Candidatures indépendantes : Entre soutien, prudence et opposition

Publié le mercredi 31 décembre 2014

La récurrence de la question des candidatures indépendantes dans le débat public, mérite qu'on s'y penche. Nombreux sont ceux qui souhaitent que cette question soit, au cours de la transition, tranchée pour de bon dans le sens de son admission ou non aux élections législatives et municipales. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la question continue de diviser au sein aussi bien du caucus des Organisations de la société civile (OSC), que de la classe politique. En tout cas, le Mouvement burkinabè des droits de l'Homme et des peuples (MBHP) et le Cadre de réflexions et d'actions démocratiques (CADRe) tiennent des positions frontalement opposées, sur la question. Au sein de la classe politique, les responsables de partis se veulent prudents, au regard du caractère à la fois sensible et capital pour notre démocratie, mais surtout parce les calculs politiciens obligent.




Au Burkina Faso, si l'on peut être candidat à l'élection présidentielle sans être membre d'un parti politique (article 123 du Code électoral), il n'en va pas de même en ce qui concerne les élections législatives et municipales. Pour candidater à ces dernières, la première des conditions auxquelles il faut satisfaire, c'est d'être membre d'un parti politique. Ce qui, de l'avis de M. Aly Sanou, le Secrétaire général du MBDHP, « est un paradoxe » qu'il convient de dépasser en autorisant les candidatures indépendantes.


Reconnaître les candidatures indépendantes à toutes les consultations électorales, c'est faire droit à une revendication citoyenne que notre Constitution consacre. C'est du moins, ce que soutient M. Sanou ; car, « L'article 13 de la Constitution dit que tous les Burkinabè ont la faculté de concourir à la gestion des affaires de l'Etat et de la société ». Malheureusement, à l'opposé de cette loi fondamentale qui n'oblige pas que les citoyens soient membres d'un parti politique pour être députés, conseillers municipaux ou maires, le Code électoral, aux termes de ses articles 157 et 246, sert de fondement au rejet par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) des candidatures indépendantes aux élections législatives et municipales.

Relativement aux élections municipales, l'article 157 du Code électoral précise que « Seuls les partis ou formations politiques légalement constitués depuis soixante-dix jours à la date du scrutin et conformément à l'article 13 de la Constitution peuvent présenter des candidats ». Quant aux municipales, l'article 246 énonce que « Les déclarations de candidatures doivent être formulées par le mandataire d'un parti politique ou d'un regroupement de formations politiques ».


Les gens n'ont pas totalement confiance aux partis politiques


Ces deux dispositions fondent ainsi le rejet jusque-là opposé à ceux qui, sans être membres d'un parti politique, veulent candidater à de telles compétitions électorales. Un rejet qui, de l'avis du MBDHP, « freine la participation citoyenne », en ce sens que ce sont de nombreux citoyens dynamiques, valeureux, dans lesquels les populations se reconnaissent, qui se trouvent ainsi écartés de la gestion des affaires de la société.

Et ce, relève M. Sanou, au mépris d'instruments juridiques internationaux dont le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Déclaration universelle des droits de l'Homme, qui reconnaissent le droit pour les citoyens de participer à la gestion des affaires de leur société en dehors de toute appartenance à un parti politique, et auxquels instruments notre pays a souscrits. Et le comble, selon M. Sanou, c'est que le refus des candidatures indépendantes se conjugue mal avec le contexte socio-politique où « les gens n'ont pas totalement confiance aux partis politiques ». Ce manque de confiance aux partis politiques, Me Bénéwendé Sankara, président de l'UNIR/PS (l'Union pour la renaissance/ Partis sankariste) et Hyppolite Domboué, Secrétaire exécutif du CADRe (Cadre de réflexions et d'actions démocratiques), disent trouver qu'il relève du passé.

Les citoyens aimeraient, foi du SG du MBDHP, « qu'en plus des partis politiques, il y ait des citoyens en qui ils se reconnaissent pour leur probité ou pour leur manque de probité ». Toutefois, le MBDHP, à en croire M. Sanou, n'est pas « contre les partis politiques ». D'ailleurs, la conviction générale qui se dégage au sein du Mouvement, c'est que « l'instrument le plus moderne dans la gestion des affaires de l'Etat, c'est le parti politique ; il a toute sa place ». Mieux, M. Domboué et ses camarades du CADRe jurent que le Burkina Faso « ne saurait décoller que si on met l'accent sur le renforcement et l'organisation des partis politiques ». Car, « Seuls les partis politiques sont à même aujourd'hui, de faire un éveil de conscience efficace, et mieux orienter le programme de développement pour notre pays ».


Il faut soumettre l'individu au principe organisé pour défendre les intérêts des masses


En tout état de cause, « il faut également, plaide ardemment le MBDHP, reconnaître aux citoyens, en dehors des carcans partisans, le droit de pouvoir se présenter aux élections ». Au MBDHP, autant l'on a conscience que la reconnaissance des candidatures indépendantes ne peut être une panacée pour résoudre les tous déficits démocratiques de notre pays, autant l'on soutient que cette reconnaissance peut « être une contribution pour ramener notre pays dans le giron démocratique », voulu de plus en plus pluraliste.


Ce qui semble emporter l'adhésion de Me Bénéwendé Sankara, de l'UNIR/PS (l'Union pour la renaissance/ Partis sankariste). Pour lui aussi en effet, « vu sous cet angle du seul renforcement de la démocratie pluraliste, personne ne devrait être contre la candidature d'un citoyen indépendant mais surtout libre ou organisé qui voudrait dans le sacerdoce, servir son pays ». Pour le MBDHP et l'UNIR/PS, les candidatures indépendantes apparaissent donc constitutives de facteurs de rayonnement de la démocratie burkinabè.

Mieux que les candidatures indépendantes, le principe organisationnel est, de l'avis du CADRe, « très important pour la construction d'une nation ». Pour cette OSC en effet, « Le parti politique est par essence, qualitativement supérieur à toutes les formes d'organisation sociale ». De ce fait, il faut, précise son Secrétaire exécutif, « soumettre l'individu au principe organisé pour défendre les intérêts des masses ». La défense des intérêts des masses ne saurait, à en croire M. Domboué, être effective dans un contexte d'autorisation des candidatures indépendantes.


Les candidatures indépendantes ont un caractère bourgeois


Pour le CADRe en effet, « les candidatures indépendantes ont un caractère bourgeois », surtout dans notre « démocratie libérale où de plus en plus, les gens mettent les moyens matériels au-dessus l'être humain ». Si elles venaient à être admises, les candidatures indépendantes ne pourraient « être favorables qu'aux bourgeois compradors ; le pauvre ne pourra jamais se faire élire », présage M. Domboué. Toute chose qui, selon lui, ne fera que la part belle « à la bourgeoisie au sein de l'Assemblée nationale ».


S'associant ses camardes du CADRe, M. Domboué justifie cette perception bourgeoise des candidatures indépendantes : « Nous, nous sommes une organisation de gauche. Nous faisons la primauté du groupe sur l'individu. Nous prônons la solidarité au lieu de l'individualisme. Et un individu à lui seul, ne saurait et ne pourrait défendre les intérêts des masses populaires ».

Au-delà de cette considération idéologique, le CADRe estime qu'un « individu élu sur la base de sa seule candidature à l'Assemblée nationale, il fera ce qu'il voudra ». Or, précise M. Domboué, « s'il est élu sous la bannière d'un parti politique, il peut être contrôlé et être amené à mieux défendre l'intérêt de son parti et des masses ».


Le PAREN, très réservé….


Si le PAREN (Parti de la renaissance nationale) dit être favorable aux candidatures indépendantes pour les municipales, il est, précise son président Tahirou Barry, « très réservé sur la question des candidatures indépendantes aux élections législatives car cela accentuera la personnalisation des candidatures au détriment des idéologies et programmes partisans ». Or, ajoute-il, le PAREN a « toujours soutenu que la politique est une compétition d'idées et non d'individus ou de moyens ; et tout ce qui peut fragiliser le rôle des partis en tant qu'institutions légitimes porteuses d'alternatives crédibles, doit être évité ». L'autre fondement de la réserve du PAREN vis-à-vis des candidatures indépendantes aux élections législatives, c'est que « cela peut empêcher l'homogénéité au niveau parlementaire et être source d'instabilités gouvernementales ». En sus, il faut, de l'avis de M. Barry, « craindre que tous les loups interdits de se constituer en partis politiques selon la loi ne se déguisent en candidats indépendants pour mieux distiller des projets contraires aux valeurs républicaines ».


Le débat sur les candidatures indépendantes doit être posé au cours de la transition

La question des candidatures indépendantes doit donc être tranchée par le Législateur. Dans ce sens, le MBDHP préconise « qu'à faveur de la transition actuelle, la discordance entre la Constitution et le Code électoral soit simplement balayée de notre ordre juridique interne ». « Pour nous, précise Aly Sanou, dans les réformes électorales et institutionnelles qui doivent s'opérer sous cette transition, nous attendons vivement que les candidatures indépendantes soient enfin reconnues. Ce ne sera qu'une justice faite aux citoyens burkinabè ».


Le même espoir, Casimir Sawadogo du RAD (Réseau d'action pour la démocratie), dit le nourrir. Pour lui également, « Il faut donner la chance à tout le monde ; ce ne sont pas seulement les partis politiques qui s'intéressent à la gestion de la Nation ; cela intéresse chaque citoyen ». Et en tant député de la transition, M. Sawadogo promet de « défendre les candidatures indépendantes pour les consultations électorales ».

Pour cette même période transitoire, le président de l'UNIR/PS clame « la nécessité de poser opportunément le débat (sur les candidatures indépendantes, ndlr) dans le cadre des futures réformes pour un meilleur choix pour le Burkina Faso et sa démocratie qui se veut désormais réelle et effective au service de la paix, du progrès social et économique et de la justice ». Dans ce sens, précise Me Sankara, « de même que je plaide pour la relecture de la charte des partis politiques, de même je ne serai pas pour des candidatures indépendantes sans conditions nécessaires et suffisantes de garantie d'ancrage institutionnel et démocratique ».

Autant dire que si le débat venait à être soumis à l'organe législatif qu'est le CNT (Conseil national de la transition), il fera l'objet d'abondantes controverses. Il est temps, selon Me Sankara, que la classe politique burkinabè dégage un consensus sur cette question de candidatures indépendantes. Mais dans quel sens finira-t-elle par être tranchée ? Les jours et mois à venir, offriront sans doute, d'y être situé.


Fulbert Paré

Lefaso.net





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