Jusqu'où le « Pays des hommes intègres » va-t-il se désintégrer ? (3)
Voilà que le Burkina Faso retourne au chaos ; celui de la Haute-Volta ! Ce qui, pourtant, n'autorise personne à affirmer : « Moi ou le chaos ! ». En 1991, Frédéric Guirma avait écrit « Comment perdre le pouvoir ? Le cas de Maurice Yaméogo »*. Une suite peut être publiée avec « le cas de Blaise Compaoré ».
Dans son livre, Guirma évoquait ces journées des 3-4 janvier 1966 où une « insurrection populaire sur fond de grève générale », avait contraint le président Yaméogo a démissionner et où l'armée avait pris le pouvoir. Conquête déjà commentée par le capitaine Bongnessan Arsène Yé dans « Profil politique de la Haute-Volta coloniale et néo-coloniale »**. Caractérisant le 3 janvier 1966, Yé écrivait : « Il s'agit bel et bien d'un soulèvement populaire et non d'une révolution ou d'un coup d'Etat […] Ce sont les syndicalistes et les manifestants eux-mêmes qui, surpris par la facilité de la chute du régime, ont fait appel à l'armée en tant que structure organisée pour la gestion » soulignant que le RDA de Joseph Ouédraogo et le MLN de Joseph Ki-Zerbo se contenteront « de négocier directement leurs parts de gâteau avec les militaires nouvellement venus de la scène politique voltaïque. Mais l'avenir leur réservait des surprises importantes ». Analyse notable : Yé a été un acteur majeur de la « Révolution » puis de la « Rectification » et des récentes années Compaoré.
1966-1980. Aboubacar Sangoulé Lamizana va diriger la Haute-Volta. Avant d'être renversé par le colonel Saye Zerbo au pouvoir jusqu'en 1982 ; il devra le céder au médecin commandant Jean-Baptiste Ouédraogo. Jusqu'à la révolution du 4 août 1983. C'est dire que l'armée au pouvoir, c'est la routine en Haute-Volta. Thomas Sankara et Blaise Compaoré n'ont pas changé la donne, même si le régime d'exception a laissé la place à la démocratisation et que les militaires se sont habillés en civil.
Aujourd'hui, l'histoire du Burkina Faso tourne une page. Celle de la Révolution et de la post-Révolution. Mais nul ne sait qui va écrire les chapitres à venir. Comme en 1966, une « insurrection populaire » a renversé le régime en place ; mais comme en 1966, c'est l'armée qui ramasse la mise. En 1966, le lieutenant-colonel Lamizana était chef d'état-major des armées. Le coup d'Etat de Saye Zerbo projettera sur la scène politique d'ex-ministres de Lamizana ayant perdu leur portefeuille. Quand Saye Zerbo sera renversé par le Conseil provisoire de salut du peuple (CPSP), c'est le colonel Yorian Gabriel Somé, ancien aide de camp de Maurice Yaméogo et chef d'état-major des armées, qui apparaissait comme l'homme fort. Sauf que le CPSP était partagé entre « progressistes » et « réactionnaires » (ce sont bien sûr les progressistes qui qualifiaient ainsi ceux qui ne l'étaient pas). Et c'est un vote au sein du CPSP qui va faire que Jean-Baptiste Ouédraogo se retrouvera chef de l'Etat.
Aujourd'hui, à la suite de la démission de Compaoré, le général Kouamé Lougué, ancien chef d'état-major et ancien ministre de la Défense, a pensé que le job de chef d'Etat lui revenait. N'avait-il pas été dans le collimateur de Blaise ? Quand, encore colonel, il avait été nommé ministre de la Défense, le 11 novembre 2000, après avoir été chef d'état-major général, les militaires n'avaient pas apprécié cette promotion. Selon eux, ce n'était « ni plus ni moins qu'une façon déguisée de le casser » alors qu'il était « celui qui les comprenait ». Ils avaient menacé d'organiser une marche le 16 novembre 2000 à Ouagadougou pour dénoncer cette nomination.
En octobre 2003, une tentative de coup d'Etat militaire sera mise au jour à Ouaga. Le nom de Lougué circulera : il aurait été bénéficiaire de l'opération. Le 17 janvier 2004, il cédera son portefeuille au sein du gouvernement d'Ernest Paramanga Yonli à Yéro Boli (qui le restera jusqu'aux mutineries de 2011 ; il est depuis ambassadeur au Maroc), jusqu'alors directeur de cabinet du chef de l'Etat. L'Observateur Paalga titrera : « Gouvernement. Un réaménagement pour virer Lougué ». Qui, du même coup, va se rendre plus populaire encore.
Mais Lougué, tout général qu'il soit, n'est plus dans l'organigramme de l'armée. Il était donc impensable pour les colonels et les généraux qu'il puisse être « calife à la place du calife ». Le général de division Nabéré Honoré Traoré, chef d'état-major, se sentira donc pousser des ailes. Aide de camp de Compaoré en 1988-1989, il a été nommé CEMGA le 15 avril 2011 à la suite des mutineries, alors que Compaoré assumait la fonction de ministre de la Défense et des Anciens combattants. En tant que CEMGA, Traoré prenait la suite du général Dominique Diendéré (aujourd'hui ambassadeur à Alger). Au soir du jeudi 30 octobre 2014, il va donc annoncer la dissolution du gouvernement, l'instauration du couvre-feu et la mise en place d'un « organe transitoire […] en concertation avec toutes les forces vives de la nation en vue de préparer les conditions pour le retour à l'ordre constitutionnel normal dans un délai de douze mois au plus tard ». Sauf qu'un autre officier émerge.
Si Traoré est une tête d'affiche, le lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida est inconnu. Mais c'est lui que l'armée va choisir. Dans son message Zida va évoquer « une grave crise socio-politique » dénouée par « une insurrection populaire » ; il parlera des « nombreuses pertes en vies humaines, des nombreux blessés, des pillages et règlements de compte ». Il dira parler « au nom des Forces armées nationales, des Forces vives de la nation », « saluer la mémoire des martyrs » et « s'incliner devant les sacrifices consentis par notre peuple ». Si la jeunesse a « pris son destin en main en devenant acteur de sa propre histoire », c'est « à la demande pressante des Forces vives de la nation » que l'armée a pris ses responsabilités « pour éviter que s'installe l'anarchie, préjudiciable à l'objectif de changement démocratique, puissamment exprimé par notre peuple ». C'est de « manière consensuelle », avec les partis politiques et les organisations de la société civile, que doivent être définis « le contenu et les contours de cette transition démocratique apaisée », lui étant chef de la transition et chef de l'Etat pour assurer la continuité de l'Etat. « A la jeunesse du Burkina Faso, qui a payé un lourd tribut pour le changement, je veux la rassurer que ses aspirations au changement démocratique ne seront ni trahies ni déçues ».
Traoré et Zida, deux officiers supérieurs, deux tonalités différentes. Traoré se plaçait au-dessus de la mêlée ; Zida se veut le délégué, au titre de l'armée, de cette mêlée. Ce qui étonne : le Régiment de sécurité présidentielle (RSP) est considéré comme l'un des corps d'élite des Forces armées nationales. Il est commandé par le colonel-major Boureima Kiéré et Zida en est le numéro deux. Mais les hommes du RSP sont souvent mis en cause dans les débordements que connaît le Burkina Faso ; y compris dans « l'affaire Norbert Zongo ». Le RSP est aussi intervenu contre les soldats mutinés à Bobo Dioulasso en juin 2011. Pas vraiment l'image d'une force démocratique et républicaine mais plutôt celle du bras armé du pouvoir… !
Reste que l'on ne sait pas grand-chose de Zida lui-même ni du pourquoi du choix de l'état-major en sa faveur. Sauf que Zida est aujourd'hui (demain on verra !) au pouvoir, que les manifestants sont dans la rue (pour combien de temps encore ?) et que, pour l'instant, « l'insurrection » du jeudi 30 octobre 2014 débouche sur le vide politique ; que l'armée s'est empressée de combler. Une fois encore !
* Frédéric Guirma, « Comment perdre le pouvoir ? Le cas de Maurice Yaméogo », éd. Chaka, Paris 1991. Guirma, éminente personnalité burkinabè, a été ambassadeur avant d'être emprisonné sous Maurice Yaméogo puis de s'imposer comme historien.
** Capitaine Bongnessan Arsène Yé, « Profil politique de la Haute-Volta coloniale et néo-coloniale ou les origines du Burkina Faso révolutionnaire », Secrétariat général national des Comités de défense de la Révolution, Ouagadougou, avril 1986. Yé, instigateur des Assises nationales à la suite des mutineries de 2011, était jusqu'alors ministre d'Etat, chargé des Relations avec les institutions et des Réformes politiques.
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
via leFaso.net, l'actualité au Burkina Faso http://ift.tt/1x8OnFT