Supposée construction des usines de Talon avec des deniers publics ; Le gouvernement Yayi passe à côté de la réalité
Manque de maitrise des affaires publiques ou pure volonté de nuire ? Ce sont les questions qui se posent à la lecture du communiqué du Conseil extraordinaire des ministres des 23 et 25 octobre 2015 qui évoque un supposé dossier de construction des usines d’égrenage de Patrice Talon avec l’argent du contribuable béninois. Présentant la chose ainsi, cela jette du doute sur la maitrise des dossiers concernant l’Etat béninois par les ministres de la République. Le Chef de l’Etat aussi !
C’est une affaire vidée par la justice que le gouvernement Yayi remet sur tapis. On ne sait pour quel but. En effet, dans le communiqué du conseil des ministres des 23 et 25 octobre 2015 on peut lire : « …200 milliards indûment octroyés par la Sonapra pour la construction des usines de monsieur Patrice Talon… Il est donc évident que c’est avec les deniers publics que la Socobé, la Ccb et l’cb ont été créées sans aucun avantage en contrepartie pour l’Etat». Plus loin, le même communiqué ajoute : «qu’il vous souvienne que ce contentieux né sous le régime du président Mathieu Kérékou a donné lieu à une plainte déposée devant les tribunaux sans suite jusqu’à ce jour». Autrement, le gouvernement Yayi entend déterrer un dossier à propos duquel il ne maitriserait pas tous les contours, si cette volonté n’est pas mue par autre raison. De quoi revient ce dossier ? En réalité, ce prétendu contentieux est né en janvier 2001, en pleine période électorale où les camps des candidats Nicéphore Soglo et Mathieu Kérékou cherchaient des arguments pour se contrer. Le camp Soglo a sorti le dossier Sonacop contre l’homme d’affaires Séfou Fagbohoun dans le but d’atteindre le candidat Mathieu Kérékou. En retour, les soutiens du candidat Kérékou ont sorti des couloirs ce qui va s’appeler «affaire Sonapra». En réalité, c’est Patrice Talon qui était visé, mais la vraie cible était Soglo dont l’homme d’affaires serait proche. Dans ce dossier, le préjudice probable était évalué à 172 milliards de francs Cfa par un expert-comptable. L’Etat béninois avait donc saisi la justice contre Patrice Talon, défendu à l’époque par Me Robert Dossou à l’occasion d’un procès qui a duré de 1996 à 1998. A la fin, Patrice Talon a gagné le procès à toutes les étapes, même à la Cour suprême.
Ce qui s’est passé au sujet de la création des usines en question
Le régime Soglo aura été l’un de ceux qui ont effectivement œuvré au développement de la filière coton au Bénin. Alors, après la campagne à succès de 1994, l’Etat béninois, à travers son gouvernement, en prévision des années à venir, et en accord avec les partenaires au développement, décida de créer cinq nouvelles sociétés d’égrenage de coton. Mais il y avait un couac. A l’époque, la trésorerie de la Sonapra ne pouvait financer que deux usines. Et le reste ? Il a été alors procédé à un avis d’appel d’offres lancé aux privés pour la création des trois autres. Mais des conditions étaient posées : la Sonapra participera à hauteur de 35% au capital de chaque société fixée à 250 millions au minimum. Ces sociétés créées, en retour, devraient verser 15% de leurs bénéfices net à l’Etat puis elles contribueront au financement de la recherche coton et fibre, mais sur la base d’accord parties. Ces trois nouvelles sociétés devraient avoir chacune une capacité d’égrenage de 25.000 tonnes au moins. Elles doivent être opérationnelles dès la campagne cotonnière 1994-1995. L’appel d’offres a enregistré une dizaine de soumissionnaires. A l’arrivée, c’est Patrice Talon, l’un des soumissionnaires, qui a rempli les conditions posées. Alors, il a réussi à mobiliser dans un court temps un investissement de 12 milliards de francs Cfa. Il faut souligner à cet effet que les sociétés créées ont obtenu leur agrément au régime C. La Sonapra, en sa qualité d’expert, a apporté une assistance technique au gagnant de l’appel d’offres. Mais cette assistance a été facturée et payée. Du coup, la campagne cotonnière 1994-1995 a tenu le fruit de la promesse des fleurs. Les prévisions ont été réalisées. Seulement, que pour contourner les avantages qu’accorde l’agrément au régime C aux trois sociétés privées, l’Etat leur demande des sacrifices. C’est ainsi qu’au titre de la campagne cotonnière 1995-1996, les trois sociétés acceptent d’apporter au budget national une contribution exceptionnelle de 30 F Cfa/kilo de coton graine, premier choix acheté. La Sonapra devait alors diminuer sa participation au capital social de 35 à 10%. L’article 23 du décret relatif à ces négociations prévoit un protocole d’accord entre ces sociétés privées et la Sonapra.
Les déboires de Patrice Talon vont coïncider avec le retour au pouvoir de Kérékou en 1996. Puisque son ministre des finances, par un arrêté, rejette tous les accords et décrets précédents. Il a assimilé la contribution volontaire exceptionnelle des sociétés privées de Talon au rang d’impôts sur le bénéfice industriel et commercial. C’est le début de redressements fiscaux, d’avis d’imposition et d’avis à tiers détenteurs, saisies arrêts et saisies des usines de Talon. A noter que d’importantes sommes d’argent ont été prélevées sur les comptes de ces sociétés pour les caisses de l’Etat. Acculé, Patrice Talon entame alors des contentieux en matières constitutionnelle, administratif et judiciaire. Il souhaitait que le droit soit dit dans ce dossier. Et il aura raison.
La Cour suprême avait définitivement tranché
Finalement, Patrice Talon aura raison de faire recours à ces juridictions. En effet, la Cour constitutionnelle par décision Dcc 96-078 du 12 novembre 1996, le Tribunal de première instance de Cotonou, par jugement N°240 du 12 septembre 1997 et la Cour Suprême par arrêt N° 24/CA du 24 octobre 1997 reçoivent les requêtes des sociétés de Talon, relèvent les abus et l’injustice. Ce qui a poussé à l’annulation de l’arrêté ministériel querellé. Pourtant, malgré cette décision qui lui est favorable, Patrice Talon accepte un règlement à l’amiable de ses sociétés avec la Sonapra. Il avait donc fait homologuer cet acte par le Tribunal de Cotonou le 14 mai 1998. Autrement, le dossier devrait être clos. Erreur !
Alors que l’arrêt de la Cour suprême n’est susceptible d’aucun recours, le gouvernement forme un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour suprême devant cette même Cour. Requête rejetée par la Haute juridiction. Saisie, la Chambre des référés du tribunal de première instance de Cotonou, par ordonnance N°253 en date du 27 novembre 1997 reçoit la requête des trois sociétés privées requérantes, constate qu’il a «voie de fait» de la part de l’administration des impôts et du ministère des finances. Elle ordonne aux banques de «s’abstenir d’exécuter les actes de contraintes fiscales sur ces trois sociétés tant qu’elles bénéficient de l’agrément du régime C du Code des investissements pour cause d’impôts sur le bénéfice industriels et commerciaux». Les jeux étaient donc faits. Affaire close. Mais depuis peu, lors de ses séances de conseil des ministres des 23 et 25 octobre dernier, le gouvernement Yayiva déterrer le dossier.
La preuve que l’expert ne maitrise pas son dossier
Dans le conseil des ministres des 23 et 25 octobre 2015, on peut lire au sujet du même dossier contre Talon : «…à l’époque où les décaissements ont été opérés, les trois sociétés n’étaient même pas encore juridiquement constituées». Pour des premiers responsables de la République, cela frise la non-maitrise des dossiers du pays. La preuve dans «(Extraits de Robert M. Dossou, Sonapra, Socobé, Icb et Ccb : la vérité sur une dérive, pp. 12-13) que voici : «Pour la construction de l’usine Socobé, l’expert (Ousmane Taminou) s’est complètement mêlé les pédales au niveau des 3.300.000.000 F Cfa mis à la disposition de la Sonapra par la Socobé pour la construction de l’usine et la garantie de bonne fin souscrite par la Sonapra au profit de Socobé. Dans tout contrat de travaux, il y a des garanties que le Maître d’œuvre et le Maître d’ouvrage peuvent exiger ou mettre en place. De même, dans le commerce international (comme c’est le cas pour le coton), il y a des garanties qui peuvent être exigées ou souscrites par le vendeur ou l’acheteur. En outre, dans le droit des sociétés, la notion de fondateur et engagements qu’il peut souscrire pour la société à créer puis à l’immatriculer est complètement ignoré de l’expert qui oublie que juridiquement des droits et des obligations peuvent être créés sur la tête d’une société à créer ou en cours d’immatriculation».
Athanase Dèwanou
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