Echecs massifs des candidats au Cep, Bepc et au Bac 2016 : Analyses et propositions d’enseignants, inspecteurs, conseillers pédagogiques…
Les résultats du Cep, Bepc et Bac 2016 ont été catastrophiques. Les taux de réussite à ces examens ont largement chuté cette année. On a enregistré, respectivement les taux de 39%, 16% et 30%. La principale raison est le refus de rachat des candidats, contrairement aux années précédentes. Autrement, les candidats bénéficiaient de coups de pouce de la part des décideurs. Il est dit qu’ils sont rachetés, très souvent, jusqu’à la moyenne de 6 sur 20. C’est dire que beaucoup d’entre eux ne méritaient pas d’avoir leur diplôme. La situation est préoccupante. Mais quelles sont réellement les causes de ces échecs des candidats et quelles solutions y apporter pour inverser la tendance ? Enseignants, conseillers pédagogiques, inspecteurs croisent dans ce mini dossier leurs approches.
Jean-Pierre Koucou, Secrétaire général de la Fédération des syndicats pour une éducation de qualité. (Féseq) : Évidemment, il y a plusieurs causes à souligner. Il y a le programme d’étude en vigueur, c’est-à-dire l’approche par les compétences (Apc). On ne peut pas enseigner l’Apc dans une langue étrangère qui est le français. Alors, tant que nous allons continuer à enseigner l’approche par les compétences dans la langue étrangère, on n’aura jamais les résultats escomptés. Donc le problème est à la base. Mais il n’y a pas que le programme d’étude. Il y a aussi la formation des enseignants, des élèves maîtres dans les Ecoles normales d’instituteurs (ENI). Les ENI, il y en a du public comme du privé. Et la façon dont le recrutement est fait, la manière dont les stagiaires sont envoyés sur le terrain pour leur stage pratique laisse à désirer. Vous voyez des élèves maîtres au lieu qu’ils aillent apprendre le métier auprès des enseignants qualifiés, sont envoyés dans les classes comme des titulaires. Donc, c’est une tricherie organisée par l’État même. Certains enseignants ont aussi le problème de niveau et ne cherchent même pas à le corriger. Il y a aussi les parents d’élèves qui ont complètement démissionné. D’autres envoient les enfants à l’école sans même leur acheter les fournitures scolaires. On ne peut pas l’expliquer. Ils ne jouent pas le rôle qui est le leur et après, c’est pour accuser les enseignants. Le gouvernement qui refuse de recruter en nombre suffisant des enseignants a une grande part de responsabilités. Ce faisant, les classes restent sans enseignants pendant toute une année scolaire.
Pour corriger cet état de chose, nous avons plusieurs approches de solutions. Il faut revoir le programme et permettre à l’écolier béninois de commencer l’instruction dans sa langue maternelle à partir de la maternelle jusqu’en classe de CE1 et à partir du CE2, on peut continuer avec le français et/ ou l’anglais. Il faut revoir la loi de l’orientation sur l’éducation nationale en rendant obligatoire et gratuite l’école maternelle. Il faut renforcer la formation des enseignants qualifiés et bannir le système de stage des élèves maîtres des Ecoles normales d’instituteurs (ENI) qui consiste à les utiliser pour combler des vides dans les écoles au lieu de les mettre à côté des enseignants qualifiés pour apprendre le métier. Je propose qu’on puisse instaurer la dictée comme une sous-discipline du français à l’école primaire. Il faut recruter en nombre suffisant des enseignants qualifiés dans tous les départements, construire des salles de classes en nombre suffisant et respecter le ratio élèves-maîtres qui est de 45 élèves par classe au lieu de 60, 70, 130, 150 pour un seul enseignant.
Éléonore GBAGUIDI Epée AKPO GANDE, Inspecteur de l’Enseignement du Premier degré, Chef de la circonscription scolaire de Cotonou Lagune : Avant d’aborder le thème, il faut rappeler que l’école en tant qu’institution a pour mission d’aider tout enfant à s’épanouir, à éclore sa personnalité afin de devenir un citoyen responsable et utile pour la société. Pour atteindre ces objectifs, le système éducatif dispose de plusieurs moyens dont les ressources humaines, les textes législatifs de l’administration scolaire, les principes de la déontologie et de la morale professionnelle.
Le respect de ces textes et principes au temps colonial, néocolonial et pendant quelques années après l’indépendance, permettait de former réellement des cadres émérites que furent nos aînés qui faisaient de notre pays le quartier latin de l’Afrique.
Mais depuis quelques décennies, les politiques gouvernementales, dans l’option d’adapter l’enseignement aux réalités de chez nous, ont détruit sciemment ou inconsciemment, de façon progressive, le système éducatif. Ainsi, nous parlons aujourd’hui de baisse du niveau, d’échecs massifs et d’avenir incertain.
S’agissant des maux qui minent le système éducatif béninois, nous ne pouvons parler que de ce que nous avons vu, constaté, entendu, vécu, subi, apprécié, déprécié, approuvé, désapprouvé.
Autrement dit, nous pouvons citer : la politique éducative parfois mal conçue ; les multiples réformes intervenues sans fondement soutenues ; les innovations introduites dans les programmes d’études et non comprises par les enseignants à la base ; l’inscription sans aucun critère des élèves maîtres dans les Ecoles Normales Intégrées (Eni) ; l’autorisation de confier une classe à des stagiaires sans niveau intellectuel acceptable. Il faut aussi citer la pénurie criarde d’enseignants ; la mauvaise gestion des ressources humaines ; la politisation à outrance du système éducatif ; la multiplicité des organisations syndicales ; les grèves répétées ; le non-respect de l’autorité ; l’abus du pouvoir, le trafic d’influence, la corruption, l’impunité, la frustration, l’injustice, la paresse, l’inconscience professionnelle à tous les niveaux (classe, école, CS, DDEMP, MEMP).
Malheureusement, les plus grandes victimes de ces actes ignobles sont les pauvres âmes innocentes que sont les apprenants dont l’avenir est vraiment hypothéqué.
En termes de suggestions :
La qualité de l’offre éducative revient à l’Etat qui a le devoir de satisfaire les besoins en intrants, en quantité et en qualité pour que l’école fonctionne réellement. Les autorités supérieures sont donc priées de jouer leur partition.
Les inspecteurs, conseillers pédagogiques, instituteurs chevronnés, personnes ressources sont priés d’organiser périodiquement des séances de formation, d’information et de recyclage à l’intention des enseignants. Les Organisations non gouvernementales (ONG), les Partenaires Techniques et financiers qui interviennent dans l’éducation sont priés d’exiger une autorisation du ministère en vue de contrôler eux-mêmes dans les classes l’exécution des tâches assignées.
L’enseignant sur qui reposent toutes les charges morales est obligé de se remettre en cause, de prendre ses responsabilités en toute conscience quelles que soient les conditions de travail. Il doit évaluer son niveau sur le plan intellectuel et pédagogique. Il doit faire des recherches documentaires, se former et s’informer régulièrement pour améliorer sa prestation. Dans toutes les classes du CI au CM2, les enseignants doivent être capables de s’exprimer aisément en Français oralement et par écrit. Car, on évalue l’enseignant, les programmes, en un mot le système éducatif à travers les résultats scolaires.
Guy José VIDEHOUENOU, Instituteur en service à l’Epp Davatin (Semé Podji) : Après le CEP avec son cortège de désolation, les derniers examens professionnels ont livré leur verdict. À la lecture du tableau, une minorité de candidats ont remarquablement et vaillamment émerveillé les membres de jury tandis que la majorité est priée de reprendre les cours. Un giga taux d’échec qui oblige à s’interroger sur la conscience professionnelle à laquelle certains ‘’cousins craie à la main’’ ont dédaigneusement tourné dos. Des candidats au CAP ou au CEAP, fieffés accros de la facilité et soudainement sevrés de parrainage politique sous la rupture, ont tôt fait de déposer leurs démissions. D’autres, par contre, ont pitoyablement et assidûment massacré la langue française, obligeant du coup Molière à se ‘’retourner plusieurs fois dans sa tombe’’. S’il est vrai qu’aucune œuvre humaine n’est parfaite, le minimum doit être exigé. Outre les diplômes universitaires et autres attestations délivrées par les hautes écoles, la culture personnelle et permanente d’un enseignant est indispensable. Le pouvoir en place affiche déjà sa volonté de conjuguer au passé révolu la facilité dans l’éducation. Reste aux enseignants de prendre leurs responsabilités pour une relève de qualité.
André Kouton, Conseiller pédagogique en service à la circonscription scolaire d’Adjarra : Les échecs ont plusieurs causes. La toute première, est liée aux apprenants. Les enfants aujourd’hui n’ont plus le goût au travail. Ils ne sont plus prêts à se donner aux études. Des feuilletons par-ci, par là ; des enfants qui sont prêts à rester sur whatsapp, facebook tout le temps. Le personnel insuffisant dans les écoles est un grand facteur à ne pas négliger. La volonté de se faire former chez les enseignants, qu’on veuille ou non, le système éducatif a des problèmes. On ne peut pas toujours accuser l’État car l’État fait ce qu’il peut mais on dit souvent tant qu’il reste à faire, rien n’est fait. Le problème des effectifs pléthoriques est aussi un facteur à ne pas négliger parce que, imaginez dans une classe de 60, 80 et parfois 100 élèves pour un seul enseignant, c’est difficile. Malgré toute la volonté affichée par l’enseignant, ça ne va pas toujours. L’enseignant aura beau mettre les moyens qu’il faut, utiliser les stratégies appropriées, il n’y arrive pas puisque que le ratio élèves-maître n’est pas respecté. Nous avons également le problème d’infrastructures. Les salles de classes construites en matériaux précaires. Parmi les causes de ces échecs, il y a les parents qui, dans leur grande majorité, ont démissionné ; ils n’ont plus le temps de s’occuper des enfants alors qu’il devrait avoir une synergie entre l’école et la famille pour un aboutissement heureux. Ce qui devient de plus en plus rare aujourd’hui.
Comme suggestions il faut la formation des formateurs. Il faut aider les enseignants à maitriser les contenus notionnels à enseigner aux enfants. Que l’État poursuive ses efforts dans le domaine des infrastructures. Il faut renforcer les formations de proximité, recycler de temps en temps les enseignants et revoir le système de stage des élèves instituteurs.
Propos recueillis par Jonas Magnidet (Ouémé-Plateau)
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