Affaire Issa Lohé Konaté : La Cour africaine des droits de l'homme et des peuples condamne le Burkina Faso

Publié le lundi 8 décembre 2014


On se rappelle de cette affaire qui avait fait beaucoup de bruits au Burkina Faso. En effet, accusé de diffamation par le Procureur du Faso, Placide Nikiéma, le directeur de publication de l'Ouragan, Issa Lohé Konaté avait été condamné par la Justice à 12 mois de prison et à une amende de quatre millions de francs CFA. Amenée devant la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, l'affaire a connu son dénouement. L'Etat burkinabè est condamné à dédommager le journaliste pour avoir violé l'article 9 de la Charte africaine, l'article 19 du Pacte et l'article 44 du Traité révisé de la CEDEAO. Nous vous proposons ici, le rapport fait par l'Union panafricaine des Avocats (UPA) qui a suivi le dossier de bout en bout. Lisez !




L'UPA a le très grand plaisir d'annoncer la décision de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (Cour africaine) portant sur la requête 04/2013 : Konaté c. Burkina Faso (l'affaire Konaté) qui a été rendue le 5 décembre 2014.


En 2012, Issa Lohé Konaté, directeur de l'hebdomadaire L'Ouragan, basé au Burkina Faso, a été arrêté, jugé et condamné pour diffamation contre le Procureur du Burkina Faso, M. Placide Nikiéma, à une peine de 12 mois de prison et une amende de 4 000 000 francs CFA (6 000 Euros ). Il avait été arrêté suite à la publication de deux articles questionnant le comportement d'un procureur de la République. Les articles ont soulevé des questions sur des allégations d'abus de pouvoir par le bureau du procureur, en particulier dans le traitement d'une affaire très médiatisée relative à la contrefaçon et au trafic de faux billets de banque.


Dans sa requête à la Cour africaine en date du 17 Juin 2013, M. Konaté, représenté par Maître Nani Jansen de Media Legal Defence Initiative (MLDI), a allégué une violation de l'article 9 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (Charte africaine), de l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et de l'article 66 du traité révisé de la CEDEAO. Le requérant a demandé à la Cour de : déclarer que l'emprisonnement pour diffamation viole le droit à la liberté d'expression ; constater que les lois sur la diffamation criminelle ne devraient être utilisées que dans des circonstances restreintes ; ordonner au Burkina Faso de modifier ses lois nationales qui restreignent la liberté d'expression et d'indemniser le requérant en réparation de toutes les pertes encourues, y compris la perte de revenu.


En mars 2014, 18 organisations de la société civile et organisations non-gouvernementales, dont l'UPA sont intervenues en qualité d'amici curiae (amis de la cour) dans l'affaire Konaté à la Cour africaine à Arusha (Tanzanie), pour répondre aux préoccupations croissantes concernant l'utilisation des lois sur la diffamation criminelle pour censurer les journalistes et autres professionnels en Afrique. Le groupe représenté par le directeur exécutif de l'UPA, Me Donald Deya, et Me Simon Delaney de Delaney Attorneys, a fait valoir que les lois contre la diffamation et les injures criminelles sont incompatibles avec la liberté d'expression et compromettent gravement les droits démocratiques des médias et des citoyens concernés à exiger de leurs gouvernements qu'ils s'expliquent. Les gouvernements utilisent souvent ces lois pour faire taire les voix critiques et priver le public d'informations sur les mauvaises conduites des autorités. Le déni systématique de la liberté d'expression mène les pays sur une pente glissante vers l'impunité et l'autoritarisme. Il existe un lien clair entre la censure et la mauvaise gouvernance. Une société démocratique ne peut fonctionner sans un engagement actif pour la liberté d'expression. Les lois sur la diffamation criminelle du Burkina Faso, tout comme celles de nombreux pays africains, sont les vestiges du colonialisme. Ces lois sont incompatibles avec une Afrique démocratique indépendante. Environ 95% des pays dans le monde sont dotés de lois sur la diffamation. En 2013, 211 journalistes ont été emprisonnés pour avoir fait leur travail. Les pays africains sont ceux qui utilisent le plus ces lois incriminant la diffamation pour condamner à une amende et emprisonner des journalistes.


La requête a été jugée recevable et la Cour a procédé à son examen sur le fond. Elle a déclaré :

• À l'unanimité, que l'État défendeur a violé l'article 9 de la Charte africaine, l'article 19 du Pacte et l'article 44 du Traité révisé de la CEDEAO ;

• Les violations de la liberté d'expression ne peuvent être sanctionnées par un emprisonnement. Avec 6 voix pour et 4 contre, la Cour a déclaré que les sanctions existantes non privatives de liberté n'ont pas violé l'article 9 de la Charte africaine, l'article 19 du PIDCP, l'article 66 du traité révisé de la CEDEAO. Toutefois, les sanctions doivent être non seulement civiles mais également proportionnées à la violation sinon elles sont incompatibles avec la Charte ;

• À l'unanimité, que chaque partie supporte ses frais de procédure ;

• Les restrictions doivent viser un but légitime, toutes les peines prononcées par la Haute Cour et la Cour d'appel étaient disproportionnées au crime allégué.

La Cour a ordonné :

• Que l'État défendeur abroge les peines privatives de liberté, et adopte une loi qui réponde aux critères de proportionnalité et de nécessité, dans un délai raisonnable n'excédant pas deux ans.

• Que l'État défendeur indemnise le requérant pour les pertes subies. Celui-ci n'ayant pas indiqué clairement le montant requis dans sa requête, ordonne au requérant de soumettre un mémoire sur les réparations dans les 30 jours à compter de la date du prononcé de l'arrêt. L'État défendeur doit déposer son Mémoire en réponse sur les réparations dans les 30 jours après réception du mémoire du Requérant.


L'UPA salue cette décision historique qui changera le panorama de la liberté d'expression sur le continent africain.





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