Jusqu'où le « Pays des hommes intègres » va-t-il se désintégrer ? (4)

Publié le mardi 4 novembre 2014


Au Burkina Faso, la société civile et les partis d'opposition n'ont cessé de « marcher » contre le pouvoir en place et, à la fin, c'était toujours l'armée qui gagnait. Cette observation, cette fois, pourrait ne pas être vérifiée. Certes, c'est le lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida qui a été porté par l'armée à la tête du pays, mais pour une « transition démocratique apaisée ».




C'est lui qui l'a dit dans son premier message (cf. LDD Burkina Faso 0441/Lundi 3 novembre 2014) ; mais c'est aussi le mot d'ordre de ceux qui ont entrepris de discuter avec lui. Il n'est personne à Ouagadougou pour penser qu'en 2014 un régime militaire puisse être viable. Zida est là pour remettre de l'ordre dans la capitale, ce que sait faire le RSP (non sans rudesse) et ce qu'il a entrepris de faire. Et pendant ce temps, les discussions vont bon train. Il s'agit de se mettre d'accord sur le nom du civil qui gérera cette transition. Car la situation du pays est d'ores et déjà dramatique.


Les destructions sont considérables, dans les établissements publics comme dans le secteur privé. Le tourisme et les affaires internationales sont, bien évidemment, au point mort. Nombre d'investisseurs, qui avaient apprécié la « stabilité » qu'offrait un régime en place depuis plus d'un quart de siècle, vont mettre la clé sous la porte et chercher d'autres points d'ancrage. Le monde des affaires était aussi, et d'abord, celui du clientélisme. C'est fini. Les interlocuteurs d'hier ne seront pas ceux de demain.


Le Burkina Faso devait déjà faire avec le ralentissement de l'activité internationale liée à l'épidémie d'Ebola ; ses grandes manifestations officielles avaient été reportées, autant dire annulées pour cette année. Et voilà que le chaos politique s'installe dans le pays tandis que la sous-région n'est pas au mieux de sa forme et que la « communauté internationale » se lasse de ces soubresauts africains dans un contexte sécuritaire largement défaillant. C'est pourquoi, à Ouaga, aujourd'hui, tout le monde donne l'impression de vouloir « mettre la main à la pâte », sinon pour sauver ce qui pouvait l'être de l'ancien régime, tout au moins pour permettre l'émergence, dès que possible, d'un système politique consensuel.


Après trente années (celles de Blaise Compaoré s'ajoutant à celles de Thomas Sankara) pendant lesquelles il y a eu permanence de la classe dirigeante et où le monde des affaires s'est développé dans le sillage du monde politique (avec toutes les dérives que cela implique), il ne sera pas facile de trouver un homme totalement neuf qui puisse avoir l'autorité nécessaire pour remettre le pays en marche sans avoir été aux affaires. Le retour à la constitutionnalité obligerait à confier la transition au président de l'Assemblée nationale. Mais c'est le premier édifice public détruit par les manifestants et il va rester, pour eux, le symbole d'un « parlementarisme couché » ; rien à voir avec un symbole démocratique.


Soungalo Appolinaire Ouattara, son président, peut donc dormir sur ses deux oreilles* : il ne sera pas confronté aux affres du pouvoir. Difficile de porter à la tête de l'Etat, même pour une transition constitutionnelle, un homme dont l'institution a (malgré elle) mis le feu aux poudres. Dommage car Ouattara, un homme de l'Ouest (il est originaire de Koumi, non loin de Bobo-Dioulasso) vaut mieux qui l'image désormais véhiculée par l'institution dont il était le président après une longue carrière à l'administration territoriale (y compris comme ministre délégué chargé des collectivités locales), le secrétariat général de la présidence du Faso et le ministère de la Fonction publique.


Le Burkina Faso n'est pas un quelconque pays africain. Gouvernement et administration y sont, par bien des aspects, exemplaires. Au-delà de la longévité au pouvoir de Compaoré (même s'il n'a que 63 ans !), ce pays a été, sous sa conduite et malgré les drames politiques, plus crédible que beaucoup d'autres. Au sortir d'une « Révolution », qui n'a pas été une partie de plaisir pour la population (quoi qu'en pensent les exégètes des années Sankara), il n'était pas évident de réussir la « Rectification » et d'ancrer le Burkina Faso dans un mouvement de démocratisation politique et de libéralisation économique. La colonisation s'était d'ailleurs posé la question de la viabilité de ce pays enclavé sans ressources naturelles, et Paris avait fini par tirer un trait sur son histoire et ses peuples, le démembrant au profit des voisins.


L'émergence diplomatique du Burkina Faso au cours des deux décennies passées s'est faite au profit du pays et a permis de conforter la position hégémonique de sa classe dirigeante (cette implication n'a-t-elle pas laissé penser à Compaoré qu'il pouvait, sans risques, se comporter en homme « sûr de lui et dominateur »** au point de reprendre du service en 2015 ?). Mais il est indéniable que le Burkina Faso (et pas seulement Blaise) a apporté beaucoup à la diplomatie africaine et internationale ; avec des résultats dont d'autres n'ont pas encore fait la preuve.


Ouaga est une capitale qui compte en Afrique et sur la scène diplomatique internationale grâce à une démarche… burkinabè ; il n'est pas un autre pays qui ait été autant impliqué que lui dans la résolution de crises régionales. N'oublions pas non plus qu'il a été, jusqu'à présent (les choses pourraient changer avec un nouveau régime à Ouaga), un partenaire de Taïwan, se refusant ainsi de se soumettre au diktat de Pékin ; sa diplomatie est une des plus crédibles, loin des comportements strictement protocolaires dans lesquels se complaisent trop d'ambassadeurs africains.


Il y a un savoir-faire diplomatique burkinabè, bilatéral et multilatéral, qui s'est forgé dans des relations internationales parfois difficiles et qui ne doit pas disparaître. On peut d'ailleurs se poser la question de ce que sera l'impact de « l'exil » des Compaoré à Yamoussoukro sur la relation Ouaga/Abidjan ; la relation Côte d'Ivoire/Burkina Faso est toujours délicate et, dans moins d'un an, Alassane D. Ouattara sera candidat à sa succession alors que son adversaire de 2010, Laurent Gbagbo, est en instance de jugement à La Haye.


Ouaga est aussi partie intégrante de l'opération « Barkhane » (sans oublier que les leaders Touareg maliens y ont pris leurs habitudes !). Du neuf, rien que du neuf, à Kosyam (présidence) et à Ouaga (primature et gouvernement), c'est une situation à risques. C'est pourquoi quelques têtes d'affiche du régime précédent sont incontournables encore aujourd'hui. A commencer par Djibrill Y. Bassolé, ex-ministre d'Etat, en charge des Affaires étrangères, mais aussi général de gendarmerie ; « l'homme intègre » qui a une crédibilité internationale ! Sans êtes partie prenante de la transition menée par Zida (c'est un « jeune frère », même s'ils ne sont pas du même groupe ethnique), il s'active en faveur d'une résolution rapide de la crise de succession, qui doit être impérativement confiée, selon lui, à un civil afin de remettre l'activité économique du pays sur les rails. Si son domicile, au centre de Ouaga, n'a pas été mis à sac par les manifestants (fait rare), c'est, me disait-il hier matin, qu'ils ont été « indulgents » à son égard.


Il est vrai que Bassolé, ministre « efficace », n'a jamais été dans l'ostentation caractéristique de ceux qui ne faisaient pas grand-chose mais « consommaient » beaucoup. C'est pourquoi, sans doute, le site ivoirien Fratmat.info, le dimanche 2 novembre 2014, citant une source diplomatique à Abidjan, écrivait que « le général de gendarmerie Djibrill Bassolé semble être la personne idéale pour conduire une transition civile à l'heure actuelle au Burkina Faso ». Mais c'est Abidjan qui le dit ; reste à connaître le point de vue de Ouaga !


* On notera que le président de l'Assemblée nationale ne s'est pas exprimé publiquement depuis l'attaque de l'hémicycle pour revendiquer le job de président du Faso par intérim qui, constitutionnellement, lui revient.


** Blaise Compaoré va pouvoir disserter sur les propos qu'il a tenus aux Etats-Unis, le mardi 5 août 2014, selon lesquels, « il n'y a pas d'institutions fortes s'il n'y a pas d'hommes forts pour poser les jalons de ces institutions dans la durée ».


Jean-Pierre BEJOT

La Dépêche Diplomatique





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