Smockey artiste chanteur burkinabé : « Si le Balai citoyen avait voulu le pouvoir, il l'aurait eu »

Publié le jeudi 13 novembre 2014


Il a séjourné le week-end dernier à Bobo-Dioulasso, dans le cadre des Récréâtrales où il devait jouer dans la pièce intitulée « Nuit Blanche à Ouagadougou ». Un texte visionnaire qui prévoyait l'arrivée au pouvoir d'un nouveau président à la veille de 2015 comme ça l'a été le 31 octobre 2014. Smockey, puisque c'est de lui qu'il s'agit, revient à travers cet entretien sur les évènements du 30 au 31 octobre dernier.




Une nuit imaginaire devenue une réalité. Etait-ce une prémonition ?


Presque. Ce n'est pas pour rien que nous avons, au sein du mouvement Balai citoyen, déjà réalisé des tee-shirts avec l'inscription bien évidente « Blaise dégage ». Il y en a qui était pour le retrait de la loi et nous, nous savions que ça pouvait déboucher sur quelques chose de plus immense. En tout cas, c'est ce qu'on appelait de tous nos vœux. J'aime citer Martin Luther King qui a dit : « I have a dream » (Ndlr, J'ai un rêve). C'était effectivement un rêve que nous avions. Celui de pouvoir faire une révolution dans ce pays. Et nous avons travaillé afin que la fiction rejoigne la réalité. Parce qu'il faut reconnaitre que « ceux qui empêchent ou freinent la révolution pacifique provoquent toujours la révolution violente », d'après John Kennedy. On a voulu à tout prix qu'une révolution pacifique se fasse. Que la population ait le droit de manifester son refus catégorique à l'installation d'une dictature, et en plus une dynastie parce que c'est tout un clan qui voulait s'imposer et voilà que c'est fini par arriver par la force. Nous l'avions demandé de gré, mais nous avons fini par l'avoir par la force. C'est bien vrai que j'avais dit dans un de mes textes, que la place de la Nation devait redevenir Place de la Révolution en souvenir des 4 années de révolution de Thomas Sankara. Blaise Compaoré avait eu la possibilité de sortir par la porte mais au soir du 30 octobre, la porte était déjà fermée. Il ne restait plus que la fenêtre. Et s'il insistait, on serait obligé d'enlever les tôles pour qu'il puisse s'en sortir. Après 27 ans passés au pouvoir, Compaoré est passé dans l'art de tromper le peuple. Et c'est quelqu'un qui n'a jamais tenu sa parole. On le lisait à travers les lignes de son discours et surtout l'excitation de ses disciples. Et nous étions sûrs à 80% qu'il n'avait pas l' intention de s'en aller. Il fallait donc une démonstration de force.


On a eu l'impression que le départ forcé de Blaise Compaoré a quelque peu surpris les manifestants...


La démission de Blaise a surpris les gens qui ne sont pas du pays réel. Qui sont dans les salons feutrés. Sinon, tous ceux qui ont participé aux évènements dits subversifs savaient très bien qu'à un moment ou un autre, ça allait exploser. C'est pourquoi à un moment, nous avons suggéré à nos militants d'utiliser la Constitution qui permettait à tout citoyen burkinabè de participer au débat à l'hémicycle. Mais nous savions que l'on n'allait pas accepter bien que cela soit inscrit dans la Constitution. Mais la pression populaire a cassé la ceinture de sécurité qui était autour de l'Assemblée et l'armée a su bien jouer un rôle de protection du citoyen. Je dis cela, parce qu'il me semble qu'une bonne partie de l'armée avait pris fait et cause pour le peuple. Voilà pourquoi, nous n'avons pas réfléchi trop longtemps lorsque nous avons été amenés sur le terrain. Malheureusement, nous étions livrés à nous-mêmes. Je dis cela parce qu'aucun représentant de partis politiques n'a été en ce moment avec nous. Avec les quelques éléments de la société civile, nous n'avons pas trop réfléchi lorsqu'il s'est agi d'épargner des milliers de personnes, de ne pas les envoyer au massacre du palais présidentiel à Kossyam. Et lorsque j'ai utilisé ce fameux mot qui a fait un buzz sur la toile et d'aucuns ont interprété comme étant une sorte de corruption de la lutte. J'ai, en effet, employé le mot « deal ». Tout de suite, des gens ont pensé que nous avions vendu la lutte à l'armée. Je le dis et le répète, ça été un deal dans le bon sens du terme. Ici, le deal est l'armée républicaine et non un individu qui devrait prendre ses responsabilités. Nous étions en train de négocier avec tous les officiers et non uniquement avec Zida. Nous avions donc demandé à l'armée de prendre ses responsabilités pour éviter des milliers de morts et nous permettre d'avoir la démission de Blaise Compaoré sans condition et sans délai. C'était donc de négocier et passer le pouvoir à l'armée momentanément afin que la situation sécuritaire soit stabilisée.


Pourquoi le choix du général Nabéré Honoré Traoré a vite été refusé ?


Nous avons toujours travaillé dans le sens de ce que veut le peuple burkinabè. La population ne voulait pas du général qui était le chef de l'Armée nommé par Blaise Compaoré. Le général est impopulaire et les gens ne voulaient pas de lui. Nous ne voulions pas qu'il ait de connivence entre ses deux. La suite nous a donné raison. Voilà que nous avons assisté à deux discours. Les gens criaient plutôt le nom de Lougué. Mais il ne fallait pas rentrer dans la salade des militaires parce que nous ne sommes pas des militaires. C'était à eux de trouver l'homme consensuel. Et c'est finalement Zida qui a été mandaté par l'armée. Ce n'est donc pas le Balai citoyen qui a installé Zida au pouvoir.


Est-ce vrai que le général Honoré Traoré avait donné l'ordre de tirer sur les populations et que c'est Zida qui l'aurait empêché ?


Je ne suis pas au courant de cela. Je me méfie des rumeurs. Tout ce que je sais, c'est qu'on a percé les barrières, on a assisté à une forme de responsabilité des militaires qui n'ont pas tiré sur le peuple. Je le dis et j'applaudis. Lors de la percée des barrières, les militaires n'ont tiré qu'en l'air. De qui l'ordre est-il venu ? Est-ce une attitude spontanée ? Je ne sais pas. Mais nous voyions déjà qu'une partie de l'armée était avec nous. Parce que lors de nos sorties, des militaires nous saluaient et nous soutenaient de continuer la lutte avec les points en l'air. Même des militaires du RSP (Ndlr, Régiment de sécurité présidentielle). Nous avons constaté qu'une bonne partie de l'Armée n'était plus avec le dictateur Blaise Compaoré. Cette réaction des militaires nous a beaucoup confortés dans notre position.


Le Balai Citoyen n'a jamais donc vendu la lutte ?


Nous n'étions pas les seuls, dans la salle où se tenaient les discutions. Il y avait Hervé Kam, Hervé Ouattara du CAR, Augustin Loada, Luc Marius Ibriga. C'est pourquoi, nous sommes surpris quand on apprend que le Balai citoyen a vendu la lutte. On doit plutôt dire que le peuple a vendu la lutte. Puisque c'est le peuple qui demandait aussi que l'Armée prenne ses responsabilités. En tout cas, nous avons été surpris d'entendre ces rumeurs et même venant du Pr Ibriga qui estimait, lui aussi, qu'il y a maldonne. Il dit avoir été pour le départ de Blaise et non pas pour qu'on confie le pouvoir à l'Armée. Je pense que c'est de la mauvaise foi. A la sortie de cette discussion, les militaires ont exprimé leur bonne volonté qui est de prendre leurs responsabilités et que Blaise allait démissionner. Mais dans un premier temps, ils avaient dit que Blaise avait la légalité pour eux et nous leur avons dit qu'il n'était plus question de légalité. Et qu'il s'agit d'une question d'intérêt national non discutable. Les tractations ont continué toute la journée. Et c'est dans l'après-midi qu'Hervé Kam est venu nous dire que Blaise a signé sa démission. Mais nous avions dit que c'est à l'Armée de dire ça au peuple étant donné qu'elle se disait être pour le peuple. Et qu'elle devait lire la lettre de démission à la place de la révolution. Mais nous avons compris que les officiers avaient peur quand ils ont demandé s'ils pouvaient venir avec leur arme. On leur a dit qu'il n'y avait pas de problème. C'est pourquoi nous sommes restés à leurs côtés et cette position qui nous a valu d'être taxés d'avoir vendu la lutte.


Comment se fait-il qu'il n'y ait pas eu, tout de suite, un civile pour prendre les rênes du pouvoir ?


Je suis au regret de vous dire que vous connaissiez bien notre pays pour ces calculs politiques. C'est au nom de ces mêmes calculs politiques que Blaise Compaoré est resté 27 ans au pouvoir. C'est au nom de cette hypocrisie et même au sein des OSC notamment les syndicats dont d'ailleurs les fameux PRCVIste parce que nous avions eu maintes possibilités à maintes occasions de réagir et d'obliger Blaise Compaoré à quitter le pouvoir, mais à chaque fois la lutte a été étouffée sous le prétexte de l'alternative plutôt que l'alternance comme si l'une pouvait advenir sans que l'autre ne soit. C'est donc au nom de ces calculs politiques que même jusque-là, la société civile n'arrive pas à s'entendre sur l'homme qui va diriger la transition. Je pense déjà au chaos si un civil devait, dans l'urgence, assurer la transition. Vous avez même vu le ridicule dans lequel l'opposition s'est mise au cours de la journée de réclamation. On a vu des opposants qui clamaient leur solidarité mais il n'en était rien. (…) la veille de la réclamation, le président de l'UPC a même dit qu'il était difficile de discuter avec une société civile désorganisée, qui n'est pas soudée. Et il a demandé de prendre exemple sur le CFOP qui est uni et soudé. Nous en avons ri le lendemain et nous continuons d'en rire, au regard de ce qui s'est passé. On a compris que l'opposition était soudée quand il n'avait pas d'os. A partir du moment que l'os a été jeté, on a vu comment ils ont voulu se jeter là-dessus. C'est pourquoi je suis convaincu que si nous avions voulu du pouvoir, nous l'aurions eu. Si le Balai citoyen avait voulu du pouvoir, il l'aurait eu. Parce que nous étions presque les seuls sur le terrain. Nous avions discuté du pouvoir avec l'armée et entretemps, ils nous ont demandé à savoir ce qu'on peut faire ? Nous savons ce que ça veut dire en langage africain. C'est dire qu'en ce moment-là, si le Balai citoyen avait eu envie d'occuper une place politique, nous l'aurions eue et nous le pouvons encore. Mais nous disons dans notre charte que les ambitions politiques sont proscrites. Contrairement à ce que certains veulent faire croire, nous voulions maintenir notre rôle de veille citoyenne, de sentinelle. Nous voulons avoir un droit de regard sur la chose publique. Le temps jugera de qui a été traitre du peuple. C'est très simple, et il faut être patient. De la même manière le masque est tombé au niveau des pontes du régime Compaoré, il va aussi tomber au niveau de la société civile et des partis politiques dès lors qu'il s'agira de s'imposer sur l'échiquier politique national.


A vous entendre, l'avenir du pays risque d'être sombre ?


Ça pourrait être sombre, mais c'est réaliste. Je me rappelle en 2011, lors d'une manifestation, lorsque j'étais avec ma pancarte sur laquelle était écrit « Blaise Dégage », on m'a traité de tous les noms d'oiseau. Il se disait que comment un artiste peut se permettre de tenir de tels propos. Un journal a même titré : « Smockey, artiste engagé aux vulgaires hypocrites ». Je n'ai eu que des félicitations de l'opposition notamment de Maitre Sankara. Aujourd'hui, je suis surpris de voir des personnes réclamer la victoire d'avoir fait dégager le président Blaise Compaoré. Ils vont beaucoup plus loin que moi à l'époque. Tout compte fait, le peuple doit prendre ses responsabilités en ayant un regard sur la gestion de la chose. Et plus aucun chef d'Etat ne doit faire une heure de plus au pouvoir à la fin de son mandat.


Entretien réalisé par Bassératou KINDO

Pour le Faso.net





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