Hommage à Jean Pliya
Je remercie profusément la douce et vaillante Rose et ses enfants, je remercie toute la famille Pliya de l’immense privilège dont ils me font l’honneur en m’invitant à prononcer un bref témoignage en cet instant de grande émotion.
Notre gratitude –Isabelle et moi- ne sera jamais égale à leur générosité. J’avais sollicité de Rose des indications personnelles. Elle m’a répondu qu’il fallait simplement me confier au souffle de l’Esprit … Voilà pourquoi ce témoignage aura par endroits un accent personnel que je vous prie de bien vouloir comprendre et de bien vouloir excuser.
L’annonce brutale de la disparition de Jean Pliya le 14 Mai 2015 à Abidjan a surpris et bouleversé tout le pays… Elle a aussi interpellé chacun dans ses profondeurs et je reste très marqué par les mots du Père Arsène de Souza, curé de l’église «Bon Pasteur» accueillant aux premières heures du mercredi 20 Mai la dépouille de notre frère «Je sens autour de ce cercueil une odeur de sainteté »!
Le départ silencieux de Jean Pliya en plein sommeil, sans douleur apparemment constatée, au jour commémorant l’adieu du Maître qui envoie chaque disciple en mission « jusqu’aux extrémités de la terre », voilà en effet un signe offert à la méditation de tous.
Personnellement affecté par cet arrachement, j’accepte sans détour de porter témoignage car, quelles que fussent éclipses et parenthèses, Jean et moi entretenions des rapports profonds, providentiellement guidés.
Ainsi le 19 mars dernier, dans les jardins de la Nonciature Apostolique à Cotonou, à l’occasion de la réception offerte par Mgr l’Archevêque Udaigwe pour saluer l’anniversaire de l’avènement du Pape François, plusieurs invités ont observé que mon ami et moi avions passé un long moment d’entretien personnel. Nous avions beaucoup à nous dire, évoquant des souvenirs précieux dont par exemple celui de Charles Akondé qui venait de nous quitter.
Mais surtout je voulais la réponse définitive de Jean à notre invitation de prononcer la conférence inaugurale marquant le début du Symposium portant sur « l’Initiative africaine d’éducation à la paix et au développement par le dialogue interreligieux et interculturel » Jean me dit alors qu’il s’apprêtait à m’écrire pour avouer son grand embarras.
Il avait pris toutes dispositions pour un départ en France, à Lyon, pour des rendez-vous médicaux difficilement négociés au bénéfice de son épouse à des dates fixées. Les titres de voyage déjà émis ne pouvaient changer sans pénalités. C’était vraiment compliqué.
Malgré ma forte sympathie, je ne fus pas avare d’arguments pour exprimer ma déception. « Jean, tu ne peux pas nous faire ça !» Les pénalités pour tes titres de voyage, nous les couvrions mais ton absence serait incompréhensible pour beaucoup ! Aide- moi ! » Ce plaidoyer le fit réfléchir.
La désolation sanglante suscitée par des conflits violents à connotations d’apparence religieuse, le très sombre tableau affiché pour l’avenir de notre jeunesse, la lourde responsabilité des dirigeants sociaux, tout cela nous interpellait ensemble, nous qui depuis le temps de nos études à Toulouse militions avec Joseph Ki-Zerbo, Daniel Cabou, Valère Kiniffo, Edouard Goudote, Cheikh Hamidou Kane, Robert Sastre et beaucoup d’autres pour une Afrique « partenaire majeur dans un monde majeur », décidés à recouvrer pour nos peuples toutes dignités bafouées.
Jean chercha immédiatement un compromis. Il interrogea son épouse, assise non loin de nous…Rose fut merveilleuse. Elle prononça une sorte de « Fiat ! » qui libéra chacun de nous. Elle partirait seule à Lyon. Jean la rejoindrait quelques jours après et je prenais en charge la question des pénalités.
L’histoire ne se termina pourtant pas ainsi. Quelques instants après notre accord entre nous, notre hôte, le Nonce apostolique, prit la parole pour son allocution de circonstance. Notre surprise fut énorme quand le prélat, représentant du saint Père, se mit à saluer en termes chaleureux et non équivoques l’initiative du Symposium du 26 Mai. Cette confirmation de l’importance de la démarche fit de nous, Jean et moi, des disciples jumeaux, envoyés ensemble en mission.
Le lendemain 20 Mars, j’écrivis à Rose et son époux un message de gratitude profondément ressentie voyant déjà un signe particulier dans cet épisode. Je fis part de ce message à Mgr le Nonce apostolique et aussi- divine coïncidence- à un autre ami, Mgr Nicodème Barrigah, évêque d’Atakpamè dont j’ignorais évidemment qu’il présiderait notre assemblée de ce jour en présence de Mgr Jean Zerbo, archevêque de Bamako, autre précieux confident des grâces du moment.
En vérité, ces coïncidences apparemment fortuites, ces signes étonnants s’annonçaient déjà 66 ans plus tôt quand furent organisées au Dahomey en 1949 les premières épreuves du plus haut diplôme enfin disponible à cette époque sur notre territoire : le Brevet élémentaire !
Les grandes écoles de ce temps Victor Ballot et St Gall présentèrent de nombreux candidats. Vingt furent admis. Je vois encore la scène de la proclamation des résultats : Sur un ton solennel, l’Inspecteur d’Académie annonça : Premier du Dahomey : Jean Pliya ! Deuxième : celui qui vous parle… ! Ce fut le début d’une aventure que Dieu prolongera de toutes manières – parfois malgré nous et même sans nous !- C’était souvent l’un ou l’autre en divers domaines … Parfois dans la discrétion du choix d’un prénom – « Isabelle » – pour une de ses filles car mon Isabelle à moi partageait avec Jean un petit secret : leurs deux mamans étaient princesses de Djougou dont elles avaient gardé une commune nostalgie. Cet attachement particulier guida les soins communs au premier fils, Georges, aujourd’hui doublement orphelin …
Et un jour il fallut la fusion, il fallut que ce fut l’un et l’autre, unis autour d’une enfant, d’une fille très chère, devenue figure sociale portant désormais une double appellation « Pliya – Tévoédjrè » ! Voilà notre belle histoire et la raison de ce témoignage de vérité.
En répondant présent à l’appel de monter avec le Ressuscité pour féconder toutes âmes et toutes choses, Jean Pliya a illuminé autrement et de façon encore plus haute le Symposium qu’il devait inaugurer par une communication qu’il m’a laissé le soin de prendre en charge, venant après lui comme il y a 66 ans !
Nous aimions lui et moi les rapprochements de situations que l’histoire permet d’ériger en boussole et en leçon. « Historia, magistra vitae » avions-nous appris ensemble au cours de nos études à l’Université de Toulouse avec les mêmes professeurs, les mêmes compagnons d’Afrique et d’ailleurs.
Dans nos recherches, nous avions ensemble admiré l’adresse d’Eugenio Pacelli, futur Pie XII, légat du Pape Pie XI pour la consécration de la Basilique de Lisieux. Revenant de sa mission l’illustre Secrétaire d’Etat prononça à Notre-Dame de Paris le 13 juillet 1937, une allocution restée mémorable. Pour la première fois fut avancé de manière lucide et crédible le concept de la « vocation des nations ».
Parlant très précisément de celle de la France à la veille des célébrations de sa fête nationale, le futur Pie XII préconisait avec assurance : «Les peuples comme les individus, ont aussi leur vocation providentielle. Comme les individus, ils sont prospères ou misérables, ils rayonnent ou demeurent obscurément stériles, selon qu’ils sont dociles ou rebelles à leur vocation ».
Jean croyait profondément avec moi et beaucoup d’autres à une vocation du Dahomey, de notre Bénin ! Il croyait et je crois que le Bénin, humble corridor qui relie, providentiel petit pont pour pâque en attente, est naturellement promis à devenir carrefour reconnu d’une Epiphanie de « la paix par un autre chemin» : le dialogue interreligieux et interculturel.
Jean avait trouvé merveilleux le symbole de la coïncidence de dates, celle du début de notre rencontre avec celle de l’annonce à Bethleem un an plus tôt de l’invitation du Pape François aux Présidents israélien et palestinien à venir prier avec lui à Rome pour un engagement concret sur le chemin de la paix.
Cette date du 26 Mai est restée immuable malgré toutes turbulences et tous autres engagements des uns et des autres- et en ce jour de fin de symposium, nous voici tous réunis en « Eglise » pour ensemble rechercher le vrai chemin de la paix ! « Où donc le hasard ?»
C’est Bossuet cité dans l’adresse d’Eugene Pacelli qui nous éclaire : « Dieu tient du plus haut des cieux les rênes de tous les royaumes ; il a tous les coeurs en sa main ; tantôt il retient les passions ; tantôt il leur lâche la bride, et par là il remue tout le genre humain… C’est ainsi que Dieu règne sur tous les peuples. Ne parlons plus de hasard ni de fortune ; ou parlons-en seulement comme d’un nom dont nous couvrons notre ignorance ».
Voilà comment nous pourrions comprendre le rôle éminent de grand rassembleur qu’est devenu le frère Jean Pliya. Il a visiblement inspiré les travaux de notre symposium qui, à la demande du Chef de l’Etat lui a rendu un hommage unanime tout à fait exceptionnel. Nous chanterons donc joyeusement pour lui : « IN PARADISUM deducant te angeli …In tuo adventu suscipiant te martyres» ! Martyrs de la haine gratuite, martyrs de l’épaisse nuit de la barbarie.
Nous rappellerons ainsi que sa vie pleine qui savait que «Toute minute perdue est occasion donnée à Satan » comme aimait à nous le rappeler le missionnaire Joseph Guérin, ancien Recteur du Séminaire St Gall, sa vie pleine d’étudiant brillant et pourtant studieux, de Professeur véritablement émérite, d’écrivain talentueux, de médecin providentiel, de prédicateur et de berger spirituel porteur d’espérance de pentecôte, sa vie très pleine devient « Pédagogie personnifiée » pour une jeunesse déboussolée, pour un Bénin désemparé, pour une Afrique tragiquement meurtrie, pour une Eglise interpellée dans ses profondeurs par son Fondateur lui-même qui la rassure cependant : «Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps» !
Alors, au nom de tous les tiens, ceux d’ici, ceux d’ailleurs et de partout, ceux d’hier, d’aujourd’hui et de demain, au nom des vivants et des autres que tu as maintenant rejoints, au nom de ton frère d’esprit, de cœur et de sang – Bernardin Gantin -, je te salue, Jean, mon ami de toujours, je te salue au seuil sévère du tombeau ! Va chercher le sublime, toi qui sus trouver le vrai …En ce temps de Pentecôte monte ! Monte, Esprit de Renouveau ! Grandis ! Plane ! Ouvre tes ailes ! Va …!
Adieu, Jean Pliya, le plus sincère, le plus fraternel, le plus noble de nous tous ! Va vers le Ressuscité qui t’a depuis longtemps réservé une place de choix ! Car, oui, je sens moi aussi, autour de ce cercueil une odeur d’exceptionnelle suavité…
Je sens que tous ici nous respirons une odeur de sainteté ! Ton nom a été « Jean » comme l’Esprit l’avait inspiré à Zacharie. Tu es aussi « Jean », le disciple que Jésus aimait.
Nous te retournons donc à Lui en toute confiance. Tu l’as servi avec passion. Il t’accueille avec AMOUR, l’amour irradiant l’univers des cœurs attentifs et que nous t’envions de pleinement partager. D’où notre dernière supplique :
Frère Jean, prie avec nous, prie pour nous. Ici aujourd’hui, la Nation en prière, l’Afrique en prière, espère arracher par ton intercession la miséricorde du seul grand Amour, Dieu depuis toujours, maintenant et pour les siècles des siècles
AMEN !
28 mai 2015, en l’Eglise St Jean de Cotonou
Albert Tévoédjrè, frère Melchior, Sma.
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