Performance du système éducatif béninois : L’orientation scolaire et professionnelle est-elle indispensable ?
Manque de salles de classe, insuffisance d’enseignants qualifiés, absences ou insuffisance de manuels scolaires, baisse inquiétante du niveau des apprenants… Face à des problèmes aussi cruciaux, on peut se demander si l’orientation scolaire et professionnelle des apprenants constitue aussi une priorité pour l’éducation au Bénin. Qu’elle serait, en effet, l’utilité d’un dispositif d’orientation scolaire et professionnelle au sein d’un système éducatif béninois, qui est déjà en butte à de multiples difficultés, toutes aussi importantes les unes que les autres ? Etant entendu que l’éducation intègre plusieurs composantes qui en assurent un développement équilibré.
Une contribution de Béatrice KOUMENOUGBO, spécialiste de l’éducation et de l’Orientation solaire et professionnelle, responsable de l’ONG « Orientation Pour Tous »
Le droit à l’éducation est reconnu universellement comme un droit essentiel pour l’épanouissement individuel et pour le progrès des nations. C’est au nom de ce droit que tous les enfants du monde doivent bénéficier d’une scolarisation à la hauteur des enjeux du monde moderne qui s’expriment à travers le besoin de plus en plus affirmé d’une instruction adaptée aux exigences de l’adéquation formation-emploi. Un enseignement de qualité pour un savoir et un savoir-faire qui répondent aux besoins du marché de l’emploi et qui s’adapte aux changements qui y surviennent. Mais pour que les enfants réussissent leur cursus scolaire ou leur apprentissage professionnel, il leur faut faire le choix qui aboutisse à une carrière ou à un emploi, qui corresponde à leur capacité intellectuelle et leur vocation à aborder tel ou tel domaine d’étude ou de formation avec le maximum de chance de succès et pour en tirer le meilleur parti pour leur avenir. Seuls, élèves et parents le peuvent-ils ? Non ! L’expérience a montré que la plupart des parents et élèves sont souvent incapables de faire ce choix de façon judicieuse. Moralité : des échecs au cours du cursus scolaire (inaptitude à suivre la matière ou la filière) ou alors l’orientation vers des secteurs bouchés ou sans avenir au bout du tunnel. Raison pour laquelle, on ne peut, de nos jours, aborder les questions de scolarisation et de formation, sans soutenir les parents et les élèves qui sont confrontés à des choix de branches d’études ou de formation. De ce fait, le recours aux conseils en orientation et à l’information sur les enseignements et les professions, devient une obligation, un droit dans le secteur éducatif. C’est la condition sine qua non pour instituer un enseignement et une formation de qualité capable de produire des hommes d’excellence. Au Bénin, la Loi N° 2003-17 du 11 novembre 2003 portant Orientation de l’Education Nationale en République du Bénin rectifiée par la loi n°2005-33 du 06 octobre 2005, stipule que « Le droit aux conseils en orientation et à l’information sur les enseignements et les professions fait partie intégrante du droit à l’éducation… L’élève ou l’étudiant élabore son projet d’orientation scolaire et professionnelle avec l’aide de l’établissement et de la communauté éducative, notamment des enseignants et des conseillers d’orientation qui lui en facilitent la réalisation, tant en cours de la scolarité qu’au terme de celle-ci ». Cela revient à dire que pour permettre à l’école d’atteindre sa mission, le couple ‘’Education-orientation scolaire et professionnelle’’ devrait évoluer en parfaite symbiose, l’un des membres du couple permettant à l’autre d’atteindre ses objectifs d’efficacité interne et externe. Une fonction qui semble être bien mentionnée toujours dans le texte de loi cité plus haut en son article 4 « L’école doit offrir à tous, la possibilité d’appréhender le monde moderne et de transformer le milieu en partant des valeurs culturelles nationales, du savoir, du savoir-faire et du savoir-être endogènes et du patrimoine scientifique universel. Elle doit permettre à tous les niveaux, une éducation et une formation permanente, favoriser les spécialisations grâce à une orientation judicieuse qui tienne compte des capacités individuelles et des besoins de la Nation ». Ce deuxième paragraphe de l’article suscite des interrogations.
L’orientation des apprenants prend-t-elle en compte leurs capacités individuelles et les besoins socio-économiques du Bénin ? Comment s’orientent les apprenants béninois aujourd’hui ?
Lorsque les parents en arrivent à se demander à quoi sert encore l’école face à l’ampleur du chômage et du sous-emploi, qui frappent de plein fouet, paradoxalement les jeunes ayant fait de longues études, il y a un malaise. Lorsque les métiers à fort potentiel d’emploi qui se retrouvent dans les filières de l’enseignement technique et de la formation professionnelle sont délaissés par environ 98% des apprenants qui préfèrent s’orienter massivement dans les filières de l’enseignement général après l’obtention du Brevet d’Eude du Premier Cycle, il y a encore malaise. Alors des questions subsistent. Comment s’orientent les apprenants aujourd’hui pour que des entreprises se plaignent de ne pas trouver des compétences recherchées alors que les jeunes diplômés se plaignent de la rareté de l’emploi au Bénin ? Comment s’orientent les apprenants dans un contexte où les parents continuent de qualifier certains métiers de moins prestigieux que d’autres, imposant à leurs enfants la filière de leur choix ?
Le rôle de l’orientation dans l’éducation
Pour comprendre le drame qui se joue dans le système éducatif béninois dénué d’un dispositif d’orientation scolaire et professionnelle, il faut partir du rôle que joue l’orientation dans l’efficacité interne et externe du système. Sans verser dans la théorie sur l’orientation scolaire et professionnelle qui peut se consulter aisément dans la littérature, parlons concrètement du rôle de l’orientation dans l’éducation. L’orientation scolaire et professionnelle est un processus qui a pour fonction d’assurer le suivi scolaire de l’apprenant, de développer chez lui, la connaissance de soi et de ses aptitudes, de l’informer et de le guider à travers des techniques et outils d’orientation tout au long de son cursus. Ainsi, le spécialiste de l’orientation qui est le conseiller d’orientation-psychologue a pour mission l’encadrement scolaire des apprenants, le suivi psychologique, l’information sur les filières et les métiers et l’orientation proprement dite qui conduit à la décision du choix d’une série d’étude, d’une filière ou d’un métier. Ce travail se fait en impliquant d’autres acteurs de l’éducation, notamment, l’apprenant lui-même, le professeur principal, les parents d’élèves, le chef d’établissement. Le but de ce processus est d’abord la réussite de l’apprenant dans ses choix d’étude et ensuite une insertion heureuse dans la voie professionnelle qu’il aurait choisi avec l’accompagnement des spécialistes. Dans le contexte actuel du Bénin, la mise en place d’un dispositif d’orientation scolaire et professionnelle qui couvrirait pour un début, le Collège et l’université devrait permettre d’assurer ce suivi des apprenants de la classe de sixième jusqu’à la fin de leurs études universitaires. Hélas, l’absence d’un tel dispositif est la cause majeure de certains maux dont souffrent l’éducation et contribue à exacerber d’autres. Malheureusement, en dehors de quelques documents de référence comme le Plan Décennal de Développement du Secteur de l’Education (PDDSE) venu à son terme, et quelques études de chercheurs, qui mettent un accent sur la question, la plupart des diagnostics fait sur le secteur de l’éducation au Bénin, ne relèvent pas la question de l’absence d’orientation des apprenants dans le système éducatif comme un problème majeur aux conséquences multiples. Or la résolution de certains maux dont souffre l’éducation connaîtrait des avancées majeures avec la mise en place d’un tel dispositif conçu par des spécialistes de la question.
Le manque d’orientation, une plaie pour l’éducation
Le dernier Rapport d’Etat sur le Système Educatif National (RESEN), publié en 2014, met l’accent sur le redoublement et les abandons à la hausse comme des problèmes majeurs du système. En dehors de la qualification des enseignants et des conditions d’apprentissage souvent décriées et désignées à priori comme les causes de ces maux, le défaut d’orientation scolaire et professionnelle souvent perdue de vue est aussi une cause majeure des redoublements et abandons scolaires. En réalité, un apprenant dont les résultats scolaires sont faibles ou un autre qui commence a régressé brusquement dans ses notes doivent bénéficier d’un accompagnement psychologique de la part du Conseiller d’orientation psychologue qui devra cerner ‘’les causes cachées ‘’de ses difficultés scolaires et aider à les surmonter. Il est important de signaler que les causes de l’échec scolaire sont parfois profondes et leur détection relève du travail d’un spécialiste et non d’une tierce personne. Or, la prévention contre l’échec scolaire fait partie du travail du conseiller d’orientation psychologue. En ce qui concerne l’abandon scolaire, il engagera un processus de prise en charge devant conduire à la réinsertion de l’apprenant en fonction du diagnostic de la cause de l’abandon. Par ailleurs, toujours dans le champ des redoublements et de l’abandon scolaire, certains enfants finissent pas quitter l’école malgré eux parce qu’ils n’arrivent pas exprimer leurs talents dans ce milieu. En effet, en nous basant sur la théorie des intelligences multiples de Gadner, qui cite huit types d’intelligence (les intelligences naturaliste, linguistique, interpersonnelle, intrapersonnelle, mathématique, musicale, corporelle, visuelle), et d’autres études qui relèvent les limites de l’utilisation du Quotient Intellectuel (QI), à lui seul pour mesurer l’intelligence d’un individu, on peut bien comprendre pourquoi certains enfants pourtant intelligents ont de mauvaises notes en classes ou que d’autres s’ennuient à l’école et sont poussés à l’abandon. En effet, l’école telle que conçue avec les quelques acquis qu’elle évalue ne permet pas à tous d’exprimer leurs talents et leurs génies. Les curricula telles que conçus dans le système éducatif, aujourd’hui, ne permettent pas aux enfants créatifs, inventifs, innovateurs, génies dans un domaine pratique, d’exprimer leurs talents. On comprend bien que certains enfants abandonnent l’école parce qu’ils s’y sentent comme dans une prison qui ne leur permet pas de libérer leurs talents. Ils arrivent malheureusement que certains éducateurs les traitent de ‘’Tarés’’, une expression qui ne devrait jamais être prononcée dans nos écoles. Dans, nos écoles et collèges, le rôle d’un conseiller d’orientation psychologue serait de prendre en charge ces cas dans un processus personnalisé d’écoute qui conduirait à leur proposer un cursus académique adapté qui leur permette d’éclore leurs talents et de se perfectionner. Voilà quelques exemples dont la liste n’est pas exhaustive, qui permettent de cerner le rôle que joue l’orientation scolaire et professionnelle dans la lutte contre l’échec et les abandons scolaires !
Outre la question des redoublements et des abandons scolaires relevée par le RESEN 2014, la régulation des flux entre l’enseignement secondaire général et la formation technique et professionnelle reste une préoccupation majeure du système lorsqu’on sait que l’enseignement technique et la formation professionnelle sont déclarés deuxième priorité de l’Etat après l’enseignement primaire. Et qu’en plus, les filières d’avenir se retrouvent dans ce sous-secteur, on se demande ce qui explique jusqu’à présent le manque d’intérêt des apprenants et de leurs parents pour les filières de l’enseignement technique et de la formation professionnelle. Le manque de motivation des apprenants à s’orienter dans ces filières s’expliquent entre autres par les clichés, et les représentations suivant lesquels il s’agirait ‘’de filières de bas-étage’’, de ‘’filière réservées’’ à ceux qui ont échoué dans l’enseignement général. Une approche intégrée d’information sur ces filières, des séances d’immersion des élèves du premier cycle de l’enseignement secondaire dans les lycées et entreprises spécialisés dans ces secteurs ; des salons de métiers sur ces filières, la sensibilisation des parents d’élèves permettraient de détruire ces clichés. A cela doivent s’ajouter évidemment, des mesures pour susciter l’inscription des apprenants dans ces filières et la construction de lycées techniques bien équipés pour assurer une formation de qualité aux apprenants qui auraient choisi ces filières.
La régulation des flux et la question de l’orientation scolaire et professionnelle, c’est aussi l’enseignement supérieur qui en fait les frais. La décision non aboutie de l’Université d’Abomey-Calavi de recruter les nouveaux bacheliers dans les facultés sur étude de dossier en fonction des capacités d’accueil et d’encadrement cette année académique a révélé les préoccupations d’une bonne gestion des flux d’étudiant et d’une orientation limitant les échecs et permettant une prévention du phénomène de chômage après la formation. Face à ces préoccupations, la mise en place de mécanismes d’orientation adaptés et bien pensés s’imposent à l’UAC qui devra tôt ou tard y faire face.
En somme, échecs scolaires, abandons scolaires, démotivation scolaire, régulation des flux d’élèves, gestion des flux d’étudiant, échec universitaire, chômage des jeunes, autant de problèmes qu’un bon dispositif intégré d’orientation scolaire et professionnelle pourrait aider à résoudre. La liste de ces maux et l’ampleur de leurs dégâts sur la performance du système éducatif béninois montrent bien qu’au même titre que les problèmes cruciaux comme les conditions d’apprentissage des apprenants, la formation des enseignants, la question de l’orientation scolaire et professionnelle est un problème crucial à prendre en compte impérativement.
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