Cécile Kyenge aux femmes: « Il est temps de passer du moteur au volant »
Elle a fait de la lutte pour l’intégration et l’acception de l’autre son combat au quotidien, subissant au passage des manifestations de racisme. Elle, c’est la députée européenne italienne noire et ancienne ministre Cécile Kyenge. C’est elle que ses pairs européens ont choisie pour diriger l’équipe de la première Mission d’observation électorale de l’Union européenne (MOE UE) au Burkina. En marge du déploiement des 24 observateurs de longue durée ce samedi 07 novembre 2015 pour une surveillance optimale du processus électorale, Cécile Kyengue a accordé une interview à Burkina24 au cours de laquelle, elle est revenue sur son parcours de militante des droits humains, les leçons à tirer de l’insurrection burkinabè et l’engagement politique des femmes en Afrique.
Burkina24 (B24): Dites-nous, comment êtes-vous arrivée en Italie ?
Cécile Kyenge (C.K.): C’était il y a bien longtemps. Vous me ramenez un peu en arrière. Il y a plusieurs années. C’était pour essayer d’étudier la médecine. Mon rêve, ce n’était pas de faire de la politique. Moi j’ai toujours dit que c’est la politique qui est venue à moi, puisque mon rêve c’était de devenir médecin. Je suis parvenue à devenir médecin ophtalmologue. Après, j’ai été attirée. La politique est venue à moi. J’ai répondu à cet appel et me voilà. Je suis ici.
(B24): Et qu’est-ce qui vous a motivée à répondre ?
(C.K.): Comme je l’ai dit avant, mon rêve, c’était d’être médecin. Après plusieurs années, j’ai pu constater les difficultés qu’ont traversées les migrants. Pas seulement les migrants, puisqu’après j’ai commencé à m’occuper des personnes vulnérables, c’est-à-dire les plus démunis. Et cela m’a encore motivée à faire la politique.
J’avais la capacité de traduire les difficultés, les besoins de la population en un langage politique. J’ai commencé d’abord comme activiste. Tout en étant médecin, j’étais aussi activiste des droits de l’Homme.
Et cela m’a permis de pouvoir développer une certaine capacité mais aussi une connaissance dans tous ces domaines qui concernent les droits de l’homme. Je faisais la politique à travers mon engagement et mon adhésion aux démocrates de gauche.
Cela fait presque 11 ans que je milite dans la politique. Mais pour les droits de l’Homme, cela fait presque vingt ans. J’ai toujours été militante. Même maintenant, je fais la politique, mais je fais très attention pour ce qui concerne les droits de l’Homme.
(B24): Militante vous l’avez dit. Est-ce que le nom Christiane Taubira vous dit quelque chose ? Si oui, quoi exactement ?
(C.K.): Christiane Taubira s’est beaucoup distinguée en France. Et puis je crois que Taubira et moi, on a plus ou moins quelque chose en commun. J’aimerais rappeler que quand j’étais au gouvernement, j’ai subi énormément d’attaques. Et je n’ai jamais eu de réponse. Je continue mon combat pour qu’il ne puisse pas y avoir des cas de racisme, des cas d’exclusions.
D’ailleurs il y a un cas que je suis continue à suivre. C’est celui avec le vice-président du sénat qui est Roberto Calderoli. Les insultes de M. Calderoli ont été les mêmes insultes envers Christiane Taubira en France. Christiane Taubira a eu une réponse. C’est-à-dire, il y a une justice qui a donné une réponse à Taubira.
Dans mon cas, je ne suis pas encore arrivée là. Je crois que mon combat, c’est le combat de toutes les personnes qui refusent le racisme dans leur vie quotidienne. Et sur cela, je peux dire qu’en Italie, il y a énormément de personnes. Malheureusement des fois, on a toujours tendance à faire sortir la minorité qui se croit la majorité qui veut parler au nom de tout le monde.
Mais ce n’est pas le cas, puisque l’Italie n’est pas raciste. En Italie, on trouve énormément de personnes qui me soutiennent, énormément de personnes qui veulent faire entendre leur voix. C’est un combat qui ne regarde pas seulement l’Italie, mais qui regarde toutes les personnes.
L’acceptation de la diversité dans notre quotidien va beaucoup nous aider. Aujourd’hui, je suis engagée en politique sur différents aspects, différents thèmes. Mais il y a aussi ce thème qui m’engage beaucoup au parlement européen. C’est le thème du racisme.
(B24): Vous êtes noire. Et vous évoquez votre engagement. N’avez-vous pas l’impression d’être utilisée à des fins politiques ?
(C.K.): Non. Je veux rappeler que ma première conférence de presse que j’avais donnée quand j’ai été nommée ministre, c’était justement de dire que je suis noire. Et c’est toujours très important, parce qu’on a toujours tendance à vouloir utiliser un langage qui est politiquement correct que je refuse, puisque je veux la transparence.
Je veux qu’il y ait un langage correct qui respecte et qui dit surtout la vérité. Alors, moi je trouve que dans chaque choix, dans chaque parcours, il faut toujours tenir compte du bien, c’est-à-dire de ce qui est positif, de ce qui est négatif. Mais l’important, c’est la résilience, c’est la capacité de rendre positives toutes les difficultés ou le côté négatif que l’on peut trouver.
Vous pouvez dire que ma couleur de peau a été utilisée pour cela. Cela dépend de moi, de ce que je veux communiquer, de ce que je veux faire entendre, de ce que je veux faire comprendre. De toute façon, je ne suis pas dans la tête des gens, mais je sais ce que je veux. Et je sais ce que je communique.
(B24): Parlons de votre mission au Burkina. Quel a été votre sentiment quand vos pairs européens vous ont choisie pour assurer la direction de la mission d’observation électorale ?
(C.K.): Pour moi, cela a été une très grande joie de pouvoir arriver ici, d’être choisie pour conduire justement cette mission. Et je crois que c’est extrêmement important de pouvoir être ici, où je trouve un peuple fantastique. Et je trouve une société civile assez préparée, assez déterminée. Le peuple burkinabè qui est déterminé à pouvoir arriver à des institutions démocratiquement élues, tout le parcours du Burkina a toujours attiré ma curiosité.
A partir aussi de son histoire, de ce qui s’est passé l’année passée avec la révolte de la société civile, de la population pour faire comprendre qu’il y a une participation qui est très ressentie, une participation qui est très forte. Et je pense que cela va beaucoup nous aider. Notre mission, c’est une mission qui est d’observer.
C’est une mission qui doit parler avec tout le monde en toute franchise, écouter. A partir de nos contacts avec la société civile, les personnalités, les organisations et les institutions impliquées dans le processus électoral, cela va nous aider à avoir une idée assez claire qui est sur une longue et aussi sur une courte durée.
C’est la particularité et une valeur ajoutée pour notre mission. Et c’est la première fois que nous sommes au Burkina. Vous pouvez imaginer ma joie de pouvoir arriver à la fin avec des recommandations, après une longue observation du processus, à remettre aux institutions burkinabè.
(B24): Justement, qu’est-ce que pensez de l’exploit du peuple burkinabè ?
(C.K.): C’est un peu tôt pour dire tirer les conséquences. On doit d’abord arriver à la fin de tout le processus électoral. On doit élaborer une déclaration préliminaire. On aura aussi un rapport final complet qui va parler de tout le processus. D’un côté, si on peut parler de l’histoire en dehors du processus électoral, alors là je crois que cela peut donner du courage aux autres pays qui en ce moment sont en train de pouvoir trouver leur chemin démocratiquement.
Je peux parler par exemple du coup d’Etat qui a été condamné par l’Union européenne et même par toutes les organisations internationales pour dire que ce n’est plus la période des coups d’Etat. C’est la période où on doit aller démocratiquement aux élections et avoir des institutions fortes démocratiquement et librement élues dans des élections apaisées.
Mais le processus par lequel le Burkina a renversé à travers la révolte de la population est arrivée à renverser le pouvoir de Compaoré, je crois que les autres pays peuvent attentivement regarder, observer, voire même tirer des leçons de tout cela, puisque c’est parti du changement de la constitution. Il y a énormément de pays en ce moment qui veulent aller dans ce sens-là.
(B24): Parlons maintenant genre. Vous êtes une femme engagée en politique. Quel message pourriez-vous faire passer à ces nombreuses femmes en Afrique qui ont envie de faire de la politique et qui peinent à se lancer ?
(C.K.): C’est un double message, d’un côté aux femmes et d’un autre côté aux hommes. Les femmes ont souvent envie de pouvoir se lancer dans la politique. Il faut du courage, de la persévérance. Mais, il faut aussi de l’encouragement. Vous savez, ce n’est pas facile. Cela dépend de comment est constituée la société.
Puisque la femme en Afrique, c’est le moteur de l’économie informelle. Mais je crois qu’il est temps de passer du moteur au volant. Et ça, je l’ai dit aux hommes, puisque ce sont les hommes qui ne laissent pas de l’espace aux femmes, la possibilité de pouvoir impliquer les femmes dans les postes décisionnels.
Des fois, c’est indépendant des femmes, de la décision des femmes. Il faut qu’il y’ait un soutien des hommes du point de vue politique et aussi du point de vue de la structuration de la société. Les familles doivent en quelque sorte accompagner aussi l’engagement des femmes dans la participation politique.
Or, il y a plusieurs pays où nous ne sommes pas encore là. Mais j’encourage les femmes vivement à pouvoir s’engager, à pouvoir reprendre leur place à l’intérieur de la société, pas seulement à l’intérieur de la famille.
(B24): Quel est le message que vous voudriez lancer à l’endroit des candidats à la présidentielle et aux législatives ?
(C.K.): Nous sommes ici pour observer. Mais la chose sur laquelle je veux insister est qu’il doit y avoir la paix. C’est-à-dire tout doit se passer dans la paix, le dialogue. Je sais que ce n’est pas facile, mais la tranquillité, la paix est très importante.
En dehors de cela, nous devons à notre niveau parler à tout le monde. J’invite d’ailleurs les candidats à pouvoir parler librement avec nous sans langue de bois. S’il y a des choses à communiquer, nous sommes là. S’il y a des choses qu’on doit savoir, nous sommes là.
Et cela va nous permettre d’être transparent et aussi pour donner la crédibilité à tout le processus puisque que le rapport que nous devons élaborer doit contenir toutes les observations sur le terrain. C’est dans leur intérêt de faire que cela soit réciproque.
Le tout doit se passer dans la paix et une pleine sécurité pour tout le monde, pour nos observateurs et les gens qui doivent aller aux élections.
Oui KOETA
Burkina24
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