Bravo à la société civile burkinabè ! Mais le travail n'est pas terminé…
Les évènements de la fin du mois d'octobre 2014 qui ont conduit au départ du Président Blaise Compaoré font de la société civile burkinabè un modèle que beaucoup de ses homologues sur le continent regardent aujourd'hui avec intérêt. Elle a fait preuve d'une détermination et d'un esprit de sacrifice remarquables, elle a démontré une capacité d'organisation exemplaire et apporté une contribution appréciable aux négociations relatives au délicat passage de la Révolution à la Transition. Mieux, la société civile burkinabè rappelle aux Africains, de fort belle manière, que leur destin se trouve entre leurs mains et que personne n'a les moyens de le confisquer.
Mais, l'histoire politique récente d'autres pays de notre continent enseigne que se débarrasser d'un pouvoir devenu indésirable pour une raison ou une autre n'est souvent que le début d'une nouvelle aventure. La Transition peut ne pas être un long fleuve tranquille. S'entendre sur les tâches à assigner à la Transition peut ne pas être aussi simple que cela pourrait paraître. Une fois ces tâches définies, s'assurer qu'elles sont exécutées dans les délais et à la satisfaction de la majorité peut se révéler extrêmement difficile. Réduire les risques que le nouveau cadre institutionnel et légal produit par la transition trahisse les espoirs du peuple peut nécessiter encore beaucoup d'efforts et de sacrifices.
L'expérience a également montré qu'il est imprudent de compter sur les seuls animateurs des organes de la transition – notamment les acteurs politiques et les forces de sécurité mais aussi parfois des acteurs de la société civile – pour apporter des réponses appropriées aux défis évoqués ci-dessus. Une société civile proactive, vigoureuse et volontaire demeure indispensable si l'on souhaite une transition qui porte les fruits des espoirs nés de la révolution et des sacrifices consentis pour cela. Elle doit pouvoir aider à déterminer les tâches précises de la Transition, à suivre leur mise en œuvre dans les délais et à surveiller le pouvoir post-transition.
Les évènements récents à travers le continent ont en outre révélé que la manière dont la société civile participe à la transition aux côtés des acteurs politiques et des Forces de défense et de sécurité peut lui être fatale. En effet, elle peut se retrouver purement et simplement décapitée par la Transition parce que cette dernière a tendance à coopter tout naturellement les figures majeures de la société civile dans les organes qu'elle met en place. La société civile se retrouve ainsi sans ses figures de proue pour intervenir et prendre positon dans le débat public. Dans le même temps, elle perd un peu de sa crédibilité aux yeux de l'opinion publique pour qui la société civile n'a de valeur que si sa contribution est gratuite, empreinte d'un certain degré d'altruisme, ce qui suppose qu'elle n'essaie pas d'en tirer profit,
Les effets de cette "décapitation" (affaiblissement) de la société civile par la transition peuvent s'étendre à la phase post-transition. En effet, une fois la Transition terminée, les figures de proue de la société civile qui ont aidé à sa gestion peuvent être rejetées par leurs pairs qui les considèrent désormais comme compromis par leur expérience de la politique. Si de nouvelles figures n'émergeaient pas rapidement (ce qui en général ne se fait pas du jour au lendemain), la société civile serait incapable au moment décisif d'apporter une contribution de qualité non seulement à la résolution des défis de la transition mais également ceux de la période post-transition.
En Guinée par exemple, la société civile n'est toujours pas complètement relevée de sa participation au processus de transition du pays entre 2007 et 2010. Au Sénégal, la société civile a combattu aux côtés des partis politiques pour l'avènement de l'alternance en 2012. Après quoi, les politiciens vainqueurs se sont sentis obligés de l'associer – et probablement une partie de la société civile s'est sentie méritant d'être associée – à la gestion des affaires publiques. Des phénomènes similaires ont été observées dans des pays comme le Kenya, le Mali et le Niger.
Il est par conséquent important que tous – société civile, acteurs politiques, leaders d'opinions, partenaires techniques et financiers du Burkina – travaillent à s'assurer que la société civile demeure capable d'aider à relever les défis qui attendent le pays dans sa marche vers le renouveau. Il s'agira essentiellement de s'assurer que toutes ses figures majeures ne rejoignent pas la Transition et que des moyens existent pour un certain nombre d'entre elles pour continuer la veille et la proactivité nécessaires pour le succès de la Transition et pourquoi pas pour celui de la phase post-transition.
Mathias HOUNKPE
Administrateur du Programme de Gouvernance Politique
OSIWA (Open Society Initiative for West Africa)
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