Formation du gouvernement : Boni Yayi danse du «Tipenti»

Publié le lundi 22 juin 2015

Le 4è gouvernement du second quinquennat du Président Boni Yayi a été dévoilé le jeudi 18 juin dernier. Après plusieurs semaines de tergiversation, la fumée blanche est enfin apparue sur le toit de la Marina. Pour beaucoup de Béninois, ce nouveau gouvernement sonne comme celui des promesses non tenues et surtout d’un grand rendez-vous manqué par le Chef de l’Etat qui est toujours dans les calculs politiques.

La déception est totale. Au sein de l’opinion publique, le nouveau gouvernement du Dr Boni Yayi fait jaser. Sur plusieurs plans, les Béninois restent sceptiques. Pour eux, la montage a une nouvelle fois accouché d’une souris et apporte la preuve que le Chef de l’Etat n’est pas prêt à les faire rêver. A moins de 10 mois de la fin de son mandat, Boni Yayi continue en effet de danser le «Tipenti», cette danse de la région de l’Atacora où on fait un pas en avant et deux pas en arrière. Pour beaucoup de Béninois, passer de 27 départements ministériels à 28 avec des titres trop ronflants montre une fois encore que le Chef de l’Etat est resté sourd aux appels de ses compatriotes qui militent pour la réduction du train de vie de l’Etat. « Trois postes de ministres d’Etat et deux postes de premier ministre et de vice premier ministre, c’est beaucoup de charges pour les caisses de l’Etat ! », s’exclament des Béninois pour qui on n’a pas besoin d’autant de postes pour poser des actes concrets. Le comble dans cette affaire est le saucissonnage de certains postes ministériels. Le fait d’éclater certains ministères montre que le Chef de l’Etat est en panne en matière d’innovation. Que pourront faire les ministres à portefeuille nouveau lorsqu’on connait le temps que dure la prise d’un décret portant Attributions, organisation et fonctionnement (Aof) d’un ministère ? Incontestablement, ces ministres ne feront que du surplace. Ne soyons donc pas étonnés qu’après neuf mois, ces ministres n’aient pas de bilan à défendre.

 Le cas Lionel Zinsou

 La nomination de M. Lionel Zinsou comme premier ministre est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Dans tous les milieux, le sujet retient toutes les attentions. Pour beaucoup de Béninois, ce grand financier à la notoriété mondialement connue pourra bien se casser le nez face à Boni Yayi qui ne veut rien assumer. Ce n’est pas pour la première fois que le Président Boni Yayi va chercher des Béninois de la diaspora. Depuis 2006 qu’il a été investi Président de la République du Bénin, plusieurs Béninois de la diaspora qui ont cru en lui ont laissé les juteux postes qu’ils occupaient pour venir travailler à ses côtés. Malheureusement, il les a tous déçus. On se souvient des cas Késsilé Challa et Kpèdétin Dossou. Ils ont été humiliés par le Président Boni Yayi. Plaise à Dieu que Lionel Zinsou ne subisse pas le même sort. Car, son premier ennemi dans ce gouvernement ne sera personne d’autre que le Président Boni Yayi lui-même pour qui développer le Bénin n’est plus une préoccupation majeure mais plutôt se garantir une assurance-vie après 2016.

Réactions de quelques Béninois

Martin Assogba, Pdt Ong-Alcrer : « Je suis déçu »

 « J’ai été déçu par la mise en place de ce gouvernement. Premièrement, c’est un gouvernement pléthorique pour la fin d’un mandat aussi très proche. Car, ne nous leurrons pas, nous sommes à peine à 4 mois de la fin du règne de Boni Yayi. Lorsque les gens parlent de 8 mois, c’est faux. D’ici à là, quand nous aurions franchi la barre des élections locales et municipales et que nous aurions les résultats, ce sera  fini.  Nous allons rentrer immédiatement dans la course pour la présidentielle. Donc, ce n’est que 4 mois, et vous verrez que l’administration sera beaucoup plus lente, qu’elle ne l’est aujourd’hui. En tout cas, on n’avait pas besoin d’un gouvernement aussi large. Deuxièmement, je vais parler du premier ministre, toute chose que ne prévoit pas notre constitution. Vous vous souvenez qu’au moment, où le président Mathieu Kérékou avait nommé  un premier ministre, cela avait fait l’objet de toutes les critiques et le premier ministre d’alors a fini par démissionner parce qu’au fond, il n’y avait pas de contenu dans sa nomination. Maintenant, on nous ramène encore un premier ministre qui, bien qu’il soit Béninois, est importé. Un premier ministre qui ne connaît pas les réalités du pays. N’oubliez pas que le chef de l’Etat avait déjà au niveau de ses conseillers, un monsieur qu’il a aussi importé des Etats-Unis et qui devrait s’occuper des questions de bonne gouvernance, il s’agit de Michel Dognon. Quel est son bilan ? Quels sont les résultats ? Rien jusqu’à présent. Maintenant, on nomme un nouveau premier ministre. Un Béninois importé de France, alors que ce monsieur n’a aucune connexion avec la base au Bénin. Il ne connaît pas le pays. Il ne connaît pas l’habitude des Béninois. Il ne connaît pas la sociologie des Béninois. Il ne connaît pas les réalités. Il ne sait pas de quoi souffrent les Béninois. Le tout n’est pas d’avoir de grands diplômes ou d’être riches pour venir diriger le Bénin. Non. Donc pour moi, la nomination d’un premier ministre ne veut rien dire. En plus, on dit premier ministre chargé de la bonne gouvernance. Quelle bonne gouvernance, il pourra faire dans quatre ou cinq mois ? Ce n’est pas possible. Par ailleurs, on nomme des sous-ministres d’Etat, cela va servir à quoi ? Cela rime à quoi ? Pourquoi des ministres qui existaient avant, on leur donne encore des titres pompeux ?  C’est certainement, pour mieux les remercier pour qu’ils aient plus de matériels, avant de partir du gouvernement. Donc, tout cela  me  paraît inutile. Et maintenant, on est en train de  nous préparer psychologiquement à accepter le franco-béninois, Lionel Zinsou, importé  de France qui n’est pas en contact avec les réalités du pays. Alors qu’on ne connait même pas ses habitudes, on ne sait pas si c’est un monsieur sociable, ni quelqu’un qui peut être à l’écoute des différentes préoccupations des Béninois, des différentes organisations, à savoir les syndicats ou la Société civile. Mais on le nomme, et on veut le préparer à être candidat et à être le dauphin de Yayi Boni pour 2016. Mais  moi, je trouve que cela ne pourra pas passer. Et ceci, pour le simple fait que nous avons fait cette expérience avec Yayi Boni lui-même. Yayi Boni, vous savez, si vous faites une analyse rétrospective, il nous a été aussi imposé par la France, depuis Chirac, pendant qu’il était président, au niveau de la Boad. Il a été décoré en France par ce président français, et jusqu’après son arrivée pour ceux qui ont une bonne mémoire sur le cursus du Dr Boni Yayi. Depuis qu’il était  à la Boad et qu’il a été décoré à Paris, et quand il est revenu automatiquement, on l’a mis à la disposition du ministre des travaux publics d’alors, Kamarou Fassassi qui a commencé à le faire connaitre dans tous les milieux où la Boad avait financé des travaux de construction de voies. C’est ainsi qu’on a commencé par le voir partout et alors il est devenu candidat. Et on nous a dit qu’il est le seul capable d’assurer le développement de notre pays, à partir du moment que c’est son institution qui finançait les grands travaux dans  le pays. Il aurait donc la machine financière en main et qu’il pourra venir régler tous nos problèmes. Mais, quelle n’a pas été notre déception au bout des 10  ans de son règne. Boni Yayi n’a pas su valoriser les ressources humaines que nous sommes et sa gestion financière est catastrophique. En réalité, il a passé ses 10 ans à tenter de réviser notre constitution pour s’éterniser au pouvoir. Et comme il a échoué, il est allé chercher quelqu’un d’autre dont on vante les capacités intellectuelles, la fortune, l’impressionnant carnet de visites, les entrées faciles à l’Elysée. D’accord, mais est ce qu’il connaît les Béninois pour prétendre les diriger ? Je voudrais conseiller dès à présent au nouveau premier ministre de se démarquer en organisant une conférence publique, où tout le monde pourra venir lui poser les questions pour qu’il puisse nous faire part de sa vision et de la façon dont il veut gérer le pays pendant le laps de temps qui reste au président Boni pour que nous sachions à qui nous aurons à faire. Parce que immanquablement, vous entendrez son  nom quand on va commencer à enregistrer  les candidatures à la présidentielle ».

Mathias Hounkpè, Politologue : « Il lui sera difficile de produire des résultats »

« Rien de surprenant puisque le remaniement était attendu à la suite des législatives et surtout étant donné le nombre de ministres élus qui ont préféré rester au parlement. Ce qui est un peu gênant, c’est le nombre de portefeuilles créés. Le nombre de postes ministériels a augmenté alors qu’il est largement reconnu que le Benin pouvait fonctionner avec moins. Le comble, ce sont les positions qui sont créées : premier ministre (on en avait eu dans le passé), vice premier ministre, et le nombre de ministères d’Etat. Tout ceci fait craindre les problèmes de coordination d’un tel gouvernement. Le problème de l’arrivée de Zinsou est ailleurs. Malgré la réputation d’expérience et de compétence qu’on lui connaît je doute que le Bénin puisse en profiter en si peu de temps. Il n’est pas sûr que le gouvernement dont les membres ont pour la plupart des ambitions politiques, soit complètement disponible. Il sera difficile à Lionel Zinsou, quelle que soit sa volonté, de produire des résultats dans un environnement où presque tous les ministres ont des ambitions politiques»

Ils commencent mal

Sans officiellement prendre services, les nouveaux ministres du gouvernement du Dr Boni Yayi ont participé à leur première séance de conseil des ministres. Ils étaient là. Ils ont signé à tour de rôle la charte du gouvernement. Ils ont été instruits pour aller se conformer aux dispositions de l’aliéna 2 de l’article 52 de la Constitution qui stipule que :  » les ministres et le Président de la République sont tenus lors de leur entrée en fonction et à la fin de celle-ci de faire sur l’honneur une déclaration écrite de leurs biens et patrimoine adressée à la Chambre des comptes de la Cour Suprême « .  Au cours de ce premier conseil des ministres à la suite duquel les membres du gouvernement ont suivi le Chef de l’Etat au Port autonome de Cotonou où il a présidé une séance de travail avec les responsables de la Chambre de commerce et d’industrie du Bénin et les acteurs portuaires, plusieurs importante décisions ont été prises. On peut citer, entre autres, la dissolution de l’Inspection générale de l’Etat présidée par M. Alidou Koussé. Tout s’est malheureusement passé en présence de M. Lionel Zinsou. Il n’a pas pu attirer l’attention du Président de la République sur le fait qu’il n’est pas normal que des ministres qui n’ont pas pris régulièrement service participent à un conseil. Quelle sera la valeur juridique qui pourra être donnée aux décisions prises au cours de ce conseil des ministres ? La question mérite d’être élucidée. Franchement, Lionel Zinsou a mal commencé. Ce qui s’est passé hier montre qu’il ne sera pas différent des autres ministres. Il va se plier aux desiderata de Boni Yayi, même si cela portera atteinte à sa notoriété internationale reconnue.

Affissou Anonrin


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