Le SYNADEC sur la situation nationale : La lutte n'est pas terminée ; gare aux notes discordantes
Depuis plusieurs années, les forces vives de la nation ont mené une lutte acharnée pour le triomphe de l'idéal démocratique. Elles ont surtout tenu à recourir aux moyens les plus légaux pour dissuader le régime de Monsieur Blaise Compaoré de tripatouiller la constitution à sa guise. Grisé par des apparents succès remportés dans la médiation des conflits en Afrique de l'Ouest, Monsieur Blaise Compaoré, qu'une certaine opinion présente comme un homme indispensable à la stabilité de la sous-région, pensait qu'il avait tous les droits et tous les pouvoirs dans son pays.
Et il n'en fallait pas plus pour que ses courtisans engagent la logique de guerre médiatique généralisée dans laquelle le slogan « nous voulons la paix » devient le motif le plus éloquent de la modification de l'article 37. Jamais, de mémoire d'historien, le mot paix n'a été autant prononcé depuis la constitution du Burkina Faso en 1958. On a compris que la condition de la paix devait être le silence du peuple dans la souffrance et la résignation. Autrement dit, « si vous voulez la paix, abandonnez-nous le pouvoir économique, politique et soyez nos esclaves ! » Le peuple consciencieusement préparait sa réponse à cette forfaiture. L'insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 a révélé aux dépens de Monsieur Blaise Compaoré que le pouvoir appartient au peuple.
Il faut saluer et féliciter l'ensemble du peuple burkinabè qui a refusé de se faire tondre jusqu'à la chair et qui, défiant la « férule humiliante » du régime Compaoré, s'est levé, « comme un seul Homme », dans tout le pays, pour se libérer du joug de sa dictature. Nous le félicitions pour sa détermination à engager cette lutte opiniâtre qui fit échouer l'odieux projet de modification de l'article 37, et mieux, à chasser le porteur du projet. Ce courage, le peuple l'a payé au prix du sang versé de nombreuses personnes tombées sur le champ de bataille.
Le SYNADEC présente ses sincères condoléances et exprime sa profonde compassion aux familles de ces martyrs de la libération nationale. Il souhaite que les blessés recouvrent rapidement leur santé. A ce titre, il faut remercier le syndicat des médecins et personnels de santé qui s'est engagé à soigner sans relâche et gratuitement ces vaillants combattants de la liberté. Par ailleurs, le SYNADEC demande aux autorités compétentes de saisir la justice afin que justice les circonstances de décès des martyrs soient éclaircies.
Le SYNADEC saisit l'occasion pour saluer l'initiative de large concertation impliquant toutes les composantes de la nation, entreprise par les autorités actuelles pour sortir le pays le plutôt possible de la situation de crise. C'est le lieu, de louer le courage de toutes les parties prenantes de l'insurrection populaire, à savoir les forces vives de la nation, en particulier l'opposition politique organisée au sein du CFOP, la société civile, mais aussi l'armée qui à un moment critique de la lutte républicaine qui s'est placée du côté du peuple pour éviter un bain de sang plus important qui aurait causé un drame dont l'horreur serait inqualifiable. Le SYNADEC félicite toutes ces parties prenantes et leur engagement contre l'instauration d'une monarchie au Burkina Faso.
Mais qu'on ne se méprenne pas ! Le plus facile n'est pas de gagner une bataille ou de lancer le cri de victoire du peuple. La lutte n'est pas terminée. Elle est à son tournant décisif de non-retour en arrière, un tournant qui nous impose l'obligation de mettre en place des institutions fortes. La victoire ne sera totale que lorsque l'ensemble des forces vives de la nation et l'armée sauront gérer la transition vers l'instauration d'une république véritablement démocratique dans laquelle il n'y aura plus d'homme fort mais des institutions fortes. L'essentiel se trouve donc dans une gestion habile, sans excitations ni passions de la période de transition, afin de poser les fondements solides de la construction nationale. En observant la scène politique depuis le 31 octobre, on se pose cette question qui traduit des inquiétudes légitimes : comment gérer cette victoire d'étape quand, en écoutant les médias, on s'aperçoit que les forces vives de la nation grincent des notes discordantes, chacune ayant la prétention d'avoir joué le rôle le plus déterminant dans la chute du régime Compaoré ?
A entendre de tels propos, on éprouve cette crainte fébrile que ce concert de voix discordantes nous fasse revivre le syndrome de 1966 où l'immaturité de la classe politique avait donné raison aux militaires de conserver le pouvoir, parce qu'étant à l'époque les seuls à pouvoir garantir l'unité nationale. Le général Lamizana lui-même ressentit entre temps une sainte horreur pour le multipartisme qu'il présentait comme la source des clivages politiques stériles. Il voulut alors proposer en lieu et place un régime de parti unique, celui du Mouvement National du Renouveau (MNR). En 2014, les données ont profondément changé. Les consciences politiques sont nettement plus éveillées et le peuple est profondément attaché aux aspirations de liberté qui caractérisent le régime démocratique. Il faudrait que l'ensemble de la classe politique et la société civile prouve leur maturité par leur capacité à surmonter les divisions et à mettre en place un agenda cohérent de transition pour un avenir meilleur.
Car malgré les quelques progrès réalisés pendant les 27 ans de pouvoir autocratique de Monsieur Blaise Compaoré, le Burkina Faso reste dans la queue du peloton des nations du monde. Le rapport mondial de 2014 sur le développement humain durable classe le Burkina Faso 183e sur 187 pays. Les défis sont donc importants à relever. Pour cela, la classe politique, la société civile et l'armée doivent chaque être capable d'inscrire l'intérêt général au-dessus de toute autre considération. L'heure n'est donc pas à la cacophonie, mais à l'engagement de tous dans la poursuite d'un objectif commun, celui de redresser le pays, de le remettre sur les rails du développement. L'heure de la transition, ce passage d'une situation donnée, insatisfaisante à une autre plus satisfaisante, est le moment où il faut baliser le chemin vers l'idéal d'une véritable démocratie. Nous rappelions dans notre précédente déclaration que l'organisation d'élections ne signifie pas véritablement démocratie.
Pendant près d'un quart de siècle, on n'a organisé des élections au Burkina Faso que pour le maintien au pouvoir de Monsieur Blaise Compaoré. La période de transition doit permettre de prendre des dispositions pour éviter la répétition des mêmes erreurs. A cette heure de la transition, on a besoin de tout le monde, sans exception, chacun en fonction de sa spécificité à la place qui est la sienne. L'opposition politique, les organisations de la société civile et l'armée doivent avoir la même détermination en mettant en synergie leurs efforts pour atteindre l'objectif ultime d'une transition réussie qui les crédibilise et accrédite la thèse d'un modèle africain de soulèvement populaire ayant permis de barrer la route à la dictature.
Le SYNADEC se réjouit de l'engagement quoique tardif de l'Union Africaine, de la CEDEAO et des Nations Unies aux côtés des burkinabè pour sortir de la crise. Leur soutien est essentiel et contribuera sans doute à la réussite de la transition.
Le SYNADEC attire l'attention du futur gouvernement de transition civile, que le premier acte à poser est d'organiser une journée nationale à la mémoire des martyrs de la Révolution d'octobre 2014 et que la journée du 30 octobre soit déclarée journée nationale de commémoration des héros de la révolution burkinabè. Le SYNADEC formule le vœu que le boulevard qui va du Monument des Héros à l'entrée de Kosyam soit rebaptisé, Boulevard des Martyrs du 30 octobre.
Fait à Ouagadougou le 04 novembre 2014
Pour le SYNADEC
Le Bureau national
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