Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d'une transition « d'exception » (14)
Au Burkina Faso, dans la famille Guissou, il y a d'abord Henri Guissou. Né le 17 novembre 1910 à Koudougou où il est mort le 22 mai 1979. Fils du chef de terre, élève à l'Ecole normale William-Ponty de Gorée, comptable dans les services financiers de la Côte d'Ivoire à partir de 1936, il sera élu le 13 janvier 1947 au Conseil de la République sur la liste conduite par Joseph Conombo, liste sur laquelle il figurait en deuxième position.
C'est lui qui, le 19 août 1947, a été le rapporteur du projet de loi portant rétablissement de la colonie de Haute-Volta. Celle-ci avait été purement et simplement rayée de l'Empire français le 5 septembre 1932 et démembrée au profit des colonies de Côte d'Ivoire, du Mali et du Niger. Il mènera alors une carrière parlementaire au sein du groupe des Indépendants d'outre-mer. Le cheval de bataille des Indépendants, c'était la décentralisation administrative, « l'adaptation progressive et raisonnable des coutumes traditionnelles aux principes fondamentaux de la civilisation moderne », l'application du Code du travail, le développement de l'éducation et des services de santé et la défense des anciens combattants.
Guissou sera réélu en 1951 et en 1956 ; en 1957, il va être de ceux qui, en rupture avec le PCF, vont s'apparenter au groupe UDSR-RDA initié par François Mitterrand. Dans le cadre de la Communauté instituée par le général De Gaulle, il deviendra sénateur jusqu'à la proclamation de l'indépendance de la Haute-Volta le 5 août 1960. Il va alors entamer une carrière diplomatique aux Nations unies (1961) avant d'être le premier ambassadeur voltaïque en France (1961-1964) puis en Allemagne de l'Ouest (1964-1966), et de revenir à Paris où il restera ambassadeur jusqu'en 1972 ; en 1976, il partira à la retraite.
Il y a ensuite Basile Guissou. Si Henri Guissou a marqué l'histoire de la Haute-Volta d'avant et d'après l'indépendance, Basile Guissou a, quant à lui, marqué l'histoire du Burkina Faso. Après avoir milité dans les années 1970 au sein de l'Organisation communiste voltaïque (OCV), dont il sera exclu pour dérive « rosicrucienne » et « pratiques obscurantistes », il fondera, en 1979, avec Valère Somé, l'Union de lutte communiste (ULC). Mais il va rompre avec le marxisme-léninisme « tropicalisé » pour rejoindre le RDA dont son oncle, Henri Guissou, qui l'a élevé un temps, est une personnalité majeure. La « révolution » du 4 août 1983 va le ramener dans la nébuleuse communiste dans le cadre de l'ULC-Reconstruite (ULC-R). Il devient ainsi ministre des Relations extérieures et de la Coopération (Thomas Sankara étant président du Conseil national de la Révolution, président du Faso), du 31 août 1984 (il est numéro deux du gouvernement, derrière Blaise Compaoré, puis numéro 5 à compter du 31 août 1985) au 29 août1986 : il est alors nommé ministre de l'Information et se retrouve numéro 12 d'un gouvernement dont il va disparaître le 4 septembre 1987.
François Mitterrand s'est rendu au Burkina Faso les 17-18 novembre 1986. De nouveaux accords de coopération avaient alors été conclus en février 1985 entre Paris et Ouaga sous la conduite de Guissou, et la Commission mixte franco-burkinabè s'était réunie à nouveau après une suspension de cinq ans. On évoquera « une réconciliation avec le néo-colonialisme français entamée par Sankara ». C'est que, dans le même temps, Guissou était devenu l'unique Burkinabè parmi les 400 membres « transnationaux » du Parti radical italien de Marco Pannella.
Guissou sera subjugué par Pannella. « J'ai passé une nuit blanche, dira-t-il après leur première rencontre. Je n'ai pas pu dormir parce que c'était la première fois que l'on renversait toute ma logique, toutes mes valeurs. Est-ce que nous sommes obligés de reprendre à notre compte toute la charge d'intolérance, d'incompréhension et de violence que nous avons hérité de notre société ? »*. Guissou fera part de son émerveillement à Sankara qui rencontrera Pannella en 1985**. Pannella, leader politique italien aujourd'hui âgé de 84 ans (il est né en 1930), est un adepte de « l'utopie romantique » et des grèves de la faim, fasciné par les héros classiques, naviguant entre populisme, fascisme, « gandhisme »… rien d'un marxiste, moins encore d'un léniniste. Il fera l'éloge de Sankara dans « Nigrizia » du 7 décembre 1987, le jugeant plus « libéral et démocrate » que « marxiste et militaire », capable de citer Novalis (« l'écrivain pré-romantique allemand, pour lequel la réalité du rêve dessinait la vérité de la vie », ajoutait Pannella), notant les prénoms « cornelliens » (Philippe et Auguste) « et non pas de héros africains ou communistes » à ses fils, ajoutant : « Comme Mussolini, mais avec une toute autre élégance et douceur, et ingénuité sincère, il puisait dans les thèmes classiques, grecs ou latins, d'amour patriotique ou républicain, de vie spartiate ». Il dira encore que le « slogan lugubre » : « La patrie ou la mort, nous vaincrons », était une tentative de « récupérer, sans y réussir, le « Il est doux et digne de mourir pour la patrie », en renouvelant inconsciemment, au contraire, le « Rome ou la mort » et le lexique de tous les fascismes ». Sankara aurait été un héros du « Grand Meaulnes », « français comme Saint-Augustin fut catholique-romain. Vraiment français ».
A travers cette appartenance de Guissou au Parti radical italien, très éloigné des idéaux affichés du CNR, sa personnalité apparaît intellectuellement complexe. Il avait été réticent à la conquête du pouvoir par les militaires avant de juger que le 4 août 1983 était une « révolution » qui aura été « l'aboutissement logique d'une insurrection véritablement populaire ». « Tout autre point de vue, disait-il alors, procéderait d'un point de vue pédantesque et ridicule » (cf. note*). Le 7 octobre 1987, il écrira à Sankara, se disant préoccupé par les rumeurs qui circulaient dans Ouaga : « Faut-il arrêter la révolution ? C'est la question centrale à l'heure actuelle […] Beaucoup autour de toi n'en veulent plus et n'auront jamais le courage politique de poser le problème et d'en débattre » (cf. note *).
Après avoir quitte le gouvernement au cours de l'été 1987, Basile Guissou retournera comme chercheur en sociologie politique au CNRST (dont il sera, par la suite, le directeur général) avant d'être arrêté et torturé de décembre 1987 au 25 mars 1988. « Le CNR, dira-t-il, a implosé de lui-même et non par l'action d'une force extérieure. Donc ce sont les mêmes acteurs qui n'ont pu trouver de mécanisme de gestion de leurs contradictions, qui ont été acteurs et victimes à des degrés divers, de ce qui est arrivé ». Le leitmotiv de Guissou tient en quatre mots : « Assumer son histoire politique ».
En juin 2011, dans le cadre des travaux du conseil consultatif sur les réformes politiques, il dira que « c'est l'échec de l'Etat de droit qui est à l'origine de la majorité des coups d'Etat que le pays a connu depuis son indépendance ». Quant à son positionnement politique, il est clair et net : « Depuis 1983, je suis un intellectuel du pouvoir. Je n'ai jamais été un intellectuel contre le pouvoir ». Sa position, « quel que soit le régime », tient dans une interrogation : « Quelle contribution puis-je apporter pour que mon pays ne recule pas ? ». C'est la question que se pose aussi, sans doute, Joséphine Ouédraogo, née Guissou, aujourd'hui numéro un du gouvernement Kafando/Zida***.
* Cité par Ludo Martens (avec la collaboration de Hilde Meesters), « Sankara, Compaoré et la révolution burkinabè », éd. EPO, Berchem (Anvers), 1989.
** Marco Pannella se rendra à Ouagadougou où il demandera alors à rencontrer dans sa prison, Gérard Kango Ouédraogo et sollicitera sa libération. GKO avait été président de l'Assemblée de la CEE-ACP et Pannella était un européaniste convaincu.
*** Numéro un lors de la nomination du gouvernement. Mais, aujourd'hui, si on consulte le trombinoscope sur le site de la primature (qui n'a trouvé la photo, jusqu'à présent, que de 9 des 25 ministres), elle se retrouve en troisième position derrière le ministre de l'Administration territoriale et le ministre de l'Economie et des Finances.
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
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