Carthage : Idrissa Ouédraogo honoré
Les Journées cinématographiques de Carthage (JCC) battent leur plein et les hommages à l’occasion du cinquantenaire du festival aux grands noms du cinéma africain se poursuivent aussi. Ce mercredi 2 novembre 2016 au Palais du Congrès de Tunis, c’est au tour du cinéaste burkinabè Idrissa Ouédraogo d’être reçu par ses pairs et la jeune génération pour partager son expérience.
Ils étaient à l’honneur à Tunis. Idrissa Ouédraogo et ses comédiens, notamment Barrou Oumarou, Rasmané Ouédraogo et Assita Ouédraogo. Face à ses pairs et bien d’autres festivaliers, le réalisateur de « Tilaï » a été présenté comme l’un des cinéastes africains le plus productif.
Pour les organisateurs des JCC, l’homme est un surdoué de l’image qui, bien que la tête et le cœur sont enracinés dans son terroir, fait de chacun de ses films, une étape sur la voie de la reconnaissance internationale.
Explorateur du cinéma
De ses œuvres, la Française Cathérine Ruelle, journaliste et critique de cinéma, pour avoir connu l’homme depuis les années 70, retient qu’Idrissa Ouédraogo est un explorateur : il cherche, perfectionne et change de style.
Les plus jeunes qui l’ont côtoyé le présentent comme quelqu’un de très généreux, disponible et à l’écoute des autres. Assa Serge Coelo, réalisateur tchadien, témoigne :
« Je retiens de lui sa grande générosité et sa disponibilité. Je me rappelle il y a des années que, très déçu parce que le FESPACO n’avait pas retenu mon film, j’ai cherché à le voir pour qu’il y jette un coup d’œil. Il avait un voyage dans les heures qui suivent mais il m’a reçu, on a discuté (…). En partant, il m’a donné 500 francs français. J’ai dit non. Je ne suis pas venu pour ça. Il m’a dit « tiens c’est pour toi ! ». Cela m’a marqué parce qu’à l’époque, cette somme était l’équivalent de mon loyer d’un mois ».
Rigide et humain
Pour ses comédiens, c’est quelqu’un de « rigide » au travail et « aimable » dans la vie. « Quand il tourne, il est rigide mais quand il ne tourne pas, ce n’est pas le même personnage. C’est quelque chose de positif », laisse entendre Oumarou Barou.
« Moi, je connaissais tous ces scénarii d’avance. Il vous fait bosser un scénario pendant un mois et sur les plateaux, on ne savait pas où on en était, entre le sérieux et le jeu. Mais c’est dans ça qu’il trouvait toute sa créativité», a témoigné pour sa part, Rasmané Ouédraogo.
Œil critique sur le cinéma africain
Au cours de l’entretien, Idrissa Ouédraogo, du haut de son expérience (environ 35 ans), estime que le niveau du cinéma africain est en baisse.
« Je ne reconnais plus ces cinémas des années 80, 90. Je ne vois pas les mêmes intensités, les mêmes envies de regarder le cinéma africain», déplore-t-il. Et l’avènement du cinéma numérique risque de ne pas arranger les choses.
A ce rythme, s’est-il inquiété, « nous (Africains) qui en aurons la maîtrise (…), seront colonisés par l’image des autres. Nos enfants seront plus colonisés par ces images et ce sera la perte de notre identité. (…) Il y a tellement d’histoires dans nos quartiers que les télenovelas brésiliennes ne signifieraient absolument rien en termes d’histoires. 60 ans après, le cinéma, l’audiovisuel africain tarde encore à retrouver ses marques ».
Un diagnostic qui n’a pas laissé les autres cinéastes de marbre et a suscité des commentaires, qui tendent à lui donner plutôt raison.
« Si Idrissa dit que le cinéma africain est dans une situation critique, c’est parce qu’il a arrêté de filmer. Il a arrêté de nous montrer le bon chemin», déclare le cinéaste malien Cheick Omar Cissoko, secrétaire général de la Fédération Panafricaine des Cinéastes (FEPACI). « C’est un très grand cinéaste, poursuit-il. Idrissa a fait des histoires humaines d’une si grande intensité, construites autour de personnages extrêmement forts (…). La façon de les filmer, son écriture est un bond en avant du cinéma africain. Il cherchait toujours le meilleur. C’est pour ça qu’aujourd’hui, il rouspète tout le temps contre tout ce qu’on fait ».
Reconnaissance
Il a été aussi question, au cours des échanges, de la disponibilité des grands cinéastes africains à accompagner les structures de formation et de l’accès de leurs œuvres par les étudiants en quête de repères ou de modèles.
Jean Yves Nana, directeur de la cinémathèque de Ouagadougou et enseignant à l’ISIS, de reconnaître, prenant l’exemple de Idrissa Ouédraogo, que «c’est vrai qu’il est très occupé. Quand on veut qu’il intervienne dans une session de formation, il faut lui courir après».
L’initiative des JCC de faire un programme spécial rétrospectif a été félicitée par les festivaliers et les cinéastes qui voient en cela un autre moyen de faire connaître la filmographie des ainés par les jeunes lors des festivals dans les différents pays.
Une distinction a été décernée à Idrissa Ouédraogo ainsi qu’à bien d’autres par les organisateurs des JCC.
Reveline SOME depuis Tunis
Burkina24
Filmographie d’Idrissa Ouédraogo
Né le 21 janvier 1954 à Banfora (Burkina Faso), Idrissa Ouédraogo est titulaire d’un Diplôme d’Études Générales à l’INAFEC (Institut Africain d’Études Cinématographiques de Ouagadougou). Il séjourne à Kiev en URSS pour des études de cinéma puis à l’Institut des Hautes Études Cinématographiques (IDHEC) à la Sorbonne, devenu la Fondation européenne des métiers de l’image et du son (FEMIS) de nos jours. Il est l’un des rares cinéastes africains à avoir travaillé à la Comédie française.
Entré à la direction cinématographique comme fonctionnaire, il réalise plusieurs films éducatifs avant de tourner son premier court-métrage « Poko » qui remporte le grand Prix du FESPACO en 1981. Plusieurs documentaires suivent : « Les Ecuelles» (1983), « Les Funérailles du Larlé Naba » (1984), « Ouagadougou, Ouaga deux roues », (1985), « Issa le tisserand» (1985).
De nombreux longs métrages sont à son actif et avec lesquels il remporte des prix sur le plan national et à l’international.
Son premier long métrage, « Le Choix », est sorti en 1986. Suivent « Yaaba » (1988) qui remporte le prix de la Critique au Festival de Cannes en 1989 et un autre prix dans un festival au Japon, « Tilaï » (1990), le grand prix du Jury au Festival de Cannes 1990 et « L’Etalon d’or de Yennenga » en 1991 au FESPACO, « Samba Traoré » (1992), « Tanit d’argent » aux Journées cinématographiques de Carthage en Tunisie en 1992 et « L’ours d’argent » à Berlin, « Le Cri du cœur » (1994), « Kini et Adams » (1997), «La Colère des dieux» (2003) et « Yam Daabo », en 1986.
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