Loi anti-corruption : Le chien ne meurt jamais de faim devant la viande de son maître
Le fonctionnaire est par définition un travailleur du service public, lequel service donne lieu à une rétribution ou traitement. Un salaire est jaugé en fonction du niveau de vie et de l'effort de rendement fournis par l'agent, tandis que le traitement relève d'une simple imposition qui ne tient pas compte nécessairement des résultats fournis par le bénéficière ni de ses besoins réels. Le traitement salarial du travailleur public burkinabè sous l'effet d'imposition et au regard de la cherté de la vie est de notre point de vu en deçà du niveau minimal souhaité. Et cela pose problème : comment concilier les vœux de sacerdoce et de pauvreté du fait d'être un agent de l'administration publique et le souhait de vouloir vivre et de vivre dignement ?
L'être humain est un être grégaire. Il vit en société, observe et imite ses semblables. Une souffrance partagée par tous si elle n'est pas bénigne et passe inaperçue est assez facile à supporter, car vous baigner dans le même climat social et aucune différence comparable ne se constate. Dans certains villages reculés du Burkina Faso, il est tacitement interdit de construire des maisons modernes qui sortent des habitudes que la communauté s'est prescrite à travers les âges. Cette prohibition s'impose à tous sans exception, et les contrevenants à la coutume s'exposent à des dangers insoupçonnés. Dans l'administration publique burkinabè, la pauvreté ou la richesse semble être liée à une question de chance et de courage et non à un principe établi.
Tenez ! Vous êtes élèves ou étudiants d'une même promotion, après quelques années de séparation, vous vous retrouviez un jour par hasard au détour d'un lieu public. C'est à peine que tu le reconnais ton promotionnaire ! Lui, le prototype du sahélien, qui était si mince et dont les os s'observaient sans radioscopie est maintenant bien enrobé. A vu d'œil tu te rends compte qu'à l'évidence il est épanouis et heureux. Ses vêtements sont bien repassés, son habillement est impeccable, son visage rayonne, ses joues sont remplies, les pommettes sont charnues. Il respire la pleine forme et inspire respect ! Si vous avez le temps de poursuivre un peu la conversation et de vouloir savoir où chacun d'entre vous habite, il ne manquera pas de te signaler qu'il à déménager chez lui dans sa propre cours qu'il a construite il n'y a pas si longtemps. A l'étape des échanges de numéros (car vous prétendez avoir égaré un jour vos appareils portables), lui, il te sort sa Smartphone originale dernière génération que tu ne pourrais obtenir que par sacrifice d'un prêt scolaire doublé de trois mois d'épargne. Pourtant vous êtes de la cuvée d'une même école professionnelle, et de surcroît de la même catégorie. Néanmoins, avec ton téléphone à quatre puces tu enregistres son adresse en promettant de lui rendre visite à son service un de ces jours. C'est là qu'il t'indique qu'il a encore une mission à l'extérieur, et qu'il ne sera de retour dans la ville qu'à la troisième semaine. Au moment de l'au-revoir, lui, à ton grand étonnement s'oriente vers une belle voiture argentée, te fait savoir que c'est la sienne, entre, démarre et s'en va.
Toi par contre, sur ton engin poussif à deux roues aux capots désaxés, tu rentres dans ton logis tout pensif et hébété. Madame vous apporte un gobelet d'eau tiède et un riz gras sec en t'informant que le bailleur était de passage. Tu arrives à peine à avaler trois poignées. L'appétit te fuit. Les enfants savent que papa n'est pas dans ses meilleurs jours. Chacun se méfie. Mille questions trottinent dans ta tête. Que faire ? Le bilan de ta carrière ? A maintes reprises tu l'as fait ce fameux bilan ; il se résume à ceci : 19 ans que tu travail dans l'administration publique, 19 ans maintenant qu'on t'appelle « le fonctionnaire ». Et tu n'as pu réaliser quelque chose qui vaille, hormis le fait que tu es à ta quatrième motocyclette. Tu as été recruté en catégorie C, et tu t'es battu pour arriver en B, en espérant ainsi pouvoir améliorer ton niveau de vie et venir en aide à tes proches qui ont tant souffert pour toi. Mais tu as vite fais de déchanter, 30 000 FCFA de plus dans un traitement mensuel ne transforme pas un monde. Tu t'es donc investi pour repartir à l'école de formation. Après deux ou trois ans de galère et de misère dans ta position de stage, tu es ressorti comme cadre A. Mais que vaut un cadre A par analogie à un cadre de vélo sans roues ? Ton traitement n'a connu aucune évolution notable au regard de ton rang.
Les missions qui pouvaient être le secours ou l' « à côté » te permettant d'engranger au passage 25 000 à 50 000 FCFA pour aider à joindre les deux bouts ne sont plus prises en charge lors des activités organisées dans ta localité de service. Une autre stratégie qui consiste à tenir l'activité à une distance de plus de 50 km pour avoir de quoi se mettre sous la dent, semble prioritairement réservée à une certaine catégorie de personnels ; rarement tu es impliqué. Les uns vont et viennent, travaillent et se partagent la manne. Toi, tu es là, planté, scrutateur indépendant comme un gardien. Tu n'oses dire mots : respect de la hiérarchie, paix et harmonie dans ta structure de service oblige !
Depuis plus de 6 ans tu vies sous découvert permanent auprès de ta banque. Tu n'as pas un chez soi ; néanmoins tu as des projets. Ton prêt bancaire court pour 5 ans, à l'issue duquel il te faudra envisager d'acheter un terrain, soit un prêt pouvant aller à 7 ans, si ce n'est plus. Après ce remboursement tu feras enfin un autre prêt pour la construction. Et l'espérance de vie au Burkina Faso dans tout çà ? D'ici là tes enfants auront grandi, iront aux collèges puis à l'université avec toutes les dépenses connexes. Et ta situation matrimoniale avec madame par fautes de moyens n'est même pas encore régularisée. Tu te soignes avec ta petite famille à l'indigénat et par automédication au paracétamol. Heureusement que Dieu vous préserve ! Et si un jour il y'avait obligation d'aller à l'hôpital, que faire ?
Notre description quoi que imaginaire ne dévoile pas moins des réalités vécues par de nombreux fonctionnaires au Burkina Faso. A la limite, c'est le boutiquier du quartier qui sauve de temps en temps le travailleur de l'État. Autrement, à partir du 15, l'absentéisme au service par manque de carburant pour s'y rendre serait patent. Des sondages pourraient être menés pour s'en convaincre. Et au passage nous faisons un clin d'œil au statisticien-économiste et analyste-politique HONKO Roger et l'invitons à s'intéresser un temps soit peu à cette problématique.
Il nous arrive de penser que le Président Blaise Compaoré aurait pu terminer son mandat, et même espérer avoir encore d'autres prétentions si au soir du 31 Décembre 2013 il avait eu l'intuition d'augmenter de façon considérable les « salaires » des travailleurs burkinabè. Mais en dépit d'une forte attente, il a méprisé ce fait social fondamental majeur, aliénant du coup plusieurs dizaines de milliers de « Frances éclairées » légitimement aigries, qui, se sont transformés en farouches opposants en ville et en campagne. D'aucuns en essayant d'expliquer les causes de l'insurrection populaire du 30 et 31 octobre 2014 tendent à mettre exclusivement l'accent sur l'assassinant du Président Thomas Sankara, du journaliste Norbert Zongo et d'autres, ainsi que la volonté affichée de modifier l'article 37 de la constitution par l'ancien régime. Certes, la perte de ces grands hommes et la quête d'une démocratie véritable comme origine et motivation de l'insurrection est belle et morale, mais nous restons convaincu que le point d'orgue de la lutte était d'ordre matériel ; le moral n'ayant servi que d'alibi.
Le refus de voir à la hausse le traitement des salariés au soir du 31 décembre 2013, pour nous a été perçu par de nombreux travailleurs comme une insulte, un mépris de ce qu'ils vivent comme difficile réalité. Oui, les tractations avec les syndicats des travailleurs à propos de la grille salariale depuis des dizaines de mois avaient laissé entrevoir qu'aucun espoir véritable avec ce régime n'était à espérer. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Le cas du Président Maurice Yameogo avec les fonctionnaires en 1966 ne pouvait que se répéter. Et on comprend aisément pourquoi après le départ du Blaiso, les voies pour réclamer de meilleures conditions de vie et de travail se font beaucoup entendre.
Malheureusement, nos politiciens sont encore aujourd'hui plus préoccupés par leurs calculs électoralistes que par la question des perdiems qui sont servis en guise de salaire aux employés du pays des hommes intègres. On est prompte à parcourir le Burkina Faso d'Est en Ouest pour annoncer le nombre de ses supposés militants tombés au champ de bataille , mais de ce qui relève du social c'est motus et bouche cousue. Cela ne les préoccupe guère. Ni le MPP, l'UPC, l'ex parti majoritaire qui se cherche, ni autre parti politique des 200 environ que compte l'arène politique burkinabè sur les questions sociales ne se prononce. Cependant, le futur locataire de Kosyam doit d'une chose s'en convaincre : « Plus rien ne sera comme avant ». Difficilement la nouvelle génération admettra et acceptera que la prétendue pauvreté du pays érigée en slogan, et une certaine sagesse véhiculée par le concept de la patience cher à nos grands-parents servent d'excuses au dilatoire, à l'indifférence et à l'entretien de milliers de travailleurs dans la misère. Tout être humain à défaut de vivre richement aspire à vivre dignement. Si le politique n'a pas pour vocation d'apporter le bonheur au peuple, il a pour obligation de travailler à réduire ses souffrances.
Les banques de la place sont une vitrine du dénuement de la majorité des agents publics burkinabè. Il suffit d'y jeter un coup d'œil sur les différentes formes de prêts et avances sur salaire pour se rendre à l'évidence. La grande majorité des « salariés » souffrent. La seule alternative ou l'espoir qui leur reste c'est d'être à l'affût d'un poste qui leur permette d'organiser des missions à tout va, de détourner, de voler, de piller pour emplir les poches et assurer des lendemains qui chantent. Triste impasse qu'une négligence sociale et administrative du politique oblige ! On brandit à qui veut voir que le Burkina Faso n'a jamais eu de problème à payer ses travailleurs, mais combien le pays perd-t-il en retour par la corruption qu'engendre ce compromis de l'indigence entretenue ?
Heureusement, la fameuse loi anti-corruption du Professeur Laurent Bado vient d'être votée. Elle aurait été une grande victoire si elle avait été acceptée il y a déjà longtemps. Il est vrai qu'il n'est jamais trop tard pour mieux faire, et que cette loi bien appliquée pourrait assainir l'économie future de notre pays. Cependant, la loi anti-corruption actuellement sonne comme une loi mal ajustée. Oui, après que certains aient amassé illicitement des millions au dos de l'État, c'est maintenant que l'on cherche à empêcher à d'autres d'emboiter leurs pas, sans avoir châtié au préalable les coupables. Que fait-on de ces riches spontanés qui du bien commun ont puisé de quoi assurer dans un monde de plus en plus complexe et féroce leurs besoins présent et futur, ainsi que de sécuriser l'avenir de leurs fils et arrières petits fils ? Voudrait-on nous faire croire par l'irrésolution à poursuivre les criminels que l'argent mal acquis ne profite jamais ?
Nous pensions qu'il serait judicieux de commencer par traquer les fautifs connus et inconnus, et c'est à l'issue de cette cure des sangsues qu'une loi anti-corruptive pourrait alors être accueillie à sa juste valeur et appliquée avec joie comme il se doit. Autrement, c'est une loi qui donne paradoxalement une vague impression d'inachevé. En conséquence, et si la loi contre la corruption en elle-même est à féliciter au compte du PAREN et du CNT, il y a à craindre que sa réussite sur le terrain ne nécessite d'indispensables préalables. Il serait primordial d'une part de retirer les biens mal acquis et de songer à relever le niveau de vie des travailleurs d'autre part, en analysant de manière scientifique les besoins incompressibles des employés dans le contexte de notre monde actuelle ; et non de servir un traitement congrue d'avant les indépendances, qui ne peut qu'ouvrir la porte à la débrouillardise et partant à la corruption. Et il est certain que si le fonctionnaire burkinabè, cadre comme subalterne est maintenu dans la misère que nous lui savons aujourd'hui, aucune loi aussi robuste soit-elle ne lui empêcherait de déceler les failles du système et de l'exploiter à son juste profit. Le chien ne meurt jamais de faim devant la viande de son maître.
Nous voudrions conclure notre écrit qui se veut l'interpellation d'un citoyen lamsda à l'endroit des acteurs politiques burkinabè pour une inscription des préoccupations des travailleurs dans leur agenda, en jetant ici les propositions que nous pensons à même d'accompagner la loi anti-corruption pour un assainissement de l'économie de notre chère Patrie et un apaisement de son climat social :
Récupérer au préalable et dans la mesure du possible les biens mal acquis,
Éliminer les statuts particuliers dans la fonction publique qui de notre avis nous éloignent de la démocratie, crées des frustrations et renforce l'injustice,
Augmenter conséquemment les rémunérations salariales, 100 % environ, c'est toute la société au regard des liens socio-économiques qui gagne,
Rendre effectif le projet d'assurance maladie universelle, ou prendre en charge une bonne partie des frais de dépenses en santé du fonctionnaire,
Octroyer automatiquement un terrain à usage d'habitation à tout employé de l'État qui sera dorénavant recruté, et dans une ville de son choix après 10 ans de cotisation à la solde, à l'exemple de l'IUTS dès l'intégration à la fonction publique,
Initier davantage les constructions de logements sociaux à l'endroit des travailleurs, assortis de location bail sans considération de différences de catégories,
Réduire de façon remarquable (40 à 50 %) le prix des matériaux de construction (ciment, fer, tôles, etc.) et des produits de première nécessité,
Éliminer si possible la TVA lors de l'octroi de crédits en banque, car finalement le fonctionnaire paye triplement : à la solde, en banque et sur le marché,
Instaurer la journée continue dans les services publics comme certains l'ont déjà suggéré,
Réduire effectivement le prix des loyers et veiller à son application,
Automatiser et accélérer les traitements des dossiers de reclassement, d'indemnité, d'avancement, d'allocations, etc ; car les sortants des écoles professionnelles peinent et vendent souvent leurs dignités sur le terrain avant de voir leur situation régularisée, ce qui prédispose à la corruption,
Permettre le télétravail au besoin pour les services où la présence physique permanente et nocive de l'employé n'est pas une nécessité,
Vulgariser et appliquer véritablement la loi anti-corruption.
Ouagadougou, le 14 mars 2015
Lassaya NIKIEMA
Citoyen burkinabè
Contact : rimwend@gmail.com
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