Les militaires dans l'histoire politique burkinabè : Au pays du rat et du serpent

Publié le dimanche 22 février 2015


En attendant que le pavé jeté dans la marre à propos d'une candidature du Général Gilbert Diendéré pour le compte du CDP soit confirmé ou infirmé dans les mois à venir, le général Djibril Yipèné Bassolé et les colonels Yacouba Ouédraogo et Jean Baptiste Natama, pourraient être candidats à la présidentielle du 11 octobre prochain. Cette éventualité n'est plus au stade d'appels incessants montés de toutes pièces ou de rumeurs. Les trois officiers supérieurs agissent dorénavant à visage découvert par le biais de partis politiques.




Ils sont désormais adossés respectivement à la Nouvelle alliance du Faso (NAFA), à l'Union pour le Burkina Nouveau (UBN) et à la Convergence patriotique pour la renaissance/Mouvement progressiste (CPR/MP) pour se lancer dans la conquête du pouvoir d'Etat. Afin de ne pas égratigner leur patron Blaise Compaoré, ils sont parvenus à leurs fins après des détours qui n'en valaient vraiment pas la peine : animation de pages Facebook laudatives, tournées nationales sous la bannière d'association déguisée, cour assidue aux opérateurs économiques et à la communauté internationale par personnes interposées.


Quelques mois seulement avant l'insurrection populaire, l'attitude des officiers présidentiables, qui n'hésitaient pas à se parer de l'effigie de l'ex-Président du Faso et des couleurs du CDP, laissait sous-entendre que Blaise Compaoré était si indispensable et si irremplaçable qu'ils n'osaient pas se lancer dans une telle aventure contre lui. Ils ont même donné, de façon active ou passive, leur caution à son aventure périlleuse.


Tant que Blaise Compaoré tenait les rênes du pays, aucun de Djibrill Bassolé, Yacouba Ouédraogo et Jean-Baptiste Natama « n'était assez fou pour lorgner son fauteuil présidentiel » comme l'a reconnu sans ambages Simon Compaoré, l'ex-maire de Ouagadougou. Avant les 30 et 31 octobre 2014, ils ne se sont jamais estimés assez intelligents et assez compétents pour lui succéder bien qu'ils aient été conscients que son bail à la tête du pays prenait légalement et irréversiblement fin en 2015. Ils savaient aussi que le débat sur le référendum ne se résidait pas dans son caractère légal mais sur son air immoral étant donné que leur mentor n'a jamais respecté sa parole donnée sur le principe de la limitation des mandats. Proches de Blaise Compaoré, ces officiers supérieurs ont préféré jouer le rôle de l'hyène Tabaki auprès du roi usurpateur Sherkane dans le livre de la jungle Mowgli de Rudyard Kipling.


Soit, ils ont tout simplement manqué de courage pour faire entendre raison au grand sachem d'alors sur le risque qu'il prenait avec son projet suicidaire de révision de l'article 37 de la Constitution. Soit, ils ont fait preuve de sournoiserie dans le but de profiter d'une situation catastrophique. Les ambitions de ces temps-ci corroborent un tel entendement. Une fois le baobab de Kosyam tombé, ils n'ont même pas attendu que leur famille commune, le CDP, éprouvée et désemparée, tente quoique ce soit dans le but de se ressouder. Ils ont entrepris d'élaguer les branches, voire couper les racines, pour se faire une place au soleil.


Le saut subit des bidasses dans l'arène politique doit susciter des inquiétudes au sein d'une frange importante de la population. Non pas à cause d'une quelconque assise électorale de ces officiers supérieurs mais du fait de la facilité avec laquelle les militaires vont encore accéder au jeu politique avec la complicité des civils. Quoiqu'ils soient « électeurs et éligibles » comme tous citoyens burkinabè, leur propension à fourrer, de plus en plus, le nez dans la chose politique est susceptible de biaiser l'un des enjeux de l'insurrection populaire qui voudrait que le pouvoir d'Etat, confisqué par les militaires depuis le 3 janvier 1966, revienne enfin aux civils. Les cadres de l'armée, qui laissent maintenant libre court à leurs ambitions politiques, n'ont pas encore atteint l'âge de la retraite, seule issue pour eux d'opérer une telle mutation vers la vie civile comme c'est le cas dans les grandes démocraties.


A coup sûr, leur désir de rompre les rangs va être satisfait avec diligence par la hiérarchie. Ils se « déshabilleront » bientôt sans avoir vraiment quitté l'armée en esprit car ils sauront toujours s'appuyer sur l'appareil militaire et policier en comptant sur des frères d'armes « en cas de cas ». La stature d'un homme de tenue ne se résume pas seulement au physique ; elle se mesure plus à l'esprit. Les civils dont Roch Marc Christian Kaboré, Salif Diallo et Simon Compaoré, qui ont longtemps pactisé avec le tombeur de Thomas Sankara, l'ont appris à leurs dépens. En réalité, ils n'ont jamais bénéficié d'une totale confiance. Confinés dans les liens de la méfiance selon un stratagème, ils ont été abusés et tournés en bourriques comme des marionnettes pour servir des desseins inavoués tandis que les vrais pions, les militaires, compagnons d'armes de Blaise Compaoré pour la plupart, détenaient les vraies rênes du pouvoir.


Le peuple burkinabè sombre parfois dans la naïveté de croire en des hommes et des femmes providentiels au point d'oindre, très tôt et à tout vent, n'importe quel nouveau venu pour conduire son destin. La facilité avec laquelle « l'illustre inconnu », jusqu'à la date du 1er novembre 2014, Lieutenant-Colonel Yacouba Isaac Zida, à qui l'on a très tôt attribué un lot de valeurs et de vertus, a bénéficié du soutien d'OSC et de partis politiques sans que le moindre discernement invite à la méfiance. Aux premières heures de son exercice de Chef de l'Etat, une catégorie de militaires s'est mise à penser que l'affaire était dans le sac et envisageait déjà de remplacer les civils lors des cérémonies officielles. Il faut craindre que les mêmes erreurs de choix perdurent au-delà du 11 octobre prochain.


La lutte des 30 et 31 octobre 2014 sera non seulement un remake du 3 janvier 1966 dans le fond et dans la forme. Les aspirations profondes des martyrs et des héros de l'insurrection populaire pourraient alors être étouffées et usurpées par des personnes, longtemps postées en embuscade, qui n'ont jamais eu le courage ni de leurs opinions, ni de leurs ambitions depuis le temps que « le béni de tous les dieux », Blaise Compaoré, était aux affaires.


« L'armée au pouvoir ! ». Ce cri poussé par des civils, le 3 janvier 1966, a trahi le destin démocratique de tout un pays, de tout un peuple pendant un demi-siècle environ. Depuis lors, les relations entre les civils et les militaires dans le partage du pouvoir au Burkina Faso illustrent bien ce que Amadou Kourouma a peint dans Les soleils des indépendances par cette image : « Le rat a creusé le trou pour le serpent avaleur de rat ». Les premiers ont toujours servi d'échelle pour l'ascension des seconds qui les embastillent ensuite et les obligent à un rôle de suppôts. Seules six années de pouvoir sont entièrement et exclusivement revenues aux civils sur les cinquante-cinq (55) ans d'indépendance. L'orthodoxie militaire et policière, respectée à la lettre à l'époque, empêchait les éléments de s'aventurer sur ce terrain-là. Au lieu d'exiger la vacance du pouvoir et réclamer une succession du Président Maurice Yaméogo selon les dispositions de la Constitution, des civils regroupés au sein des partis politiques et des syndicats, ont commis l'erreur, non encore expiée, d'appeler l'Armée à s'installer confortablement au palais au point de ne plus jamais émettre la nécessité de remettre les clés. En dehors de cette phase transitoire, le Burkina Faso enregistre un seul Chef d'Etat et Président de la République civil sur les six personnes qui l'ont dirigé jusque-là.


L'accès facile des militaires et des policiers à une carrière politique doit être repensé au Burkina Faso. La reconversion de Blaise Compaoré en 1991 résulte de cette légèreté dans la mutation des bidasses vers la vie civile. Celui-ci n'avait que quarante (40) ans quand le vent de l'Est a soufflé sur le Burkina Faso, l'obligeant à renouer avec l'ordre constitutionnel interrompu depuis 1980 et à organiser une élection présidentielle en 1991. Pour troquer son treillis contre le boubou dan fani puis la veste, Blaise Compaoré a bénéficié, dans un premier temps d'une disponibilité de sept (7) ans. Dans l'euphorie et l'idiotie selon lesquelles « Dieu a tant aimé le Burkina Faso qu'il lui a donné Blaise Compaoré » (Propos ignobles de Eulalie Yerbanga, ex-député du Kadiogo et ex-conseillère municipale de Saaba pour le compte du CDP), du « Beau Blaise », de « l'enfant terrible de Ziniaré », de « Naam Bilaisé », de « A l'heure actuelle, aucun Burkinabè ne peut diriger le pays en dehors de Blaise Compaoré », personne ne s'est vraiment plus soucié du statut réel du Président du Faso durant toutes ses autres années passées à la magistrature suprême jusqu'à son éviction du pouvoir.


Depuis le 3 janvier 1966, les casernes se sont transformées en plates-formes politiques et les unités en partis politiques avec des leaders tels Sangoulé Aboubakar Lamizana (1966-1980), Saye Zerbo (1980-1982), Jean Baptiste Ouédraogo (1982-1983), Thomas Sankara (1983-1987), Blaise Compaoré (1987-2014). Avec bien sûr des clans opposés, attisés par des civils, dont les luttes à coups de « Kalash » parfois, ont entaché à plusieurs reprises la volonté d'un peuple à se réaliser dans le concert des nations.


Depuis le 3 janvier 1966, les passe-passe entre bidasses ont caractérisé les successions à la tête du pays jusqu'à l'onction civile de Blaise Compaoré à partir de 1991 à travers l'ODP/MT, le CDP, l'ADF/RDA, la Mouvance présidentielle, la nébuleuse FEDAPP-BC. Le même scénario pourrait se reproduire en 2015 avec d'autres méthodes aboutissant aux mêmes résultats : l'usurpation de la lutte héroïque ayant entrainé la chute du régime de Blaise Compaoré et l'espoir du retour d'un vrai civil à la tête du pays après Maurice Yaméogo.


Depuis le 3 janvier 1966, certains militaires et policiers accordent plus de temps à la politique et aux intrigues qu'aux métiers des armes. Le passé de la Haute Volta et de l'actuel Burkina Faso doit inspirer et éclairer son avenir sociopolitique d'après 30 et 31 octobre 2014. Il faut tirer les leçons qui s'imposent. Les casernes, les brigades, les commissariats ne doivent plus porter un écho partisan. Ces lieux et les personnes qui y travaillent, doivent être entièrement dévoués à la République et aux autorités qui l'incarnent dans le temps constitutionnellement imparti. L'armée et la police sont des institutions si essentielles et si délicates dans la vie d'une nation qu'il convient de les entourer de garde-fous empêchant leurs principaux acteurs d'avoir très tôt des partis pris, d'être tentés par une opinion personnelle en dehors de l'esprit républicain, de nourrir des ambitions individuelles au-delà du choix traditionnel de veiller sur la sécurité de l'ensemble des Burkinabè.


A force de tolérer que les bidasses et les flics militent ouvertement dans des partis et affichent publiquement leurs opinions politiques, ils ont fini par être au service d'un groupe, d'un système au détriment de la nation toute entière. Depuis le 3 janvier 1966, le militaire y compris le gendarme ou le policier a un pied dans la politique et l'autre au camp ou au commissariat.


Si le CDP s'est senti omnipuissant à un moment donné, au point de tout connaître sur ses adversaires et de forger piteusement une renommée de briseurs de partis pour certains de ses dirigeants, c'est parce qu'ils ont bénéficié des renseignements et des filatures de la police et de la gendarmerie. Le pouvoir de Blaise Compaoré et son parti se sont habilement appuyés sur le manque de discipline et de rigueur sur cet aspect-là au sein des Forces de défense et de sécurité (FDS). A défaut d'attendre l'heure de la retraite, tout militaire ou policier tenté par une carrière politique doit se soumettre à une immersion. Il faut s'assurer que ces corps habillés attirés par la politique se sont vraiment « déshabillés de corps et d'esprit ».


Au lieu d'être guidées par la primauté de l'Etat et des valeurs républicaines, les FDS se sont adonnées à des missions partisanes. Si l'on n'y prend garde, d'autres formations politiques pourraient bénéficier de leurs services dans cet embrouillamini. Il faut craindre qu'un candidat ne soit perçu, à tort ou à raison, comme celui de l'armée voire des FDS d'autant que dans les erreurs d'équilibrisme pour contenter tout le monde, le Conseil national de transition (CNT) leur a consacré un groupe parlementaire au sein duquel les « députés » corps habillés du parti coalisé FDS apprennent à dire « Oui » ou « Non ». Ce qui ne saurait être le cas pour cette catégorie particulière de la population dont le principe sacro-saint : « De par le Président du Faso, chef suprême des armées, vous reconnaitrez désormais pour chef, un tel et vous lui obéirez en tout ce qu'il vous commandera pour la protection des personnes et des biens ou le succès des armes du Burkina Faso ».


Il faut ramener toutes les FDS dans les rangs en les mettant aux pas et au service de la nation. A force de fermer les yeux sur certaines pratiques incompatibles avec leurs missions respectives, des hauts cadres de l'armée et de la police, voire des FDS, ont investi tous les secteurs d'activités et contrôlent aujourd'hui, de façon déguisée ou directement, une grande partie du paysage socio-économique et bientôt politique.


Filiga Anselme RAMDE

filiga_anselme@yahoo.fr

Pour lefaso.net





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