la totalité de la mission de construction du citoyen. Le problème de l’échec de la cellule familiale face à ses devoirs vis-à-vis des enfants est donc un problème planétaire. Le mal est profond et ne demande pas de solutions de replâtrage.

III- Le gouvernement de la rupture doit-il tout changer ?

           La consultation du projet de société du Président Talon permet de dire sans se tromper que la question du réaménagement des horaires de travail n’a jamais fait l’objet d’un thème de campagne pour le candidat. Toutefois, il a insisté sur sa volonté de « redynamiser et de moderniser notre administration publique » sans oublier les multiples réformes prévues pour les différents secteurs de la vie nationale. Il est vrai que l’un des candidats qui étaient en lice pour les dernières élections présidentielles, l’honorable Aké Natondé, avait fait de ce thème un élément de mobilisation des électeurs.

           Il est regrettable que le projet de société du député-candidat n’ait pas bénéficié d’une bonne circulation pour permettre aux électeurs de prendre connaissance du diagnostic établi pour justifier la thérapie proposée sous forme de réaménagement des horaires de travail. Si le diagnostic posé par le DGRE est le même que celui qui a été établi par le candidat malheureux, il est possible de dire que la thérapie reste biaisée et demande des réflexions approfondies.

           A tout prendre, le gouvernement de la rupture, au vu des réformes consensuelles programmées, a de quoi s’occuper pendant un mandat. « Qui trop embrasse, mal étreint », dit-on. La réforme du DGRE peut attendre. Elle a besoin d’un temps raisonnable pour l’approfondissement des réflexions commencées en 2007 et abandonnées et la mobilisation des conditions pour un succès du projet.

CONCLUSION

          En guise de conclusion, il est à noter que la réforme que propose le DGRE ne manque pas de pertinence. Elle se préoccupe de la vie de la cellule familiale qui est la base de la société. Lorsque la cellule familiale vit de façon stable et harmonieuse, elle contribue au développement ascendant de la société, sur les plans économique et social. Le DGRE a vu juste en insistant sur le fait que la mise en œuvre de la réforme se fera dans le cadre juridique existant. Sur le terrain de l’école, le non-respect des règles établies par le cadre règlementaire et législatif, mettra le Bénin en difficulté face aux normes internationales qui permettent de connaître les limites à ne pas dépasser et d’évaluer la qualité de la formation des apprenants. Par ailleurs, les chances pour la réforme de prospérer à l’étape actuelle sont très faibles, sinon nulles, si l’on tient compte des goulots d’étranglement existants.

          Au 21ème siècle, le Bénin ne peut pas se permettre de se cacher derrière le prétexte de la recherche de solutions au problème de l’échec de l’éducation préscolaire de l’enfant pour se soustraire au culte du travail bien fait qui est l’une des valeurs les plus partagées par les pays développés ou réellement en voie de développement.

           Pour un aboutissement heureux de la réflexion en cours, il faudra absolument éviter de tomber dans le piège de la précipitation et de la mode. Les recherches doivent être approfondies sur trois axes, à savoir : la réhabilitation de l’importance de l’éducation familiale dans la construction du citoyen, le rétablissement de la politique du logement des agents du public et du privé dans le développement de la nation et la restauration de la politique des transports en commun pour désengorger le réseau routier dont les capacités d’accueil sont de plus en plus dépassées dans nos villes.

Raouf Affagnon, Consultant en éducation et en dialogue social


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