Le Regard de Monica – « Être jeune, être femme, être africaine et entreprendre »
Le Regard de Monica est une chronique de Burkina24 qui est animée chaque jeudi par Monica Rinaldi, une Italienne vivant au Burkina. Cette chronique traite de sujets liés aux femmes, à la consommation locale et aux faits de société.
La gente féminine constitue environ 51% de la population au Burkina Faso, mais moins d’un quart des génératrices de revenus, proportion qui descend davantage quand il s’agit d’entrepreneuses. Bien sûr la tradition – qui attribue à la femme le rôle d’ange du foyer – constitue une des déterminantes de cette disparité, mais pas la seule. Tout d’abord, le niveau de scolarisation des jeunes filles par rapport à leurs camarades garçons est plus bas, ce qui se ressent davantage en zone rurale et chez les couches sociales défavorisées (EICVM 2009). Mais même les filles qui parviennent à compléter des études secondaires ou supérieures se voient confrontées, à l’instar des garçons, au problème de chômage des jeunes. Enfin, souvent les entourages n’encouragent pas les femmes à entreprendre une activité propre, surtout si celle-ci est passible de l’emmener à voyager et à s’absenter souvent du domicile.
Ces obstacles sont certes importants mais pas insurmontables. Des femmes et des filles ont le courage de se lancer de manière autonome dans le monde des affaires, en surmontant des difficultés, des idées reçues et des pesanteurs socioculturelles liées à leur condition de femme en affaires…
Une fois par mois, dans la rubrique « Le regard de Monica », nous vous proposerons le portrait d’une femme qui a lancé sa propre activité entrepreneuriale. Ce mois-ci, le portrait de Mariam Soré alias Mamy Sor, créatrice de mode.
Ces jours-ci, Mamy Sor est très prise. Ayant inauguré sa boutique ouagalaise il y a moins d’un mois, exposant ses créations au SIAO, le temps n’est pas le bien dont elle dispose le plus en ce moment. Néanmoins, cette jeune dame de Ouagadougou, ayant ses racines dans la cité de Naaba Kango, a trouvé une demi-heure pour échanger avec nous. Diplômée en finance-comptabilité et e-commerce, elle a entrepris l’activité de styliste de mode dans l’informel depuis 2004. Elle a évolué jusqu’à ouvrir sa première boutique à Abidjan en 2004 et à Ouagadougou tout récemment, en octobre 2016.
B24 : Mamy, d’où est née l’idée de devenir créatrice de mode ?
Mamy Sor : Je suis issue d’une famille modeste. Quand j’étais plus jeune, je n’avais souvent pas assez de moyens pour me permettre des tenues à la mode. Avec mes petites économies, j’achetais un tissu et je dessinais moi-même mon modèle.
Rapidement, mes camarades ont commencé à apprécier mes tenues, que l’on ne voyait nulle part ailleurs. J’ai commencé à conseiller et à habiller mes proches, ma famille et mes amies, parallèlement à mes études, puis à mon activité professionnelle. Quand j’ai fait une période de chômage d’une année, je me suis donnée à fond dans la mode, cela a réussi. Et me voici.
B24 : Tes créations sont un mélange harmonieux de tissus et de styles. D’où vient ton inspiration ? Quel message veux-tu véhiculer ?
Mamy Sor : Mon inspiration vient de la mode africaine, tous azimuts. Mes créations visent à unir le traditionnel au moderne, mélanger les tissus de plusieurs pays. Chaque modèle raconte une histoire cachée dans les tissus choisis… burkinabè, ivoiriens, camerounais et encore d’autres. Mais l’essentiel, c’est la fierté d’être africaine, qui se traduit dans un total-look tout comme dans un seul accessoire : une tenue occidentale peut être ravivée par une boucle d’oreille en pagne. C’est toujours un symbole de fierté.
Or, mon rôle est de proposer un style. Le port de la mode africaine, cela ne s’impose pas : ce sont les Africains qui doivent l’accepter, notamment les jeunes qui sont le public-cible de ma collection qui valorise le pagne tissé traditionnel dans des coupes modernes. Porter une tenue, ou un simple accessoire africain doit être un choix qui traduit l’amour pour notre Pays et notre continent.
B24 : Que faut-il faire pour avoir du succès dans une activité productive autonome ?
Mamy Sor : Quel que soit le domaine, il faut avoir la passion du métier. Le début est toujours difficile, un casse-tête à la limite. Il faut se faire connaître et apprécier. Ce n’est pas facile et le découragement est tout proche, mais il ne faut surtout pas céder. Quand les gens commencent à répondre, c’est encourageant !
B24 : Tu es jeune, tu es femme, tu es africaine. As-tu rencontré des difficultés ?
Mamy Sor : Beaucoup. Je les classerais en trois catégories. Tout d’abord les finances : pour une jeune fille sans garanties, avoir un crédit n’est pas du tout facile. Quand je suis allée demander mon premier crédit, on m’a d’abord refoulée. Ensuite, on m’a donné un tiers de ce que j’avais sollicité.
Il faut travailler, avoir la patience de commencer à petite échelle en mettant à profit le peu qu’on a, soit-il des petites économies ou un crédit. C’est ainsi qu’on pourra faire ses preuves et accéder à des crédits plus grands.
Deuxièmement, la jeune femme qui entreprend une activité productive doit faire face à beaucoup de préjugés. Les personnes vont se demander l’origine de tes fonds, des voix vont circuler. Mais là aussi, il faut savoir ce qu’on veut, se faire connaître par la qualité de son travail et ne pas prêter l’oreille à ceux qui veulent te décourager ou parler derrière ton dos.
Troisièmement, il ne faut jamais céder à la facilité, dans tous les sens. Des personnes vont commencer à te côtoyer, t’offrant des raccourcis ou des manières peu honorables d’avoir des fonds pour ton activité. Je parle aussi des hommes ! Eh bien, il ne faut jamais céder, car cela peut te porter préjudice après.
B24 : Qui t’a soutenue le plus ?
Mamy Sor : Je pourrais dire, moi-même et ma passion ! Au début, ma famille ne comprenait pas pourquoi tout en faisant des études de finance-comptabilité, je voulais aussi devenir créatrice. Mais quand ils ont compris que c’était vraiment ma volonté, ils m’ont toujours soutenue. D’ailleurs, ils ont été mes premiers clients !
B24 : Est-ce qu’on t’a mis des bâtons dans les roues ?
Mamy Sor : Pas vraiment ! Pas qu’on n’ait pas essayé… mais pour moi, tout obstacle est plutôt un défi, une raison d’avancer encore…
B24 : Pour conclure, quels conseils pouvez-vous donner aux femmes et filles qui veulent entreprendre une activité productive autonome ?
Mamy Sor : Tout d’abord, il faut savoir clairement ce qu’on veut. Si on veut se lancer dans une activité donnée, il faut tout analyser et maintenir le cap. Ensuite, encore et toujours avoir la passion de ce qu’on fait. Ne pas avoir peur de foncer, ne pas céder, ne pas désespérer si par moment cela tourne mal. Il faut être très motivée, organisée et patiente. C’est le vrai secret du succès !
Propos recueillis par Monica RINALDI
Chroniqueuse pour Burkina24
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