Maîtriser la transition au Burkina : Cerner la mission précise pour éviter l'échec répétitif
L'Armée est toujours au cœur de la commande politique au Burkina Faso après le 31 Octobre. Nul ne peu nier cette évidence. Les militaires sont relativement nombreux au Gouvernement de Transition à des postes clés, en plus ils sont aussi relativement nombreux au Parlement de transition actuels. Or la vérité historique prouve que les militaires mués accidentellement en politiciens tombent souvent dans la dérive autoritaire en renversant les processus de révolution démocratique à des retours à la dictature.
Le Capitaine Dadis CAMARA en Guinée 2008-2009 et le Général Robert GUEÏ en Côte d'Ivoire 1999-2000 sont des exemples plus récents en Afrique sur des dizaines. Mais l'exemple évocateur, un peu lointain, cependant plus dramatique dans l'histoire moderne universelle est sans doute celui vécu par la France pendant sa révolution démocratique.
Le retour au totalitarisme suite à la Révolution Française (1789-1799) survint avec le coup d'État militaire du Général NAPOLÉON BONAPARTE. Ce coup d'État militaire en France par le Général Napoléon1 et les événements qui s'en étaient suivis avaient coûté plus de 50 ans de piétinement2 à la France qui, cependant, ambitionnait hâtivement de mettre en place une démocratie républicaine inspirée de celle des Etats-Unis d'Amérique novateurs.
Le constat est irréfutable que les exceptions de militaires politiciens progressistes et libéraux sont très rares. On peut mettre cette attitude politique négative des militaires sur le compte d'une déformation professionnelle mentale. Sur cette base, on aura raison de toujours craindre pour le Burkina Faso dans sa situation actuelle.
Cependant au-delà de la crainte fondée qu'est ce qui peut se faire par optimisme pour éviter un échec ? Comment éviter au Burkina de tomber dans un cycle négatif d'éternel recommencement comme au Togo voisin depuis 1992 ?
Cerner la mission précise de la transition et bien la remplir
En dehors de tout accessoire, la mission du gouvernement de transition au Burkina consistera à se focaliser uniquement sur l'objectif principal. Il s'agira d'organiser des élections qui devront mériter tous les attributs démocratiques, oui, il faut le répéter, des élections qui devront mériter tous les attributs de la démocratie, c'est-à-dire la précision et l'efficacité dans l'organisation, la transparence et l'équité dans l'intention afin d'entraîner comme conséquence l'adhésion du peuple.
Pour cet objectif, il faudra fuir la négligence et écarter toute méprise. Ces deux maux sont très fatals à tout processus démocratique. Le gouvernement de Transition ne pourra pas se livrer à de l'à-peu-près. Si le résultat de la gouvernance au Burkina après les 12 mois n'affiche pas les attributs précités de démocratie viable, Le pays risquera de revenir à la case départ et ira de chute en rechute.
Le Burkina ne devra pas prendre le chemin tortueux que le Togo a pris depuis 1990 après l'insurrection du 05 Octobre. Au Togo l'opposition démocratique a été négligente d'un côté et le régime militaire et totalitaire d'Eyadema de l'autre côté a commis des méprises et par conséquent le peuple togolais est dans la tourmente depuis bientôt 25 ans.
La mise en place de la démocratie est comme une cuisine de mayonnaise. On ne la réussit pas en faisant de l'à-peu-près. Elle rate et échoue toujours dès la moindre négligence ou une méprise dans le processus.
Les principaux acteurs publics actuels au Burkina semblent rassurer l'opinion qu'ils viennent de composer une équipe compétente. Les responsables politiques actuels, surtout les opposants se sont satisfaits de ce gouvernement qu'ils estiment technocrate et sans ambition politique immédiate pour ceux qui la composent. Espérons que cette assertion soit la bonne pour le bien du peuple Burkinabé.
Pour notre part, observateurs externes partant de cet optimisme interne, nous pouvons proposer comme solution concrète de réussite, d'explorer quelques pistes de choix de rigueur et d'actions rapides pendant la courte période transitoire de 12 mois.
Créer deux pools d'action
Il faut être clair et insister sur le fait que le Gouvernement de Transition n'est pas là pour faire du développement socio économique ou de la réparation de torts éthiques. Sa mission est ailleurs. Sa mission est de poser les fondations institutionnelles viables sur lesquelles viendront s'ériger postérieurement et durablement les actions de cohésion sociopolitique et de développement socioéconomique dans le long terme après la brève transition.
Précisément, comme option, il faudra pour les 12 mois à venir mettre au ralenti certains secteurs publics pour concentrer l'effort sur des secteurs techniquement vitaux pour l'enracinement rapide des institutions fortes au Burkina. Il faut d'un côté un service minimum en périphérie et de l'autre un dynamisme énergique sur le centre de gravité du gouvernement. Il faut donc définir deux zones ou pools et deux types d'actions. Cette façon d'opérer sera nécessaire car les ressources financières, même humaines, disponibles dans un pays modeste comme le Burkina ne sont pas débordantes pour soutenir aisément le genre d'action que le gouvernement transitoire doit conduire. Alors il faut définir des priorités et s'en tenir strictement.
A- Créer un pool 1 concentrique pour les actions de priorité
Cinq ministères seulement et le Conseil de Transition doivent rentrer dans cette zone ou pool :
1- Ministère de l'Administration Territoriale, de la Décentralisation et de la Sécurité
2- Ministère de la Communication, chargé des Relations avec le Conseil National de la Transition, Porte-parole du Gouvernement
3- Ministère de l'Agriculture, des Ressources Hydrauliques, de l'Assainissement et de la Sécurité Alimentaire
4- Ministère de l'Économie et des Finances
5- Ministère des Mines et de l'Énergie.
Puis en dehors du gouvernement,
6- Le Conseil National de Transition.
Le gros de l'effort de réussite de la transition se reposera sur deux ministères au sein de ce pool. Ce seront :
a - l'Administration Territoriale, de la Décentralisation et de la Sécurité puis
b - la Communication, chargée des Relations avec le Conseil National de la Transition, Porte-parole du Gouvernement.
Et, à ces deux ministères, il faut ajouter Le Conseil National de la Transition comme point focal. Cela donne un trinôme dynamique central. La majorité des ressources humaines, les meilleurs, et des autres ressources et moyens de travail iront à ces trois secteurs. Les tâches indispensables à accomplir ici seraient :
• 1.1 - Pour le Conseil National de Transition : il devra être très habile en réflexion et en créativité juridique. Il devra produire un texte fondamental qui prévoit tous les garde- fous possibles en formulant des lois très coercitives qui empêchent des atteintes de toilettage et de modification à des fins partisanes ou personnelles de la Constitution - comme a voulu le faire Blaise Compaoré le 31 Octobre dernier et comme avait pu le faire Gnassingbé Eyadema au Togo en 2002. D'autres dispositions coercitives et/ou permissives doivent formuler toutes les situations imaginables pour sauvegarder durablement l'ordre républicain.
Par ailleurs puisqu'il est évident qu'il ne suffit pas d'avoir de bons textes pour instaurer des institutions fortes, mais qu'il faut, en complément, de bons hommes vertueux pour les appliquer il faudra donc trouver des mécanismes de sélection judicieux en ce qui concerne les candidats aux hautes fonctions d'Etats. Réflexion et imagination créatives sont très indispensables à ce niveau précis.
• 1.2- Pour le Ministère de la Communication : il devra beaucoup s'activer dans une tâche intensive de sensibilisation et d'éducation civique et politique de masse en faisant la promotion et l'organisation de beaucoup d'émissions d'information et de débats contradictoires sur les medias de masse. Ces débats ne devront pas être animés par les politiques mais par des universitaires et autres personnes ressources outillées en théories et idéologies politiques. Ce sera dans le but de préparer le peuple à se familiariser voire s'imbiber des grands traits des courants divergents en politique moderne et comprendre la possibilité de débats contradictoires cordiaux sans existence de vérité absolue.
Le Ministère de la Communication, comme recommandation, devra par ailleurs s'efforcer de manière à ce que dès l'aboutissement de ce bref processus de transition, les principaux candidats qui chercheront à diriger le pays puissent se soumettre à des débats publics contradictoires courtois pour défendre leurs programmes comme cela avait pu se faire en Côte d'Ivoire en 2011 entre Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo. Ce sera très souhaitable dans la mesure du possible.
• 1.3- Pour le Ministère de l'Administration Territoriale : il devra, en plus de sa mission de mise en place des instruments et organes de pilotage des élections, jouer le rôle de relèvement rapide du niveau de performance managériale des partis politiques. Car nous savons que la plupart de nos partis politiques actuels en Afrique ne sont pas encore des lieux où la production intellectuelle et l'expérience administrative brillent.
La censure et la répression d'opinions critiques et la corruption ambiante en régime de dictature en sont les causes. Alors les meilleurs citoyens qui sont réfléchis et productifs restent souvent à l'écart de la politique.
En remède rapide pour le Burkina il sera souhaitable que le Ministère de l'Administration fasse l'effort de combler sans parti pris cette insuffisance de productivité intellectuelle et d'expérience administrative au sein des partis politiques. Dans ce dessein, il devra organiser toute une série de séminaire-ateliers en : - élaboration de programmes et définition de projets politique, - construction et mobilisation de mouvement, entre autres, à l'endroit des formations politiques sans parti pris. Si cette tâche n'est pas accomplie, bien accomplie, on risquera de se retrouver éventuellement avec des candidats sans éclat qui viendront défendre des ambitions de clans et de réseaux d'intérêts obscures au lieu de défendre des idées et projets politiques rationnels et républicains.
Dans le Gouvernement de Transition, au sein le pool dynamique, viennent en assistance directe au trinôme du noyau les trois autres unités. Dans cette mission d'assistance rapprochée la Finance joue son rôle naturel de mobiliser et orienter les fonds nécessaires vers ce centre vital d'impératif temporaire. L'Agriculture et la Sécurité alimentaire est mise dans ce pool juste pour surveiller et garantir l'équilibre écologique vital du pays pendant cette courte période cruciale. Les Minies et Énergies y est placé aussi pour éviter que les circuits de fuite de capitaux mise en place par les réseaux de l'ancien régime déchu ne trouvent des brèches d'opération pour échapper à la vigilance du peuple dans son effort immédiat de récupération et sécurisation des ressources indispensables à la restructuration démocratique rapide des institutions.
Pour ce pool dynamique s'il faut envisager des attributions de ressources disponibles, on n'exagérerait pas en consacrant près de 60% des ressources à ce pool d'action d'urgence pour les 12 mois prévus.
B - Gérer au ralentit un pool 2 périphérique.
A dessein, tous les autres ministères en dehors du pool 1 (pool dynamique) devront être soumis à une cure temporaire d'austérité. On les mettra au stade d'activités en fonctionnement minimum pour le maintien de roulement courant sans ambition d'objectif élevé immédiat. Ceci permettra de prélever des ressources sur ce pool 2 périphérique au ralenti et les orienter vers le pool d'urgence fondatrice si nécessaire.
Les propositions ici faites sont un point de vue libre livré à chaud. Les acteurs concernés, principalement le Chef du Gouvernement, peuvent en trouver un intérêt et en prendre inspiration pour aller au-delà.
Par ailleurs, la réussite de la transition dépendra aussi de la mise en veilleuse de certaines actions indispensables cependant non urgentes. Par exemple les intentions de rechercher, identifier et honorer le corps de l'ancien président assassiné Thomas Sankara et d'autres victimes du régime de dictature, et faire extrader le président déçu Blaise Kompaoré d'où qu'il se trouve et le juger sont nécessaires mais ne doivent pas constituer une urgence dans le cadre de la transition de 12 mois. Débuter à mettre en œuvre ces vœux de réparations morales et éthiques serait une occasion de diversion d'attention et de dispersion d'énergie par rapport à la tâche précise et principale de mise en place immédiate des institutions nouvelles fortes et viables dans les 12 mois.
New York, le 30 Novembre 2014
Michel KINVI,
Sociologue Consultant/
Auteur « Discours à ma génération : La Destinée de l'Afrique »
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