Pénurie d’eau à Ouaga : Nagrin a soif

Publié le jeudi 5 mai 2016

Ouagadougou, la capitale burkinabè, vit désormais au rythme des délestages et des coupures d’eau. Certaines zones sont plus touchées que d’autres par la tension hydrique. C’est le cas de Nagrin, un quartier situé au sud de la ville. Depuis plusieurs jours, les habitants vivent un calvaire… déshydratant.

Nagrin, arrondissement 7 de Ouagadougou. Il est midi ce 5 mai 2016. Le ciel est vierge de nuages. Le soleil se livre donc à cœur joie à son exercice favori pendant ce torride mois de mai : cuir le sol. Mais les rues ne sont pas vides pour autant. Vélos, motos et voitures se déplacent dans la fournaise.

Ce qui est plus frappant cependant sur le bitume qui mène à l’hôpital Blaise Compaoré, c’est le défilé incessant d’engins surchargés de bidons d’huile usagers. L’on aurait dit que le mot d’ordre était que personne ne sorte sans ces contenants colorés orange ou verts.

Il faut un savoir-faire pour subvenir à son besoin en eau © Burkina24

Il faut un savoir-faire pour subvenir à son besoin en eau © Burkina24

Il y avait en effet un mot d’ordre : trouver de l’eau. Car de l’eau potable de façon régulière, Nagrin en est privé depuis un certain temps. « Cela fait maintenant une semaine qu’on n’a plus d’eau à Nagrin ». Antoine Compaoré affirme cela en remettant ses bidons sur sa moto : deux derrière, reliés par une corde, et un autre devant. Ils dégoulinent d’eau.  Il gère un « maquis » à Nagrin. Antoine Compaoré est obligé de parcourir cinq kilomètres pour trouver de l’eau, précisément à son domicile à la Patte d’Oie.

Plus bas, dans la rue qui longe le goudron, noyée dans la multitude d’engins chargés des inévitables bidons, une femme, bébé au dos, voile sur la tête pour tenter de calmer les rayons mordants du soleil, pousse péniblement un vélo sur lequel sont attachés les trois contenants.

Ce laveur d'engins attend la précieuse manne pour satisfaire ses clients © Burkina24

Ce laveur d’engins attend la précieuse manne pour satisfaire ses clients © Burkina24

« Cela fait trois jours qu’il n’y a pas d’eau, explique-t-elle. C’est depuis 3h du matin que je suis allée chercher l’eau. C’est maintenant que je viens d’en avoir». Elle parle avec le sourire. Mais la fatigue se lit sur son visage.

Quelques mètres derrière elle, deux voitures sont stationnées, portières ouvertes. A côté d’elles, une moto-pompe et  des barriques. A notre arrivée,  un jeune homme crie depuis un hangar : « Il n’y a pas d’eau ! ». En effet, les barriques sont vides. Le laveur, Noufou Ilboudo, assis en face, dans un kiosque, a la mine rébarbative.

Passer la nuit parfois à la fontaine est souvent nécessaire © Burkina24

Passer la nuit parfois à la fontaine est souvent nécessaire, affirment ces femmes © Burkina24

En mooré, il exprime son mécontentement : « Il n’y a pas d’eau. Et cela influe sur notre activité. Lorsque les clients viennent, ils repartent. Et lorsque nous trouvons l’eau, il faut débourser entre 1 000 à 2 000  F CFA pour la barrique. Pourtant, cette même barrique coûtait entre 300 et 500 F CFA. Comment peux-tu faire des bénéfices dans ces conditions ? ».

Tension hydrique et tension dans les foyers

La gérante sous le kiosque de laquelle il est assis  n’a pas meilleure mine non plus. Madame Sawadogo  secoue sa barrique en plastique pour indiquer qu’il n’y a pas d’eau. Conséquence, pour pouvoir écouler sa marmite de riz qu’elle a cuisiné, il lui faut servir gratuitement aux clients les sachets d’eau qui devraient être vendus. Et la même ritournelle reprend : «Il n’y a pas d’eau. Ce sont ceux qui ont des forages qui aident les femmes. Mais il y a tellement de monde que c’est décourageant ».

Quelques ruelles plus loin, une borne fontaine. Les bidons et les barriques font la queue. Pas la peine de demander pourquoi. Les femmes, agglutinées sous le hangar de fortune de la fontaine, essaient de s’abriter du soleil, en attendant que la manne bleue arrive. Celle-ci est là. A compte-goutte. « Aujourd’hui ça vaut mieux ! Hier, il n’y avait rien ! », s’exclame une dame.


Pourquoi Nagrin ?

Pourquoi Nagrin est-il autant touché ? N’est-il pas dans le programme de distribution alternée de l’eau dégoté par le gouvernement pour faire face à la tension hydrique ? Nous avons joint le service de communication de l’ONEA et attendons une explication officielle.  Pour l’instant, de façon officieuse, il est question de la situation en hauteur de Nagrin pour expliquer le fait que la manne bleue éprouve des soucis à s’y rendre. Il est aussi question de « difficultés techniques » qui devraient être résolues dans les prochaines heures ou l’ont déjà été.

A.Z


 

Le « koom-naaba », maître de l’eau en mooré, se met à expliquer le calvaire des femmes, qui sont obligées depuis plusieurs jours de passer la nuit pour essayer de rentrer chez elles avec la précieuse denrée. Il affirme que l’attente se transforme souvent en pugilat. Mais il n’y a pas que ça.

 Cette pénurie  d’eau veut avoir des conséquences sur la cohésion dans leur foyer. « Je suis là depuis hier. Nos maris disent que nous mentons. Que nous venons chercher des hommes », explique l’une d’entre elles, soutenues par ses compagnes d’infortune.

Des barriques d'eau en attente © Burkina24

Des barriques d’eau en attente. Il faut débourser entre 1000 et 2 000 F CFA pour se procurer de leur contenu à Nagrin  © Burkina24

Très vite, les explications des occupants de la fontaine glissent et se muent en un procès en règle contre les  gérants du pouvoir actuel. Tout y passe : les mesures sur la gratuité des soins, les délestages, la pénurie d’eau, la vie chère, le manque d’argent, etc. Le tout se termine par une sentence, dans une atmosphère aux allures de meeting : « s’ils s’amusent, même un margouillat ne va plus voter pour eux aux prochaines élections ! ».

Bref ! Nagrin a soif !

Abdou ZOURE

Burkina24


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