Du tripatouillage de la Constitution au braquage de la Transition : A qui profite le crime ?

Publié le jeudi 5 février 2015


Notre transition serait- il sous Surveillance RSP ? Dans l'interview que lefaso.net a bien voulu m'accorder et publié le 17 janvier, 2015 sur le site de lefaso.net(http://ift.tt/1BCuk7n ), je disais en conclusion, que j' avais des appréhensions quant au RSP. Je ne croyais pas si bien dire, même si j' aurais aimé me voir démenti. Nous ne pouvons pas nous flatter sur le fait que nous avons un Exécutif de mission commandée, un Judiciaire que nous devons réformer, et un Législatif de transition alors que la vérité est qu' il y a un supra- pouvoir non – officiel, mais qui ne cesse pas moins d' officier dans l' ombre, en tant que le véritable détenteur du pouvoir réel, même niché dans une caserne.




Les militaires, on les aime, mais dans les casernes et aux frontières


Voilà ce que je disais verbatim de ce que je pense du RSP : « Mais une question autrement plus grave qui demeure, c'est la question RSP. J'ai des appréhensions, en toute honnêteté. Il faut que l'on en parle maintenant. On n'a pas besoin d'un régiment entier de 1000 personnes pour garder un président, surtout que la présidence n'est pas située sur une frontière. C'est anachronique. Tant que le RSP sera là, on aura du mal à croire sincèrement que le système Blaise sera démantelé et notre transition sera toujours entre leur main, en réalité. Blaise nous a servi sa démocratie hybride. Il ne faut pas nous donner une transition civile hybride avec l'ombre du RSP qui plane sur tout. Ce n'est pas rassurant. Ce qui est sûr, si on veut être sincère, un Régiment de Sécurité PRÉSIDENTIELLE ne se justifie pas dans une démocratie. La raison de leur réticence (le RSP), c'est l'idée qu'ils vont perdre leurs avantages matériels (les ‘vloppes, les missions) et symboliques (les honneurs, le fait de se voir comme la femme préférée du président, etc.). »


J'ai mal au cœur parce qu'avec les incidents du 30 décembre 2014 et du 4 février 2015, tout se passe comme si le RSP était l'instance d'arbitrage de notre transition. La Charte de la Transition ne lui a jamais donné ce pouvoir. Pourtant, tout le monde sait le rôle peu fameux autant que malfamé qu'il a joué dans l'histoire politique de ce pays. Mais par souci d'apaisement et de rassemblement, on s'est contenté de l' essentiel. Et voilà même que cet essentiel risque de nous échapper si nous ne redescendons pas dans l'arène. Peut-être avons – nous baissé la garde trop tôt ? Il me semble qu'il nous reste un combat à mener, celui de protéger et de consolider les institutions de la transition que nous nous sommes données. Le Premier Ministère en est une. Des dignes fils de ce pays ont payé de leur vie pour que l' on soit là où nous sommes aujourd' hui. Nous ne pouvons plus nous laisser faire. Ne serait-ce que parce qu' ils ont payé de leur vie pour une vie meilleure pour le reste d' entre nous. Ce serait non seulement très méchant de notre part mais surtout très indigne de nous laisser voler notre victoire que pourtant nous tenons bien dans la main, même si cette victoire est fragile comme un œuf et glissante comme un silure, reconnaissons – le tout de suite.


Ce qui se passe ne devait pas surprendre outre mesure au regard des circonstances même qui ont entouré le départ de Blaise Compaoré du pouvoir. Blaise est parti, mais son très long bras continue de s' étendre sur les affaires du Burkina depuis Yamoussoukro. Il a eu le temps de quitter son palais, documents et espèces sonnantes et trébuchantes avec. Ne me demandez surtout pas des preuves, sinon je vous demanderai aussi de me donner des preuves qu' il a pas quitté le palais rien qu' avec ses sandales comme l' ex- belle- mère nationale. Ce sera votre parole contre la mienne, avec l'avantage que la mienne reflète plutôt le bon sens : Il est parti dans un convoi de plus de trente voitures et ces voitures ne sauraient être vides. Quelqu' un a eu à dire, en son temps, que même dans sa fuite, il nous coûte cher. Il ne s'est pas seulement préparé avant de libérer les lieux, il a été même couvert dans sa fuite par le même RSP. Il est vrai qu'on n'a pas eu le temps ou le loisir de faire la fine bouche à l'époque mais nous n'étions pas dupes du fait que le RSP avait fait bloc derrière l'homme et depuis, il ne l'a pas quitté. Ce n'est pas une conduite digne d'une armée républicaine. Seulement, en bons militaires, ils savaient tous qu'ils ne pouvaient pas résister devant l' avalanche de la colère du peuple. Ils ont dû simplement attendre leur heure. Ils la croient arrivée. Peut- être parce qu' en tant que peuple, nous avions montré des signes de faiblissement. Le fantôme qui ne vous connaît pas le jour ne vous attaque pas la nuit. Nous sommes tous contents que l'armée, à travers son bras le mieux entrainé et le plus armé, n'ait pas permis une longue vacance du pouvoir, ce qui pourrait entraîner mille dangers. Mais nous sommes finalement plus heureux que l' armée ait partagé la poire en deux en rendant symboliquement le pouvoir aux civils même si dans l' absolu, chacun a mis de l' eau dans son vin pour ne pas donner l' impression de faire dans la surenchère, ce qui a donné une transition mi- chair mi- poisson , ce dont se contente chacun, même si personne n' en est totalement satisfait.


Et comme personne n'est vraiment satisfait dans tout compromis, ce qui renvoie à une situation grosse de précarité, voilà que la bête immonde de l'instabilité montre sa vilaine tête au moment où les paisibles citoyens ne demandent que la paix pour vaquer à leur vie quotidienne qui n' est déjà pas rose. Tout se passe comme si des gens n'avaient pas la moindre pitié pour ce peuple meurtri par des dictatures militaires sur 55 ans d'indépendance bienveillamment octroyée et appauvri par des politiques les moins inspirées.


Pendant que je prenais mon lunch rapide dans mon bureau à 13h, j'ai furtivement lu l'article de lefaso.net qui faisait état des couacs entre le RSP et le Premier Ministre, chose qui n'a pas permis à l'hebdomadaire conseil des ministres de se tenir. J'ai eu des sueurs froides, même si en toute franchise, je n'ai pas été surpris. Bien avant la fronde du 30 décembre 2014, je soupçonnais que le RSP était comme le feu de bouse de vache. Ce n'est pas parce que vous ne voyez pas les braises rougeoyantes que le feu a cessé de brûler sous la cendre. Le plus souvent, il n'est que de voir la manière dont une corde est tissée dans ses débuts pour préjuger de la façon dont elle finira. Notre transition s'est enclenchée de façon assez « intéressante » , avec le RSP qui s'est trouvé en première ligne dans la position de celui qui devait gérer la transition. N'eût été la vigilance e la mobilisation des patriotes aidés par la communauté internationale qui ont réclamé une transition civile, on aurait déjà vu des vertes et des pas mûres. Les militaires, on les aime, mais dans les casernes et aux frontières en train d'assurer la sécurité des biens et des personnes ainsi que l'intégrité territoriale. Loin de moi l'idée de mettre en doute leurs compétences L'armée regorge de têtes bien pleines, bien faites et bien et bien rondes, parfois même à nous faire pâlir, nous civils, d'envie. Du reste, cela n'est pas spécifique aux armées africaines. Les armées européennes ou américaines regorgent en leur sein d'officiers qui ont du tibia comme on le dit dans le français populaire. Mais pourquoi ne sont- ils pas tentés de mettre tout le pays sous leurs bottes ? Tout simplement parce qu'ils ont adhéré au sacro- saint principe de la division socio- politique du travail, après une éducation à la démocratie réussie. L'ère des généraux comme George Washington ou comme DeGaulle est révolue. Quittons les anachronismes qui ne nous arrangent pas. Toute personne qui se croirait démocrate et qui aurait une autre compréhension de la place de l'armée dans un système démocratique doit forcément revisiter ses valeurs citoyennes afin de les clarifier.


Je n'étais personnellement pas enchanté de voir un Numéro 2 du même RSP aux premières loges les premiers jours après le départ de Blaise Compaoré. Quand un serpent vous mord, vous vous méfiez même, et avec juste raison, d' une corde. Mais avec le temps, l'homme a plus ou moins compris ce que voulait le peuple et ce qu' il ne voulait pas. Zida a commis quelques erreurs. Je ne dis pas forcément que l'homme n' avait pas ses petits calculs au départ, mais on peut lui en savoir gré car aucune œuvre humaine n' est frappée du sceau de l' infaillibilité papale. Mais de là à ce qu'un corps militaire à lui seul décide qu'il parte, on ne peut pas laisser cela passer. D' ailleurs, le fait que le RSP qui est très loin de représenter l' armée, fort heureusement d' ailleurs, boude le Premier Ministre signale quelque part que Mr. Zida a décidé de travailler plus ou moins franchement selon la Charte de la Transition et que, plus sûr encore, il veut dépasser l' esprit de corporation pour être le Premier Ministre du Peuple. Ne serait-ce que sous ce regard, il a du mérite. Nous devons nous mobiliser pour sauver la république qui est en mauvaise passe.


Le Premier Ministère est Consubstantiel à la Charte de la Transition


De quel droit le RSP veut- il qu' il quitte son poste, lui, un corps qui ne représente pas plus de mille burkinabè ? Blaise aura vraiment quitté le pouvoir si la question RSP est résolue car on ne peut pas gouverner avec l' épée de Damoclès, pardon, la baionette du RSP qui pend sur les têtes sur le fil d' un cheveu. Que personne ne se leurre. Nous ne sommes pas sûrs de voir le bout du tunnel à ce rythme. D' ailleurs, c'est ma théorie que tous ces bruits alentour, ce n' est pas à Zida qu' on en veut. L' Opération Zida n' est que la pointe de l' iceberg dont la base qui est en même temps la cible est le peuple. Et pour mieux nous enfariner, on fait comme si c'était un problème d'hommes au sein du RSP. Ce n'est pas aujourd' hui que dans le même RSP un caporal donne des ordres à un lieutenant, et un adjudant à un commandant. D' où leur vient tout à coup ce sens élevé de l' ordre militaire ? Ma brève formation militaire à Loumbila et à Badala m' a enseigné que la fonction prime le grade. Alors, qu' on nous nous serve autre chose qu cette salade rancie d' un commandant qui commanderait un colonel et qui ferait partie des griefs qui valent un coup d' état du RSP..


Tout le monde s'accorde à reconnaître que Blaise est un militaire bon stratège, même on e lui voit pas un courage particulier. Alors, quel bon stratège se contenterait de dormir et de jouer à la belotte à Yamoussoukro quand il peut donner du fil à retordre à un « peuple ingrat » qui « humilie » un président à qui on a fait accroire qu' il valait mieux que tout le pétrole du monde pour un pays qui n' en a pas encore ? Déphasé, il croit aujourd' hui que toutes ses misères, il les doit à ses anciens collaborateurs aujourd' hui devenus ses adversaires et mieux, ces ennemis ? Alors, même s' il sait que personnellement, il ne goûtera plus aux pouvoi en peronne, avouons que la tentation est grande de jouer au lépreux expert en renversement de calebasse pleine de lait même s' il ne peut plus traire la vache. Ce faisant, il oublie que ce n'est pas une question d'individus mais qu' il s' agit de l' intérêt bien compris du peuple burkinabè qui l' a bien servi. Il y a péril en la demeure. Avant le crépitement et le staccato des armes, il faut que la communauté internationale fasse quelque chose pour une transition apaisée au Burkina Faso. La mare politique qui devient de plus en plus troublée ces derniers temps n'a rien d'un hasard. Blaise prépare sa revanche et il veut le faire par procuration. C'est pourquoi, pour peu que le PM Zida veuille se libérer un tant soit peu du joug du RSP qui l'a sacré roi, on veut le lui rappeler de fort mémorable manière que les transgressions ne sont pas tolérées dans ce milieu. Notre transition ne pourra pas aller loin si elle doit évoluer sous l'empire du RSP. Personne ne nie le fait qu' il faille que la reconversion de cette unité d' élite vers des tâches plus nobles et qui s' inscrivent dans un cadre républicain soit faite avec le doigté voulu. Mais il m'a tout l' air que la transition est tenue en laisse par l' armée dans sa partie RSP. A ce rythme, je ne donne même pas cher à la feuille de route qui a été tracée pour que l'on sorte de l'auberge en novembre 2015. Elle risque de rester une feuille de route, pour ne pas dire une feuille de chou dont même la chèvre de Mr. Séguin ne voudrait pas.


Le RSP doit savoir que le peuple burkinabè ne pourra s'accommoder d'un régime militaire qui ne dit pas son nom. Il s'est battu héroïquement, les mains nues , parce qu' il croit dur comme fer à un idéal, celui de la démocratie sans feinte, seul garant du développement et de la stabilité. Notre chance, c'est que le même peuple qui a misé son corps est toujours là. Les mêmes jeunes qui savaient qu'en sortant pour se battre les mains nues, mathématiquement donc vaincus par le béhémoth, ils pouvaient mourir et qui sont quand même sortis, et comme ils s'attendaient, beaucoup de leurs amis sont tombés, fauchés par les balles tueuses des hommes de blaise Compaoré, et cela, de sang- froid, l'ont fait pourtant afin que ceux d' entre eux qui n'auraient pas été tués, tous ne pouvant mourir, que la vie soit meilleure pour le reste, qu' ils aient en fin un avenir. Qu'on laisse la transition travailler afin de poser les conditions d' une société démocratique où le développement durable est possible et où les fruits du développement sont partagés de façon équitable. Dans notre architecture constitutionnelle, je ne vois pas un endroit qui donne au RSP le droit de révoquer un Premier Ministre, fût- il du RSP. C'est un coup d' état en préparation et les citoyens doivent empêcher cela de se produire.


Le Premier Ministre Zida, Un Prétexte pour Abattre notre Processus Démocratique


Qui en veut à notre Premier Ministre qui se trouve accidentellement se confondre ici avec la personne de Zida, un militaire du RSP, en veut à notre transition. Pas besoin de faire les maths sup. pour voir cette logique. Et à qui donc profite l' échec de notre transition ? Comme un commissaire de police sur le lieu d'un crime, posons- nous la bonne question : Qui gagnerait à ce que le désordre s' installe au Faso ? A qui profite ce crime qui se prépare contre le peuple qui croyait petit à petit sortir la tête de l' eau malgré les balbutiements inhérents à tout début de pouvoir pour des gens qui n' étaient pas forcément préparés à la gestion au plus haut sommet de l' état mais dont on voudrait créditer de la bonne foi au moins ? Si Le RSP réussit à faire partir Zida, il aura réussi du même coup à mettre sous coupe réglée tous les organes de la transition et ouvrir large le boulevard afin que les hommes de Blaise Compaoré reviennent au pouvoir sans même avoir goûté au purgatoire qu' ils méritent pour la nécessaire reconversion de leur mentalité politique car plus rien ne sera comme avant. Le peuple est en danger. Comme avant la fuite de Blaise Compaoré.


C'est pourquoi je salue l'acte hautement humanitaire et démocratique du gouvernement américain qui suit la situation de très près à travers son dynamique ambassadeur SEM Tulinabo Mushingi. Le représentant de l' ONU est aussi à féliciter. Dépêché sur place à Ouagadougou le mercredi 4 février même, il a fait savoir sa position sans la langue de bois à laquelle on nous a habitués dans la diplomatie internationale. Il a averti qu'il ne tolérerait aucune entrave à la transition en cours car c'est d' une entrave grossière qu' il s' agit dans toutes ces agitations, une tentative pure et simple de liquider notre processus démocratique en commençant d' abord par la transition. Zida est donc un prétexte. Il est à souhaiter que les autres nations démocratiques emboitent le pas aux américains et à l' ONU en faisant savoir aux soldats du RSP que leur posture est une imposture qui ne sert pas la démocratie mais plutôt le chaos dont personne ne sortira vivant, militaire ou civil, RSP ou armée régulière. Il vaut mieux prévenir que guérir car si on laisse la tambouille commencer, l'irréparable aura déjà été commis avant que l' ONU ne prenne des mesures conservatoires. C' est le moment d' agir, messieurs de la communauté internationale. Les signaux ne sont pas bons. Je lance un vibrant appel à l'ONU afin qu'elle pense déjà à envoyer des observateurs. Ses forces doivent jouer le rôle de tampon afin de sécuriser les élections. Il n'y a jamais un petit incendie.


Le peuple doit encore mouiller le maillot et terminer ce qui restait à terminer


Je termine ce cri de cœur en me tournant vers mes compatriotes. Si nous avions encore besoin de preuve que la lutte n'est pas terminée, cette preuve a été faite par A + B avec les amis de Blaise qui reprennent du poil de la bête. Nous n'avons pas le droit de leur laisser le terrain car en politique, un espace inoccupé est vite occupé. Tant que nous ne nous mettrons pas en alerte maximale en sonnant le tocsin citoyen, Novembre 2015 ne sera qu'une arlésienne. Nous devons resserrer nos rangs et avancer au coude- à – coude comme nous l'avons si bien fait au point de bouter hors de Kosyam un président qui était archi- sûr de lui et de ses forces protectrices tous azimuts. Le RSP est fort mais le peuple est encore plus fort. Il nous faut renouer avec notre union sacrée qui a fait ses preuves au – delà même de nos attentes. Tous les signes sont écrits sur les murs. Si nous refusons de les voir aujourd'hui, demain il sera trop tard et nous serons gros Jean comme devant car nos enfants et nos frères seront morts le 30 et le 31 octobre pour rien. On ne tue pas un serpent à moitié. Cette épreuve que nous imposent le RSP et ses commanditaires est l'examen de passage de notre processus démocratique enclenché après 27 ans de pouvoir personnel et sans partage. Nous nous en sortirons agrandis ou rapetissés selon que nous nous comporterons en peuple soudé et debout ou en individus dispersés et affalés. Or, qui peut le plus peut le moins. Unis, sauvons la démocratie dans notre pays pour y mieux vivre car c'est le seul pays que nous avons pour l'immense majorité d' entre nous.


Touorizou Hervé Somé, Ph. D.

Sociologie de l'Éducation/Éducation Internationale Comparée

Maître de Conférences (Associate Professor)

Ripon College, Wisconsin

États- Unis

burkindi@gmail.com





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