Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d'une transition « d'exception » (28)

Publié le lundi 5 janvier 2015


C'est un exercice convenu. Pour Michel Kafando, cela a été une première. C'est, sans doute aussi, une dernière. Le Président de la Transition, Président du Faso, Président du Conseil des ministres, vient de prononcer son message de Nouvel An. Dans le contexte qui est aujourd'hui celui du Burkina Faso, cet exercice ne peut pas passer inaperçu. D'autant qu'il n'y a que deux mois seulement que Blaise Compaoré a été contraint, sous la pression de la rue, de céder le pouvoir.




Deux mois seulement et, pourtant, l'impression dominante est que la nouvelle équipe en place est là depuis bien plus longtemps. Mais Kafando ne s'est pas attardé sur les jours passés, évoquant seulement « la prise de conscience d'un peuple révolté [et] d'une jeunesse désorientée abandonnée à elle-même et qui cherche toujours ses repères ».


« Et qui cherche toujours ses repères ». Ces quelques mots valent leur pesant d'or deux mois après les événements des 30-31 octobre 2014. Car le Burkina Faso éprouve bien des difficultés (mais pouvait-il en être autrement ?) a mener sereinement une transition dont la durée maximale a été fixée, d'emblée, à douze mois. Tout le monde veut tout, tout de suite ; et son contraire. La justice mais aussi des jugements expéditifs à caractère populiste ; l'emploi mais aussi la casse des entreprises et la stigmatisation des investisseurs ; la bonne gouvernance mais aussi la liquidation totale de l'administration en place sans se soucier de la compétence des uns et des autres… Le gouvernement a, depuis plusieurs jours, « trêve des confiseurs » oblige, levé le pied pour ce qui est de mettre de l'huile sur le feu des revendications. Pas de surenchères ; surtout, moins de déclarations intempestives, prématurées, mal orchestrées...


Kafando a donc entrepris, dans son message de Nouvel An, de remettre les pendules à l'heure. Près de 15 % de son discours a été l'occasion d'une prise de position ferme : « N'en déplaise à ceux qui ont la critique facile, à ceux qui pensent que l'on peut déboulonner, en un laps de temps, un régime enraciné depuis 27 ans dans les tréfonds de l'histoire. La Transition poursuit avec détermination la mission que le peuple lui a confiée : une mission de redressement ; une mission de reconstruction ; une mission de consolidation de la démocratie. Mais qu'il soit bien entendu, et que cela soit clair, il n'y aura pas de place pour les contestations injustifiées, parce qu'on se dit que c'est dans l'air du temps. Pour ceux qui s'agitent à tort et à travers, croyant intimider le gouvernement, nous ne sommes pas dupes de leurs manœuvres et, surtout, nous savons que les mêmes qui sont prompts à la dénonciation, à la délation, voire au sabotage, sont ceux-là qui mangeaient, il n'y a pas longtemps encore, au râtelier du régime déchu. Nous avons pris l'engagement de conduire le pays vers une démocratie modèle, et pour donner l'exemple nous-mêmes, nous évitons les méthodes dures et arbitraires de gouvernement. Mais si ce comportement doit être interprété par certains comme un signe de faiblesse, alors, sans état d'âme, nous prendrons nos responsabilités ».

« Redressement », « reconstruction », « consolidation »… c'est certain désormais : la transition ne sera pas une révolution. Pas « d'agitation » stérile, pas de « contestations injustifiées ». Le gouvernement est même déterminé à utiliser, « sans état d'âme », des « méthodes dures et arbitraires ».


« Arbitraires » ? C'est dire que l'exaspération est désormais forte du côté de Kosyam. Il est vrai qu'il ne se passe pas un jour sans surenchère et que les réseaux sociaux bruissent en permanence de rumeurs sur les uns et les autres, autant de prétextes pour « s'insurger » sous la conduite du « balai citoyen » qui a gagné ses galons de Karcher en chef les 30-31 octobre 2014. Le ministre des Infrastructures, du Désenclavement et des Transports, Moumouni Dieguimdé, en fait la difficile expérience actuellement. Ex-directeur général de l'Agence nationale de l'aviation civile (ANAC), se présentant comme un « consultant en aéronautique », il est accusé par des membres du personnel du ministère et certains médias de divers méfaits : « absence de diplômes, emprisonnement aux Etats-Unis, immatriculation frauduleuse d'aéronefs pour le Hadj 2010, passation de marchés de gré à gré ».


Les faits s'étant passés, pour certains, aux Etats-Unis (où Dieguimdé dit avoir vécu « 7 à 8 ans »), leur preuve est délicate. D'autant plus que Dieguimdé, qui se présente comme un fils de chef mossi de la région d'Aboisso, dans le Sud-Est de la Côte d'Ivoire, où il est né, n'est pas le plus connu des membres du gouvernement : dans la liste des ministres son nom était d'ailleurs mal orthographié : Guiguemdé au lieu de Dieguimdé.


La pression est tellement forte que le dimanche 28 décembre 2014, Dieguimdé a dû se justifier lors d'une conférence de presse au Building Lamizana qui s'est éternisée plus de deux heures. Sans convaincre ses interlocuteurs. Il est vrai qu'en matière de communication, il est difficile de faire pire : « Je ne suis pas un homme pur, propre et sain, je suis l'homme le plus humain possible avec tout son potentiel et toutes ses difficultés ». « Je n'ai pas fait la prison, j'ai été arrêté, c'est tout, et après, relâché […] Même si d'aventure j'étais condamné à quatre mois, est-ce un crime de nature à me handicaper à vie ? […] Nelson Mandela a été condamné en Afrique du Sud, Juppé a été condamné en France ».


La référence à Mandela pour des affaires de malversation est la plus anachronique dans cette opération de communication ! Ses connexions (qu'il ne nie pas d'ailleurs et sur lesquelles il s'étend longuement puisque c'est la source de ses problèmes) avec Foutanga « Babani » Sissoko, pour lequel il a travaillé comme « consultant en aéronautique », ne plaident pas en sa faveur. Sissoko a été un milliardaire malien (on le dit aujourd'hui ruiné) impliqué dans toutes sortes d'escroqueries aux Etats-Unis et au Moyen-Orient (son nom est même cité dans l'enquête sur le financement de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy par Kadhafi) et qui s'est illustré dans la création de la compagnie aérienne Air Dabia (du nom de son village natal, dans la région de Kayes), basée en Gambie, qui a accumulé les aéronefs et les dettes pour ne jamais vraiment décoller.


Cette affaire* et quelques autres ont valu à Sissoko d'être arrêté par Interpol, emprisonné à Genève puis en Floride. Dans cette affaire, Dieguimdé fait référence, comme témoin de moralité, au Togolais Pascal Bodjona. Ce tout puissant ex-ministre d'Etat, ministre de l'Administration territoriale, de la décentralisation et des collectivités locales, porte-parole du gouvernement (2007-2012), proche de Blaise Compaoré, croupit en prison dans l'affaire dite de : « l'escroquerie internationale »… !


« L'affaire Dieguimdé » est bien plus dommageable pour l'équipe actuellement en place que « l'affaire Adama Sagnon » qui, nommé ministre de la Culture et du Tourisme, n'avait pu prendre ses fonctions pour un passé de magistrat qui n'était plus dans l'air du temps. Mais à ce moment-là, la transition se mettait en place. Et ses approximations et autres balbutiements étaient concevables. Cela ne l'est plus, pour les Burkinabè, concernant Dieguimdé, d'autant plus que le ministre est aussi mis en cause pour sa gestion présente, notamment dans la passation de marchés de gré à gré qui concerneraient, par ailleurs, le « confort » (le ministre évoque des raisons sécuritaires) du Président de la Transition, Président du Faso, Président du Conseil des ministres et de son Premier ministre. Du même coup, c'est toute la moralité de la transition qui se trouve remise en question alors qu'elle était le fondement affirmé de la « charte de la transition ».


* Au sujet de cette affaire et de celle de Jeffrey Outlaw, qu'évoque également Moumouni Dienguimdé, il faut lire le papier du regretté Assou Massou dans Jeune Afrique du 3 novembre 1998, titré : « Babani Sissoko. Le crash du milliardaire ».


Jean-Pierre BEJOT

La Dépêche Diplomatique





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