Déchéance discriminatoire de la nationalité : la France est-elle toujours un Etat de droit ?

Publié le mercredi 30 décembre 2015

Ceci est une déclaration d’Aliou TALL, Président du Réseau Africain de Défense des Usagers, des Consommateurs et du Citoyen (RADUCC), sur les nouvelles conditions de déchéance de la nationalité française.

La délinquance constitutionnelle est l’infraction la plus grave dans un Etat de droit. Elle permet de légitimer les ségrégations les plus abominables comme l’Apartheid ; des crimes odieux comme le massacre de juifs sous le régime nazi d’Hitler ; des coups d’Etat constitutionnels comme le font des chefs d’Etat africains. La France, avec son projet d’extension discriminatoire de la déchéance de nationalité, risque d’instaurer un « Apartheid » constitutionnel contre certains de ses ressortissants, en raison de leur origine ou de leur religion.

Une loi totalitaire qui tue la démocratie française et encourage l’islamophobie.

La loi constitutionnelle défendue par le premier ministre français Manuels VALLS va instaurer un « Apartheid » entre les citoyens français. Si elle est votée,  deux français condamnés pour le même acte terroriste n’auront pas forcément le même traitement.

 Si l’un est binational, en plus des sanctions du droit pénal, il sera déchu de sa nationalité. Cette extension de la déchéance de nationalité, jusqu’ici réservée aux français naturalisés, est une grave entorse aux principes républicains et aux droits fondamentaux.

D’autant plus qu’elle s’appliquera en pratique  à des français musulmans. Une telle dérive est inquiétante de la part d’un Etat qui s’est autoproclamé  pays des droits de l’homme. Elle est contraire au principe d’égalité des citoyens devant la loi et encourage les idéologies et actes racistes et islamophobes, comme ceux perpétrés en Corse en cette fin d’année 2015.

Comment reprocher à des groupes extrémistes d’être islamophobes si la constitution française elle-même comporte des dispositions ségrégatives contre des français musulmans ? Avec l’adoption d’une telle loi, la France s’éloignera de la démocratie pour se rapprocher du totalitarisme. Elle ne pourra plus  critiquer le régime de Robert MUGABE.

Le premier ministre français tente de justifier cette grave transgression à la démocratie par l’état de guerre dans lequel se trouverait la France contre le terrorisme. C’est oublier que c’est l’état de guerre qui avait justifié les camps de concentration pour les juifs durant la 2ème guerre mondiale, et la collaboration du gouvernement de Vichy à ses monstrueuses atrocités.

C’est aussi oublier que la France n’est pas en guerre contre elle-même, ni contre l’islam. La constitution française  ne peut pas  contenir à la fois des dispositions interdisant, et d’autres autorisant une discrimination entre citoyens fondée sur la race, l’origine ou la religion.  En violation de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, les français ne naitront plus égaux en droit avec cette loi.

Aux termes de l’article 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, toute société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée n’a point de constitution. Si la France adopte cette loi, la valeur de sa constitution sera remise en cause.

Une loi contre la terreur, mais qui sème la terreur.

Devant le tollé suscité par cette loi, on s’attendait à ce que ses défenseurs rebattent encore l’argument vil et classique qui consiste à justifier un mal par le fait qu’on n’est pas le seul à le commettre. Il a été argué que le Canada et l’Angleterre appliquent déjà cette ségrégation citoyenne.

Que dire alors si Boko Haram justifiait ses exactions en affirmant qu’il n’est pas le seul groupe à semer la terreur dans le monde ? Cette loi ouvre la porte à la remise en cause de l’acquisition de la nationalité française par le droit du sol. Une telle issue serait terrorisante pour beaucoup de français issus de l’immigration.

L’adoption de cette loi prolongerait ainsi la terreur des assaillants qui ont frappés la France. Alors que l’effet de dissuasion escompté est une chimère. En effet le risque de perdre la nationalité française ne dissuadera pas un terroriste qui cherche à perdre la vie pour le martyr religieux ou pour la vengeance. Ceux qui n’ont pas peur de mourir en se faisant exploser n’ont pas peur de perdre la nationalité française.

La terreur pour la minorité discriminée est aggravée par le fait qu’une grande majorité des Français soutienne cette tragédie constitutionnelle.  Cette majorité des français est convaincue  que cette loi vise la minorité  musulmane contre laquelle elle nourrit une haine viscérale depuis les attentats du 7 janvier 2015, et encore plus depuis ceux du 13 novembre 2015.

Cette loi ne peut donc pas les léser, Au contraire, elle satisfait leur soif de vengeance, au même titre que les bombardements intensifs contre l’Etat islamique. Pour légitimer la discrimination constitutionnelle envisagée, le gouvernement français s’appuiera sur ce plébiscite ressassé par les media avec des sondages sur mesure.

Les terroristes ne pouvaient pas espérer mieux : après avoir terrorisé la France par les armes, ils continuent de la terroriser par procuration, pour avoir suscité des lois liberticides, totalitaires et discriminatoires qu’une France quiète et raisonnable n’aurait jamais adoptées. Ils se frottent certainement les mains.

Une loi absurde et sans intérêt.

Le projet français d’extension de la déchéance de nationalité est absurde en ce qu’il  crée des situations ubuesques.    Il produit des conflits de lois aux conséquences dramatiques pour les citoyens et pour la sécurité internationale. Supposons que la France déchoie  un de ses ressortissants impliqué dans le terrorisme, parce que ses parents sont algériens et qu’il peut prétendre à la nationalité algérienne. Quel serait l’intérêt pour l’Algérie d’accorder la nationalité à un terroriste français condamné pour attentats meurtriers ?

Si l’Algérie refuse la nationalité au terroriste français, il devient apatride. Ce qui est illégal au regard des conventions internationales qui engagent la France. Cette aberration sera systématique si d’autres pays adoptent la même loi d’extension de la déchéance de nationalité que la France : les terroristes français ne pourront pas être expulsés vers les pays ayant adopté la même loi.

Ils resteront en France (Sauf à les déchoir définitivement de la nationalité en rétablissant la peine de mort). Si par des micmacs diplomatiques la France parvient à les caser dans des pays pauvres ou laxistes, ils deviennent des bombes à retardement pour la sécurité internationale. Par ailleurs, un  français binational ayant un projet terroriste peut déjouer la loi en répudiant toute autre nationalité qu’il possède. Ainsi il ne pourra pas être déchu de sa nationalité française.

Au bout du compte cette loi caricaturale, dangereuse pour la cohésion sociale et la démocratie française, est du vent. Il attisera un temps les braises de l’extrémisme et de l’islamophobie en France, mais restera génétiquement stérile.

Chaque pays doit avoir le courage d’assumer ses terroristes et de réfléchir à mettre en place une réponse criminelle adaptée à ce phénomène criminel.  C’est  lâche de se débarrasser de ce fardeau en l’imputant à d’autres pays. Personne ne veut du diable.

Aliou TALL,

Président du Réseau Africain de Défense des Usagers, des Consommateurs et du Citoyen (RADUCC).


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