La peine de mort au Burkina : Pourquoi faut-il l'abolir ?

Publié le lundi 8 décembre 2014


Le contexte décisionnel actuel est marqué, comme on le sait, par des velléités de réformes institutionnelles et normatives. Dans la foulée, c'est aussi une autorisation législative devant permettre au gouvernement de la transition de ratifier le Protocole facultatif n°2 au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui est vivement attendue. Avec la ratification de ce Protocole facultatif, l'heure de l'abolition de la peine de mort aura sonné au pays des Hommes intègres. Mais pourquoi abolir cette peine capitale dans un pays où l'on décrie de plus en plus le grand banditisme ? Sur la question, le magistrat Adama Nana, Secrétaire permanent du Comité interministériel des droits humains et du droit international humanitaire (CIMDH) que nous avons rencontré le 2 décembre dernier, nous livre son analyse en plaidant pour cette abolition.




La peine de mort est une peine capitale prévue par le Code pénal burkinabè. Elle est exécutée par fusillade. Fusillade à laquelle devra assister le juge ayant prononcé cette peine. La dernière fois où elle a été exécutée dans notre pays, remonte à 1978. Par la suite, elle a été prononcée ; mais elle n'a pas été exécutée depuis lors. En clair, bien que cette peine existe encore dans notre système judiciaire, elle est restée inappliquée depuis des années. Toute chose qui fait classer notre pays au rang des pays dits ‘'abolitionnistes de fait'', de cette peine dans un monde de plus en plus favorable à son abolition.


Et au-delà de son abstention dans l'exécution, notre pays a entrepris de s'inscrire dans cette dynamique d'abolition de la peine de mort. C'est du moins, ce qui a été donné de constater à travers l'adoption en Conseil des ministres en octobre dernier, d'un projet de loi portant autorisation de ratification du Protocole facultatif n°2 au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). L'aboutissement de ce projet de loi ayant été interrompu, l'heure est à la résurgence de la motivation à même de le faire ramener sur la table du législateur de la transition ; duquel législateur son adoption est vivement attendue. Toute chose qui permettra au gouvernement de rendre effectif l'aboutissement du processus d'abolition de la peine de mort dans notre pays.


Abolir pour éviter l'irréparable


Et il faut aller dans ce sens, parce que « la justice burkinabè n'a pas suffisamment de moyens pour garantir une bonne administration de la justice ». C'est du moins, ce que relève le Secrétaire permanent du CIMDH, Adama Nana, avec la précision que cette réalité du milieu judiciaire – qu'il connaît parfaitement - expose à des « risques d'erreurs judiciaires ». « Or, explique-t-il, si vous exécutez quelqu'un, et que plus tard, vous vous rendez compte qu'une erreur a été commise, on est dans une situation de l'irréparable, en plus du fait qu'on aura occasionné pour la famille de cette personne, un chagrin énorme. L'absence de cette personne rendra la société toute entière en situation d'avoir une charge qui est qu'il faut qu'il faut s'occuper de la suite des successibles de cette personne ». Et quand on sait que l'objectif primordial d'une peine est, bien sûr de sanctionner le délinquant, mais surtout de lui offrir l'opportunité de s'amender, de changer de comportement, de se réinsérer, et de revenir à de meilleurs sentiments pour travailler à se prendre en charge et éventuellement à apporter sa pierre à la construction de la société, l'on peut aisément convenir de l'abolition de la peine de mort.


Engagements internationaux obligent…


En plus du manque de moyens conséquents à la disposition de la justice, il se trouve que le Burkina Faso a accepté, en devenant partie à plusieurs Conventions internationales, notamment la Déclaration universelle des droits de l'Hommes (DUDH), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), de retirer la peine de mort de son système de sanction pénale. L'exclusion de la peine de mort, le pays des Hommes intègres y a consenti en ratifiant également le Statut de Rome qui institue la Cour pénale internationale (CPI). Mieux, rappelle M. Nana, « Nous sommes en outre allés voter le moratoire sur la peine de mort ; ce qui, plus ou moins, est un signal fort de l'Etat burkinabè à opérer l'abolition dans un délai déterminé ».

Autre aspect, ajoute le Secrétaire permanent du CIMDH, c'est que le Burkina Faso est membre du Conseil des droits de l'Homme des Nations-Unies. Et en cette qualité, notre pays doit afficher un certain nombre de comportements dont celui du rejet de l'élimination de la vie humaine, fut-elle par voie de disposition légale. La préservation de la vie humaine, c'est ce qu'enseigne aussi le droit international humanitaire que prône notre pays. « On ne peut pas, précise M. Nana, vouloir travailler à préserver la vie, et en même prévoir de détruire cette vie ». Le moins que l'on puisse dire, c'est que notre pays doit se soumettre aux obligations contractées dans le cadre des conventions internationales déjà ratifiées.


Au lieu de la peine de mort, la peine à perpétuité


En tout état de cause, et selon M. Nana, la peine de mort dans le Code pénal burkinabè, « se retrouve sans utilité quelconque ». Elle n'est même pas dissuasive. Et l'explication en est, selon lui, que « Le délinquant, lors qu'il va commettre son acte, ce n'est pas qu'il ignore l'existence de la peine de mort, mais il est motivé par autre chose, de sorte que cette peine ne le dissuade pas ».


Au lieu de la peine de mort à l'encontre des délinquants crapuleux, M. Nana préconise : « Il y a la peine à perpétuité qui est là, il y a d'autres formes de sanctions qui peuvent protéger la société et offrir au délinquant, des opportunités de se réinsérer ». Car, dit-il, « Je ne pense pas que c'est en exécutant l'auteur d'un assassinat ou d'un meurtre avec des circonstances aggravantes, que cela satisfait la famille de la victime ; non, ce n'est pas nécessairement cela. La famille de la victime, ce qui l'arrange, c'est de se retrouver dans sa situation antérieure aux faits passibles de la sanction pénale, en l'occurrence la peine de mort ». Et d'expliciter, « Je veux dire que la famille aurait aimé voir la victime ressuscitée et remise en son sein ; ce qui n'est pas possible ». Le fait d'exécuter l'assassin n'apporte donc pas de satisfaction totale à la famille de la victime.

Mais, en emprisonnant un tel délinquant et en le faisant travailler pour quand même rendre service à la société, M. Nana dit penser « c'est plus adoucissant du point de vue du chagrin subi par la victime ».

L'autre réalité, c'est qu'avec le temps, de tels délinquants bénéficient parfois de la grâce présidentielle de sorte qu'ils se retrouvent en liberté. De la sorte, l'emprisonnement, même à perpétuité, ne semble pas être le palliatif conséquent à la peine de mort dans la volonté de rendre justice.


En cette faculté de grâce reconnue au chef de l'Etat, M. Nana dit voir une astuce pour éviter l'exécution de la peine de mort. En effet, précise-t-il, « Cela veut dire qu'on s'est créé la peine de mort, et on s'est créé cette porte de sortie qu'est la grâce pour ne pas la mettre en œuvre ». Et de s'interroger, « A quoi bon donc la maintenir ?


Le Burkina Faso ne doit pas rester en marge de la mobilisation mondiale


Toutes ces raisons combinées à la réalité du terrain qui est que la peine de mort dans notre pays « n'a pas été exécutée il y a très longtemps », devraient, de l'avis de M. Nana, motiver dans le sens du vote par le législateur de la transition, du projet de loi relatif à la ratification du Protocole facultatif n°2 au PIDCP. Ce d'autant plus, à en croire le Secrétaire permanent du CIMDH, « qu'on est phase de relecture de nos textes, dont le Code pénal, le Code de justice militaire ».


Pour lui, le magistrat Adama Nana, le Burkina Faso ne doit pas rester en marge de la mobilisation mondiale en cours depuis quelques années, en faveur de l'abolition de cette peine. Du côté du Mouvement burkinabè des droits de l'Homme et des peuples (MBDHP), l'on annonce la mise en œuvre prochaine « d'actions fortes » entrant dans le cadre de cette mobilisation mondiale. C'est du moins, ce qu'a laissé entendre Abdoulaye Balboné, Secrétaire à l'information et à la communication du MBDHP, le 2 décembre dernier, à l'occasion d'un atelier organisé à Ouagadougou, par le Bureau régional Afrique de l'ouest du Haut-commissariat des Nations-Unies aux droits de l'Homme en collaboration avec Amnesty international-Burkina. L'objectif à terme de toutes ces actions et analyses étant d'obtenir l'abolition de la peine de mort au Burkina Faso.


Fulbert Paré

Lefaso.net





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