A propos de l'institutionnalisation de la chefferie traditionnelle : Docteur FEESER COMPAORE répond à Monsieur Guiré Marc

Publié le samedi 31 janvier 2015


J'ai lu avec beaucoup d'intérêt et d'interrogations votre article intitulé « Institutionnalisation de la chefferie traditionnelle et coutumière ». Vous essayé d'aborder ce sujet assez complexe touchant justement à nos racines profondes, très souvent traité ou discuté avec sérieux et subtilité, sans toutefois rien s'interdire. C'est pourquoi j'ai décidé de contribuer au débat.




Dans cet article, paru, le 26 Janvier 2014 dans leFaso.net, vous évoquez la révolution burkinabè d'octobre 2014, la constitution et sa réécriture, les grandes réformes à mener, les racines des grands maux de la société burkinabè, la limitation des mandats présidentiels, la « constitutionnalisation » de la chefferie traditionnelle et coutumière, proposant pour celle-ci de la rendre totalement apolitique. Par ailleurs, vous donner une belle recette tout aussi radicale pour régler l'épineux problème de la limitation des mandats présidentiels en interdisant aux membres immédiats de la famille des présidents d'être éligibles à leur tour. Bref, tout un programme à coup de quinquennat, pour une transition d'un an chrono ! J'aborderai donc comme vous les réformes, le statut de la chefferie traditionnelle et coutumière, les mandats présidentiels : Un ensemble d'éléments sur lesquels je partage parfois votre analyse tout en récusant fortement certains points.


Sur la question des réformes : Il en faut pour permettre à la société burkinabè d'évoluer. Elles sont politiques, économiques, sociales, nécessaires et incontournables, nationales, régionales et continentales, car liées aux autres pays dans un espace mondialisé. Tous les secteurs d'activités sont en attente au Burkina Faso. Pour rester sur ce terrain, on peut avancer l'épineuse question liée aux constitutions africaines sur la limitation des mandats présidentiels et leur durée. Il en est de même du bon fonctionnement et de l'efficacité des institutions garantes des pouvoirs, des droits et libertés individuels et collectifs. À ce sujet, quel bel exemple que la révolution d'octobre 2014 au Burkina Faso, qui a tranché radicalement la question des mandats présidentiels. Lorsqu'on ajoute à cela, les instabilités multiples et à haut risque du continent, celles liées particulièrement aux calendriers électoraux à venir où ces questions se poseront avec acuité, on voit aisément le bien fondé des réformes attendues.


Vous parlez de « couper les racines des grands maux de la société burkinabè » sans en donner aucun, alors même que votre article porte un intérêt marqué à la chefferie traditionnelle et coutumière. On ne peut que vous poser cette question toute simple : La chefferie traditionnelle et coutumière fait-elle partie de ces maux qui empêchent l'avancée de la société burkinabè ? Evidemment la réponse vous appartient mais à défaut de le dire clairement, on peut extrapoler à souhait. Même si, en lisant entre les lignes, on entrevoit la réponse quand vous appelez à la « constitutionaliser » afin de la dépolitiser et la sortir du débat politique.


De la chefferie, et de son éventuel statut, vous en appelez au Comité National de Transition pour son « institutionnalisation » dans le sens d'une « dépolitisation totale. »

La chefferie traditionnelle et coutumière est une institution vieille de plusieurs millénaires dont les usages et coutumes nous survivent, tant ils se transmettent de génération en génération. Certaines de ces pratiques peuvent être décalées et sont parfois même parfois dépassées pour épouser les contours de notre temps. Mais beaucoup d'autres font notre fierté, notre force lorsque dans certaines circonstances le ciel nous tombe sur la tête, nous obligeant à remonter le temps, et à faire un retour sur nous-même pour prendre du recul et mieux évaluer la situation. En cela, je crois que chaque Burkinabè et chaque Africain fait cet incessant aller-retour de nécessaire adaptation, entre modernité et traditions qui demeurent pour certains des références.


Vous évoquez aussi une chefferie décriée, controversée, mais aussi parfois considérée comme gardienne de nos valeurs. Combien de nos concitoyens la décrient, la trouvent inadaptée ? Pas tant que ça ! J'en veux pour preuve une étude, pas si ancienne que ça, du Centre de la Gouvernance Démocratique, qui donnait une majorité de Burkinabè autant confiants aux institutions traditionnelles qu'à celles de la République. Ils ont peut-être changé d'avis entre temps, mais en attendant, vu l'état dans lequel se trouve parfois le service républicain dans nos institutions, on ne doit pas être encore très loin de cet avis ! Des données importantes que vous excluez de facto de la République et qui ont plus d'une fois, à un moment ou un autre, permis de la sauver. La chefferie a aussi permis d'assoir de nombreuses règles de droit, appliquées par les institutions républicaines. Vous vous souviendrez sans doute aussi que le droit coutumier a existé et règle encore de nos jours certains cas. On retiendra en tout, qu'au-delà de ce qu'elle n'a pas pu ou su bien faire, elle nous a plus d'une fois tiré d'un mauvais pas, en allant justement puiser aux tréfonds de nos valeurs pour faire entendre raison aux uns et aux autres, sauvant ainsi parfois l'intérêt général. Elle a toujours été au cœur de la vie politique, de la République et de ses institutions.

Elle a été présente tout au long de l'histoire politique et sociale de la Haute Volta devenue Burkina Faso. Elle a défendu nos causes, fait de la politique, avec parfois des représentants élus porteurs de ses principes. Pour s'en faire véritablement une idée on peut toujours se replonger dans les archives ou les écrits qui portent les sceaux de notre histoire particulière pour mieux comprendre, apprendre et se souvenir que cette même chefferie traditionnelle et coutumière à lutter politiquement de toutes ses forces pour que vive la Haute Volta, et par extension le Burkina Faso. Son rôle politique dans la République n'est plus à prouver et ses membres ont été formés de génération en génération pour gouverner la cité, le royaume. C'est pourquoi, votre appel à la constitutionnaliser, juste pour la dépolitiser totalement et à tout prix, afin de l'empêcher d'impacter la vie politique me semble contestable. Que vous le vouliez ou non, elle reste garante de valeurs auxquelles les citoyens croient et de ce fait constitue aussi une force politique.

Le statut de la chefferie traditionnelle et coutumière a été maintes fois évoqué, discuté et débattu. J'avais surtout retenu ce souhait qui est de mettre en exergue son rôle pacificateur, et permettre de faire en sorte d'éviter parfois les conflits de succession au trône et d'apporter bien d'autres bienfaits à notre société. Votre article, dit en substance, qu'elle n'est pas républicaine, que par conséquent, il faut la constitutionnaliser par un statut apolitique inscrit dans la constitution. Vous poursuivez en outre, en indiquant les raisons de cette éventuelle « constitutionnalisation » qui selon vous permettrait d'éviter son immiscions dans les débats politiques de la société. Votre appel à constitutionnaliser n'a d'autre but que de pouvoir la museler à travers la constitution pour mieux l'exclure des débats.


Entre la République et les institutions traditionnelles et coutumières, on n'épuisera sans doute jamais le débat. Mais la République est régie par un certain nombre de règles dont la constitution placée au-dessus de tout, au demeurant expression de la volonté de la majorité des citoyens. Ils jouissent des mêmes droits et devoirs conférés par leur constitution qu'ils ont défendu jusqu'au dénouement des 30 et 31 octobre 2014. La chefferie traditionnelle et coutumière est garante de nos traditions et de nos valeurs culturelles, et ses membres, citoyens de la République, bénéficient des mêmes droits et des mêmes libertés. Dites-moi un peu au nom de quoi vous voulez empêcher ces personnes d'exercer leurs droits, et de jouir de leur liberté, y compris d'appeler à voter pour X ou Y, comme nous pouvons nous-mêmes le faire, si tant est que nous disposions vous et moi, d'une audience suffisante pour faire comme eux, et être largement entendu ? Et pour tout dire, cette liberté de dire et de se prononcer sur tel ou tel autre sujet, qui s'apparente aussi à une sorte de pouvoir, très peu de personnes en réalité voudront en faire l'impasse, bien content d'exercer leurs droits, même si c'est dans le respect strict des règles établies.


Vous prenez l'exemple de la chefferie traditionnelle et coutumière du Ghana, de son statut dans la constitution de ce pays et vous lancez un vibrant appel à faire pareil.


Au-delà de l'histoire, les chefferies burkinabè et ghanéennes ont évolué différemment, ont joué des rôles politiques et sociaux différents en fonction des faits, des évènements et des réalités politiques et sociales de chacun de ces deux pays. Méconnaître ou occulter ces paramètres faussera irrémédiablement nos analyses et nos comparaisons. À ce titre, posons-nous ces questions sur tous les aspects de l'évolution de cette chefferie traditionnelle ghanéenne et celle burkinabè. Pourquoi et comment le Ghana à un moment donné de son évolution politique et sociale a-t-il légiféré sur sa chefferie traditionnelle, lui donnant un statut qui a d'ailleurs régulièrement évolué ?


Je vous invite à le faire et vous verrez peut être qu'entre autres éléments, il y eut à des moments pas si démocratiques que cela, des souhaits de dépolitisation de cette chefferie, à l'exemple de ce que vous réclamez, pour l'affaiblir parce qu'accusée d'être féodale et coloniale.


Vous conviendrez aussi que le Burkina Faso a vécu aussi certains moments semblables où sa chefferie a connu un traitement de choc, et où certains règlements de compte, au nom de la lutte antiféodale, n'ont pas pu être évités. Nous n'avons pas été parfaits dans ce domaine précis des droits et des libertés individuelles et chacun appréciera.


Chaque époque et chaque gouvernance a eu ses travers, ses dérives et ses acquis. Puisse-ton en tirer les enseignements pour mieux se projeter vers un avenir radieux ! Les Burkinabè savent mieux que quiconque que rien n'est jamais définitivement acquis et que le dialogue social et la négociation restent permanents et s'avèrent parfois rudes.


Je reviendrai également sur une petite phrase qui en dit parfois long sur notre état d'esprit, lorsque nous portons un jugement sur nous-même et nos acquis. Dur, dur, de ne pas faire de l'auto flagellation ! Nous nous appuyons vous et moi sur les chiffres en matière d'indice de démocratie qui nous le confirment. D'autres données parleront même de démocratie imparfaite pour le Ghana et de régime autoritaire pour le Burkina. L'alternance constitue l'un des éléments du puzzle démocratique, mais il en faut bien d'autres. C'est ce qu'a fait le Burkina durant toute son histoire à travers cette formidable capacité de dire non chaque fois que nécessaire, et les récents évènements d'octobre 2014 en sont une parfaite démonstration.


Les débats sur plusieurs années ont été houleux à tous les niveaux, même jusqu'au dernier rempart démocratique que constituait l'Assemblée Nationale, avant ce dénouement final et dramatique qui, de ce fait, a emporté quelques uns ad-patres, rendu d'autres invalides, et envoyé quelques autres en exil volontaire ou forcé. Ces 30 et 31 octobre 2014, en effet, la population est descendue dans la rue, se faisant entendre par cet assaut final, comme pour dire qu'il reste et demeure encore libre de décider. Et ici, il faut souligner et prendre en compte l'extrême diversité de toutes les composantes sociales, de tous les électorats, qui sont descendus dans la rue pour agir, à quelque niveau que ce soit, dans le sens du fait et des événements des 30 et 31 octobre 2014, pour un dénouement tel que connu à ce jour.


La gestion orageuse, brutale, subtile, mais remarquable, montre naturellement que tout le monde a compris et que les Burkinabè sont restés eux-mêmes, en gardant la mesure des choses pour ne pas rompre le fil du dialogue et de la paix sociale, tout en restant lucide pour empêcher l'inacceptable. Des partis politiques ont été sanctionnés et certains ont fait leur mea-culpa pour montrer qu'ils se sont trompés et prêts à faire amende honorable. C'est là aussi où la modernité conjugue avec la tradition, et on peut encore épiloguer à souhait sur nos bonnes vieilles méthodes sur la faute, le pardon, la paix et tout le reste. Un curseur politico-social qui tient tant bien que mal en équilibre et qui de ce fait en dit long, à mon avis, sur la maturité politique burkinabè. Dans tous les cas, les limitations des mandats présidentiels sont particulièrement problématiques dans les contrées africaines et rien n'est encore gagné malgré ces efforts et cette démonstration.


À ce propos, de grandes interrogations subsistent sur la limitation des mandats présidentiels et sur un certain nombre de paramètres des démocraties et gouvernance africaines, qui, de plus en plus, jettent nos populations dans les rues. Le cas du Burkina Faso montre que nous devons repenser fondamentalement nos circuits de partage des richesses économiques et du pouvoir politique. Lorsque je vous lis au paragraphe trois de votre article où vous nous invitez à faire un retour dans notre Afrique profonde pour « réécrire » notre constitution, je suis assez d'accord avec vous, et en cela je vous invite à aller lire le volume 2 de ma thèse soutenu le 19 décembre 2012, et contenant l'ensemble des recueils d'entretiens réalisés, où africains et non africains croient en nos atouts et nous encouragent à prendre appuis sur nos ressources profondes pour mettre en place des outils de développement qui collent à nos réalités.

Vous évoquez également, la réduction des pouvoirs du Président de la République qui en plus de son pouvoir de chef de l'Etat cumule parfois plusieurs autres portefeuilles. Ce qui de ce point de vue est de bon aloi, et est absolument nécessaire pour redonner une efficacité et une indépendance aux différentes institutions qui légifèrent et portent nos instances judiciaires.


Cependant, certaines des méthodes préconisées par vos soins pour gérer les paramètres de cette épineuse limitation des mandats sont très inquiétantes. Vos envolées lyriques préconisent que l'on puisse légiférer en étendant la législation aux membres de la famille immédiate, afin que ceux-ci ne puissent en aucun cas être éligibles à leur tour. Bonjour les amalgames et les aberrations ! Dites-nous comment vous définissez la famille immédiate ? En lisant ceci, on a du mal à vous croire lorsque vous préconisez le retour à l'Afrique profonde. Et puis du point de vue du droit, chacun des membres d'une telle famille, comme vous et moi, a les mêmes droits. Donc, comme on peux le comprendre, vous recherchez les solutions pour limiter certaines dérives. Je pense qu'il va valoir continuer à chercher. Car vous trouverez partout dans tous les secteurs d'activités des dynasties entières, y compris en politique, où de façon libre ou guidée, les uns et les autres choisissent leur métier et font en sorte de mériter leur place comme ils le peuvent. L'exemple américains des Présidents Bush, père et fils, ainsi que quelques exemples français, sont là pour en témoigner ainsi que bien d'autres exemples à travers le monde et chez nous en Afrique. Le problème est ailleurs, et le débat parfois difficile et très passionné en dit long sur les enjeux. Pour illustrer ceci, prenons votre exemple ou le mien, peu importe.


Vous êtes en train de faire des études de sociologie. Vous avez mes encouragements et mes souhaits d'une grande réussite pour que nous puissions bénéficier d'un sociologue de plus pour décrypter encore et encore tous les aspects des phénomènes sociaux burkinabè et africains, pour ne prendre que cet aspect des choses. On aura alors largement le temps d'imaginer, d'extrapoler et de rire en voyant la tête que fera chacun des membres de votre famille immédiate, lorsqu'ils se verra servir de tels arguments, tendant à l'empêcher de devenir sociologue, président, journaliste, juriste, avocat, médecin, député, diplomate et que sais-je encore. C'est sûr qu'ils riront avec nous. Vous imaginez ? Ici encore le problème est ailleurs. De plus, en toute chose chaque citoyen doit répondre de ses propres actes, et ne peut être comptable des actes d'un autre membre de sa famille, du seul fait de son appartenance familiale. Au nom de quoi la loi pourrait empêcher un membre x ou y de votre famille immédiate, de la mienne, ou de n'importe quel autre, d'être ce qu'il veut être et de briguer des mandats ? Je pars du principe qu'un métier en vaut un autre. Chacun des membres de la famille immédiate, comme vous et moi, conserve en entier son droit d'être ce qu'il veut, d'être éligible, de briguer des mandats dans son pays, en Afrique et partout dans le monde.


Je voudrai terminer en soulignant le rôle combien important des pouvoirs de la transition dans leur ensemble, mais avec un délai imparti bien circonscrit, assez court pour normaliser la situation politique au Burkina Faso, un an, rien de plus. Mener un calendrier électoral à terme pour réussir une transition avec le moins de casse possible n'est sans doute pas la chose la plus aisée. Beaucoup d'attentes seront sans doute déçues. Mais une transition réussie résidera aussi dans le choix des possibles au vu du temps, le reste restant dans la continuité des taches républicaines après transition.


Enfin, puisqu'il est question quand même de chefferie traditionnelle et coutumière, je voudrais rappeler aussi que nos sociétés ne fonctionnent pas toujours sur le même principe, et portent toutes des valeurs et des paramètres d'union et de cohésion. Ces différences qui font appel à nos histoires et cultures profondes, sont notre force et notre cohésion, que nous devons en aucun cas galvauder ou utiliser pour exclure.

Quant à la République, elle est et doit rester notre premier dénominateur commun. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas parfois mettre un gros coup de pied dans ce bel angélisme que nous essayons tant bien que mal de sauvegarder. Il ne faut pas non plus être dupe.

Vive le Burkina Faso, bien cordialement et très fraternellement !


Docteur Delphine FEESER COMPAORE

defeeser@outlook.fr




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