Lettre ouverte à SEM le Premier Ministre : Faut-il donner de l'eau aux écoliers ou leur réserver de petits cercueils ?

Publié le mardi 17 février 2015


Excellence,


Je m'excuse très profondément de vous « emmerder » avec cette lettre qui, dans une administration normale, ne devrait pas vous être adressée. Mais comme dans l'Administration publique, même pour aller aux toilettes, il faut demander la permission au Patron, je me vois dans l'obligation de vous interpeller, intuitu personae.




Depuis plusieurs mois, le Ministère de la Santé appelle à plus de précautions pour éviter le virus Ebola. Que Dieu continue de protéger les fils et filles du Burkina Faso, en nous éloignant cette maladie. Malheureusement, il peut sembler que cet appel n'est pas un souci partagé. Sauf ignorance, je n'ai pas connaissance de mesures spécifiques ciblant les petits enfants que sont nos écoliers.


Par exemple, la haute hiérarchie de l'Eglise catholique a pris position énergiquement afin de prémunir le peuple de Dieu : on ne se serre plus les mains à l'église et l'on ne s'attrape plus les mains pour prier, en autres.


Mes neuf et demi propositions


Prenant exemple et en droite ligne des efforts du Ministère de la Santé, je voudrais vous suggérer d'instruire les Ministres concernés de pendre les mesures suivantes pour la préservation de nos écoliers.


1) Encourager tout responsable d'établissement d'enseignement à parler aux élèves une fois par semaine du virus Ebola et de ses conséquences. (La répétition est pédagogique).


2) Instruire tout responsable d'établissement d'enseignement à encourager chaque élève à se laver les mains, au moins après chaque récréation, avant de rentrer en classe. Considérons comme acquis que chaque élève se lave les mains avant chaque repas.


3) Instruire tout responsable d'établissement d'enseignement de demander aux élèves d'éviter de toujours se partager le morceau de pain à la sauce qu'ils achètent chez la vendeuse dans la cour de l'école. Nos enfants, très généreux et solidaires, se partagent tout ce qu'ils achètent au PM (petit marché), et certains après y avoir mordu.


4) Instruire tout responsable d'établissement d'enseignement d'inviter les élèves à se serrer moins les mains, de moins s'agripper en jouant. Mais comme le propre de l'enfance c'est le jeu, la camaraderie et qu'ils continueront de marcher main dans la main, les responsables d'établissement d'enseignement devront insister sur le bon réflexe de la propreté, c'est-à-dire se laver fréquemment les mains.


5) Encourager les chefs d'établissement à maintenir leur environnement propre en faisant balayer la cour de l'école et son environnement chaque matin et en installant plus de poubelles dans la cour de l'école.


6) Encourager les chefs d'établissement à exiger des femmes, qui vendent des friandises au petit marché, plus de propreté.


7) Inviter les chefs d'établissement à encourager chaque élève à venir à l'école avec son bidon plein d'eau qu'il pourra remplir à nouveau, en cas de besoin, au robinet.


8) Instruire les chefs d'établissement de supprimer les jarres d'eau à usage commun.


9) Inviter les chefs d'établissement à encourager les élèves à ne plus boire dans le même récipient (gobelet ou bidon). Chaque élève doit avoir impérativement son propre bidon.

½. Inviter…, non, j'arrête sinon vous risquez de croire que je me prends pour Moïse pour vous dicter la table de la Loi.


L'ONEA et les Communes, préférer d'abord les enfants !


Excellence, certains élèves viennent à l'école avec la solution alcoolisée pour se nettoyer les mains. C'est vraiment formidable. Malheureusement tous les élèves ne peuvent pas avoir cette solution. Pis, le récipient qui contient ce liquide n'est pas pratique pour le ranger dans un sac d'écolier ni pratique pour la poche d'une jupe ou d'un pantalon.


Je vous suggère donc, d'instruire, spécifiquement, Monsieur le Ministre chargé de l'Industrie d'encourager toutes les industries nationales et / ou toute productrice de savon de produire de petites boules de savon qui ne coûteront pas plus de 25F la boule. Ainsi chaque élève pourrait acheter une boulette avec laquelle il se lavera fréquemment les mains. Une boulette de savon sec est plus facile à ranger dans un sac d'écolier ou dans une poche. Encore une fois, comme ce sont des enfants, il faut éviter les savons liquides car en cas d'ouverture non voulu du capuchon, leurs cahiers et livres peut être salis.


Comme vous le savez, Excellence, dans le cahier des charges des écoles, toute école doit avoir un point d'eau. Beaucoup d'écoles dans les villes sont connectées au « réseau ONEA ». Malheureusement ce n'est pas le cas dans beaucoup de centres urbains. Il me semble que ce devait être une priorité pour l'ONEA et ses partenaires que sont les Communes. Mais vous avez certainement entendu la rengaine … Et comme je ne suis pas mauvaise langue, je ne vais pas la répéter.


Excellence, vous le savez certainement mieux que moi, l'ONEA facture les écoles comme si il facturait une industrie d'élevage. Ainsi, si une école de 300 à 400 élèves voulait appliquer quelques mesures ci-dessus suggérées, se laver les mains et remplir son petit bidon d'eau ne serait-ce qu'une fois par jour, par expérience vécue, cette école se retrouvera avec une facture mensuelle de plus de 100 000Fcfa. Et, croyez-moi, c'est beaucoup même pour les écoles fortunées.


Cela dit, quand on a la forte et terrible impression, c'est juste une impression, mais une impression basée sur du vécu, quand on a l'impression, dis-je, que l'ONEA est très braquée contre les écoles, qu'il jubile en coupant l'eau dans les écoles, même pour un jour de retard, vous comprendrez pourquoi les robinets des écoles sont cadenassés.


L'eau ou le cercueil, que choisir ?


Cela dit, Excellence, je vous prie de me croire. Ma folie n'est pas si grave pour plaider pour la gratuité de l'eau dans les écoles. C'est une folie douce qui plaide pour que l'eau soit facturée à un tarif unique dans toute école. C'est pour nos enfants. Permettez-moi la redondance : c'est pour la bonne cause, c'est pour les petits écoliers du Burkina.


Excellence, si nous, responsables, ne libérons pas l'argent pour subventionner l'eau dans les écoles, afin de favoriser l'éducation de nos écoliers à la propreté et à l'hygiène, nous décaisserons cet argent pour acheter de petits cercueils pour les enterrer. Je touche du bois et, fou doux, je crache par terre !


Pour conclure, laissez-moi vous confesser mon pressentiment : la grosse entrave viendra de vos services. Ils tenteront de vous démontrer la formule de l'eau : rare, donc chère.


Plaise à Dieu qu'ils ne vous écrivent pas ce commentaire à la marge : « mieux vaut laisser mourir les écoliers que de baisser le prix de l'eau dans les écoles ».


Je vous prie, Excellence, de croire en mon dévouement.


André-Eugène ILBOUDO





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