Observations de Me Migan sur le discours du chef de l’Etat sur l’état de la Nation : » Yayi veut construire un Bénin nouveau à la fin de son mandat à partir de normes obsolètes, caduques et dépassées «
Conformément aux exigences de l’article 72 de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990, le chef de l’Etat a délivré au peuple béninois le traditionnel discours sur l’état de la Nation. Au regard de la situation socio-politique actuelle, le Président de la République a abordé, comme on pouvait s’y attendre, plusieurs questions. Il ressort de son discours plusieurs perspectives sur les plans politique et socio-économique pour l’année 2015. Ces perspectives suscitent des observations et des inquiétudes pour la vitalité de la démocratie et de l’économie béninoise.
1- Sur la nécessité de créer une Cour des comptes
Dans son discours sur l’état de la Nation, le chef de l’Etat a insisté sur la nécessité de doter notre pays d’une Cour des comptes, instrument important de contrôle des finances et moyen efficace de lutte contre la corruption. Cet instrument est d’ailleurs recommandé par les normes de l’Uemoa dans le but d’assainir les finances publiques et d’assurer une gouvernance transparente. Seulement, le contexte politique actuel, caractérisé par la tension et la suspicion de tous les acteurs politiques sur les réelles intentions du chef de l’Etat sur tout projet de révision constitutionnelle, ôte toute crédibilité à toute initiative qui nécessiterait la révision de la loi fondamentale. Pour la période qui reste avant l’expiration de son second et dernier mandat, le Président Boni Yayi peut appliquer à la gestion de l’Etat et à sa propre gestion des mécanismes alternatifs, à savoir, contrôle et audit réguliers des recettes et des dépenses de l’Etat pour assurer une gouvernance transparente au Bénin. S’il est vrai que l’insertion de la Cour des comptes dans le dispositif constitutionnel est un noble objectif, il y en a un qui se situe au-dessus : l’alternance politique en 2016. Or, une telle alternance risque de rester un vœu pieu si la Cour des comptes sert de paravent à toute révision opportuniste.
2- Sur la perspective d’une croissance économique à 6%
Le Président Boni Yayi entend assurer au Bénin une croissance économique à 6% à l’horizon 2015. Pour y arriver, il envisage de concentrer les investissements dans les secteurs de l’énergie et des infrastructures notamment ferroviaires. Les opérateurs économiques étrangers, respectivement, Dangote et Bolloré seront chargés d’assurer l’expansion économique du Bénin grâce à ces différents pôles d’activités économiques. Mais on sait que la croissance économique à deux chiffres projetée par le chef de l’Etat depuis le début de son mandat est un leurre. Des milliards de F Cfa ont été engloutis dans la production du coton pour atteindre cette croissance à deux chiffres et nous savons tous que le résultat est à la fois catastrophique et désespérant. S’agissant des investissements en matière d’énergie, les investissements relatifs à la construction de turbines à gaz à Maria-Gléta (commune d’Abomey-Calavi) constituent des éléphants blancs et annoncent l’échec quasi- certain d’autres types d’investissements improvisés dans ce domaine.
Par ailleurs, le projet d’infrastructures ferroviaires confié au groupe Bolloré sera assurément une gangrène pour l’économie nationale, qui est du reste, fortement paralysée par une gestion chaotique et improvisée des grands chantiers. En effet, le groupe Bolloré, partenaire stratégique du Bénin dans ce projet, est en train de construire actuellement à Niamey la voie ferroviaire à écartement métrique de 1m datant des années 1980 avec des matériels usagers de réemploi, sans respect des normes Iso internationales d’1,435m. Le matériel utilisé par le groupe Bolloré à Niamey et qui sera utilisé au Bénin est en voie de disparition, le matériel neuf pour l’entretien de la voie métrique n’existe plus, d’où les futures difficultés d’approvisionnement des pièces de rechange et la charge d’entretien très élevées. Le Syntra Ocbn avait tiré la sonnette d’alarme et appelé l’attention du gouvernement sur la question. C’est donc avec effarement et désolation que nous apprenons à travers le discours du chef de l’Etat qu’un tel projet puisse aider à dynamiser l’économie nationale en vue d’une croissance à 6%.
3- Sur la loi dérogatoire
Il ressort du discours du chef de l’Etat, la nécessité de voter une loi dérogatoire pour éviter de pérenniser la paralysie du processus électoral. Mais sur ce point, le discours du Président est empreint d’une ambiguïté : l’évocation de la Lépi dite complète. Le Cos-Lépi a montré à la Nation toute entière son incapacité à la doter d’une liste sur la base de laquelle, les élections seront organisées (contraintes de moyens et de temps). En votant une loi dérogatoire, l’on ira à l’établissement d’une liste ad’hoc pour organiser les élections. Dans ce schéma, il n’y aura pas de Lépi (une arlésienne) ni de Cos- Lépi (une institution budgétivore qui devait accoucher de la Lépi), et les responsabilités seront confiées à la Cena.
Il faut préciser qu’à la date d’aujourd’hui, il est possible de convoquer le corps électoral en respectant la loi, sans besoin de recourir à une loi dérogatoire pour réduire les délais exigés. En l’état, le Code électoral permet de convoquer le corps électoral et en cas de difficultés, de revenir sur la convocation si toutes les forces engagées dans les élections se mettent d’accord (voir article 49 du Code électoral).
Devant cette possibilité de modification du corps électoral, on ne comprend plus l’idée du gouvernement lorsqu’il lie la convocation du corps électoral à la disponibilité de la liste électorale et à la saisine du gouvernement par la Cena. Les dates et délais sont retenus pour permettre de préparer certaines opérations techniques et éviter toutes dérives. Si le chef de l’Etat ne convoque pas maintenant le corps électoral, non seulement, on aura des difficultés pour se conformer aux délais des opérations, mais également, des problèmes pour connaître le juge du contentieux des actes préparatoires, surtout que la Céna ne sait pas à ce jour, quelle élection elle aura la charge d’organiser.
En somme, le discours du chef de l’Etat sur cette question n’informe pas clairement sur ses ambitions quant au dégel de la crise actuelle du processus électoral.
A s’en tenir à ce discours, l’impréparation, l’improvisation et la gabegie symptomatiques de la gouvernance du régime du changement-, de la refondation perdureront bien évidement en 2015. Vivement 2016 pour l’alternance !
Maître Jacques A. MIGAN
Ancien Bâtonnier
via La Presse du Jour http://www.lapressedujour.net/archives/38243