Le regard de Monica – « Pas que le SIAO… »
Le Regard de Monica est une chronique de Burkina24 qui est animée chaque jeudi par Monica Rinaldi, une Italienne vivant au Burkina. Cette chronique traite de sujets liés aux femmes, à la consommation locale et aux faits de société.
Vendredi 28 octobre 2016. Jour de l’ouverture, sous haute sécurité (actualité oblige…), du Salon International de l’Artisanat de Ouagadougou. Événement qui, chaque deux ans, réunit dans la capitale burkinabè des centaines d’exposants et plusieurs milliers de visiteurs, le SIAO est à sa 14ème édition cette année. Le Salon revient après une « pause » imposée par la situation nationale en fin octobre 2014.
Le SIAO. Une occasion de mettre en exergue le talent des artisans d’Afrique – en grande majorité d’Afrique de l’Ouest. Une occasion pour les visiteurs d’admirer les beautés que l’ingéniosité, la fantaisie et l’habilité humaines savent créer. Une occasion pour les étrangers, mais aussi pour bon nombre de Burkinabè, de découvrir des techniques artistiques, des mets traditionnels, des objets qui appartiennent à la tradition mais que désormais l’on voit de moins en moins – mais aussi de se faire dévoiler des emplois innovants et modernes d’un savoir-faire ancestral…
L’artisanat local, des merveilles (mé)connues
En parcourant les pavillons du Salon, l’attention du visiteur est capturée tant par des merveilles qui éblouissent ses yeux, que par les appels des artisans et commerçants qui l’encouragent (de manière parfois très « vivace ») à faire un tour dans leur stand, pour « le plaisir des yeux ».
Des objets d’art les plus traditionnels, façonnés de manière magistrale dans des matières telles que le bronze, le bois, le cuir, la calebasse…, aux articles vestimentaires et bijoutiers en tissus et teintures locales, aux mets locaux transformés et conditionnés pour être préparés de manière rapide, conformément aux rythmes imposés par la vie moderne, aux pièces de décoration d’intérieur tels que salons, peintures, statues… tout suscite la merveille et la fierté. Au SIAO, on y voit des choses qu’on ne voit nulle part ailleurs…
Justement, en dehors du SIAO, de quelques salles de spectacles et de quelques restaurants et maisons d’hôtes destinées essentiellement à accueillir un public étranger, très rares sont les endroits où ces objets peuvent être retrouvés. À commencer par nos maisons.
Combien d’entre nous ont des objets d’artisanat local dans leurs habitations ? Que cela soit des batiks, des sculptures (grandes ou petites) en bois ou en bronze, des calebasses décorées… ces articles ne sont pas fréquents. Pourquoi ? Ceux à qui nous avons posé la question dans les jours immédiatement précédents l’ouverture du SIAO nous ont répondu qu’il n’y a pas une raison spéciale… tout simplement, on n’y pense pas.
Certains ont évoqué le prix de ces articles, certains autres le fait que « on est tellement habitués à les voir que nous n’y pensons pas… », d’autres encore admettent que les objets d’artisanat sont merveilleux, mais que la valorisation de la culture locale ne rentre pas (encore) dans la mentalité courante.
Toute une culture à valoriser
Sur ce point, ce n’est pas que l’artisanat qui est concerné. Nous avons eu à revenir plusieurs fois sur le fait que tout ce qui est local ne semble pas être au top des préférences des Burkinabè. Bien vrai que dans ces dernières années, au moins les articles vestimentaires en pagne tissé local semblent être revenus quelque peu à la mode (cfr. « Le regard de Monica – vous avez dit pagne tissé ? » du 22/09/2016), néanmoins les autres productions dont regorge le Faso ne connaissent pas encore le même succès.
La production locale est pourtant variée.
Prenons l’exemple des mets locaux qui, eux aussi, seront à l’honneur durant ce SIAO. Combien de restaurants qui affichent la mention « plats africains » proposent des mets locaux ? Du gaonré[1], du babenda[2], de la sauce djodjo[3], du faro[4], du kari (zamné)[5]…
On n’en trouve que très rarement et généralement soit dans les cérémonies, soit chez des femmes qui les proposent dans des petits kiosques annexes à des maquis ; dans les « restaurants africains » ce sont plutôt des plats venant d’ailleurs tels que le riz gras, l’attiéké[6], le riz sauce etc. qui sont proposés. À la limite, pizzas, hamburgers et chawarma sont plus faciles à trouver dans les grandes villes que les plats traditionnels.
Pourtant, les mets locaux sont très prisés, au point que souvent on ne peut les avoir que tôt dans la journée ou carrément sur réservation. Pourquoi donc cantonner leur consommation à des occasions et à des endroits spécifiques ? Voici une autre question à laquelle nous n’avons pas pu obtenir une réponse claire.
Des raisonnements similaires pourraient être faits pour la musique, même si la revendication des artistes sur le 90% de musique burkinabè sur les chaînes télé et radio a un peu changé la donne. Mais aussi d’autres connaissances et arts expressifs traditionnelles ne sont pas suffisamment valorisés : par exemple, les compétitions poétiques en langue locale, où l’on demande d’improviser des phrases en rime autour d’un sujet donné, ou encore les comptes, dont on ne retrouve que rarement des transcriptions.
Également l’histoire locale n’est pas valorisée. Quelques-unes de nos villes ont des musées ethnographiques (je pense en particulier à Gaoua et à Koudougou), mais combien de personnes sont au courant de leur existence et, de plus, combien les ont visités ?
Combien d’autres villes grandes et moyennes n’en disposent pas, alors que leur culture et leur histoire est tout aussi riche ? Combien de manifestations coutumières sont en train de tomber dans l’oubli, car les vieux qui en détenaient les secrets sont décédés, leurs descendants étant loin du village ou étant convertis à d’autres religions et donc pas trop intéressés par ces cérémonies ?
La valorisation de l’artisanat, du savoir-faire, de l’histoire et de la culture des peuples du Faso devrait sortir des occasions telles que le SIAO et la SNC pour que les Burkinabè soient plus conscients d’où ils viennent et de ce qu’ils peuvent devenir, tout en ne perdant pas leurs valeurs.
Monica Rinaldi
Chroniqueuse de Burkina24
[1] Petits gâteaux cuits à la vapeur ayant des formulations différentes, dont par exemple farine et feuilles de haricot, et servis avec du beurre de karité, de l’huile d’arachides, ou une sauce pimentée
[2] Met à base de différents types de feuilles cuites avec de l’arachide fraîche pilée et d’autres ingrédients
[3] Sauce à base de feuilles de courge et arachide fraîche pilée
[4] Pâte de farine de haricot, servie avec de l’huile et du sel ou une sauce pimentée
[5] Graines similaires à des lentilles, cuits à la vapeur et servis avec de l’huile et du sel ou avec une sauce pimentée
[6] Cous-cous de manioc servi avec du poisson frit ou fumé, des crudités et une sauce pimentée
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