Modeste SOME : « L’exhumation de la dépouille de Sankara est un appel à la persévérance »
Burkina24 s’est rendu à Berlin en Allemagne pour y rencontrer Nam Somé Modeste. Il est étudiant burkinabè en Master en Stratégies Publiques et parle de sa vie dans ce pays et aussi de la lecture de l’actualité du pays depuis Berlin.
Burkina24 : Qu’est-ce qui vous a amené en Allemagne ?
Modeste SOME (S.M.): Moins qu’un parcours exemplaire, je dirais plutôt que j’ai plus bénéficié d’un concours de circonstances favorables dans l’ensemble. Mon parcours jusque-là a été très enrichissant sur les plans académique, professionnel et humain.
D’abord, j’ai commencé mes études primaires à Cocody, en Côte d’Ivoire avant de venir au Burkina Faso. Tout le cycle secondaire, je l’ai passé au Petit Séminaire Saint Tarsicius de Diébougou. En 2008, alors que j’étais inscrit à l’UFR-SJP de l’université de Ouagadougou, à l’instar de bien d’autres compatriotes, j’ai bénéficié d’une bourse d’études du gouvernement de la République de Chine, Taïwan.
C’est ainsi que je me suis retrouvé à Taipei où j’ai fait un Bachelor en Business Administration. Présentement, je poursuis un Master en Stratégies Publiques et je me spécialise en Analyse des Politiques Publiques dans les pays en voie de développement mais principalement en Afrique.
Au plan professionnel, parallèlement à ma formation universitaire, j’étais aussi assistant de recherche à temps plein de certains de mes professeurs. Cela m’a permis d’approfondir assez vite mes perspectives dans les domaines clés des stratégies des entreprises multinationales et des entreprises sociales avec ce coaching rapproché dont je bénéficiais.
Plusieurs stages dans des entreprises comme Gigabyte -multinationale Taïwanaise fabricante de cartes mère et ordinateurs- et bien d’autres m’ont énormément profité. De retour au Burkina, j’ai travaillé à Diacfa (Groupe Fadoul) ; ensuite j’ai travaillé en tant que Business Development Assistant à Bruegel (firme de consulting en économie européenne et globale) à Bruxelles. Ces expériences combinées ont renforcé et complémenté ma formation académique.
Sur le plan humain, j’ai eu la chance de rencontrer à tous les niveaux des amis, formateurs et bienfaiteurs qui ont grandement contribué à mon développement personnel. Cela a été rendu possible à travers mon engagement dans la vie associative estudiantine à Taïwan mais surtout au cours de stages de terrain en Indonésie et en Malaisie.
Dans ces pays, j’ai eu la chance de côtoyer les couches sociales les plus défavorisées, de partager leur quotidien et cela m’a permis de mettre en phase mes connaissances avec les besoins sociaux les plus élémentaires ; qui plus est, j’ai vu comment d’autres font bien ce que nous faisons mal chez nous et vice-versa.
A l’Université Catholique de Fu Jen où j’ai étudié, j’ai fondé avec des camarades l’association des étudiants internationaux (FJU-IDEA) dont j’ai été le premier président. L’opportunité m’a été également donnée de bénéficier d’une bourse de mon département pour une formation en leadership et éthique en Floride aux USA. La plus grande chance c’est d’avoir souvent été au bon endroit au bon moment et aux côtés de bonnes personnes!
Burkina24 : Sur le plan professionnel, à quoi se résume votre actualité ?
S.M.: Pour l’instant je poursuis un Master en Stratégies Publiques à Hertie School of Governance à Berlin.
Burkina24 : Comment appréhendez-vous la question de l’emploi des jeunes particulièrement au Burkina Faso ? Avez-vous une approche de solutions pour réduire cette crise de l’emploi au Faso ?
S.M.: C’est une question qui hante tous les gouvernements et est malheureusement en passe de devenir un tourment permanent pour nous jeunes. En tant que jeune la question de l’emploi me préoccupe aussi tout comme c’est le cas pour mes concitoyens à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Du fait de mon domaine d’études cela m’intéresse particulièrement du point de vue de meilleures approches, c’est-à-dire susceptibles de produire plus d’impact et des résultats concrets durables.
Il faut noter que chez nous d’abord la taille relativement moyenne du secteur privé fait que l’état joue encore un grand rôle en tant que pourvoyeur d’emplois. Les compétences que le secteur privé exige sont financièrement coûteuses car étant du ressort de l’enseignement privé et donc hors de la portée de la grande majorité. Enfin il y a les imperfections frustrantes des modes de recrutement qui exacerbent la question du chômage.
Alors en matière de politiques publiques, dans le cas du Burkina Faso, il serait plus intéressant dans le court terme de favoriser une plus étroite coordination des multiples initiatives gouvernementales par exemple entre les ministères de l’enseignement supérieur, de la fonction publique et de l’emploi. Cette coordination est d’autant plus importante étant donné que les solutions doivent prendre en compte deux groupes de jeunes : la jeunesse scolarisée-académique et professionnelle- et celle non scolarisée. Cela permettra un accès rapide, efficace et efficient des jeunes aux programmes qui leur sont destinés ; aussi les autorités pourraient recevoir sans biais les doléances des jeunes afin d’adapter conséquemment les aides à la promotion de l’emploi ou de l’auto-emploi.
Deuxièmement il est important de rendre accessibles à tous, financièrement, les formations dans les domaines techniques, économiques et commerciales. Ce sont des compétences d’une ubiquité intéressante donc monnayables par-delà le Burkina dans la sous-région, dans les secteurs publics comme dans le privé.
Enfin il va sans dire qu’une bonne majorité des jeunes n’est pas qualifiée pour bénéficier de prêts bancaires pour promouvoir l’entreprenariat privé. Pendant ce temps c’est une évidence également que des sommes importantes sont hors du système financier national. Ainsi l’état pourrait lancer une campagne active d’encouragement des populations à épargner leurs petites réserves financières gardées dans les maisons, dans les caisses populaires. Ensuite une révision courageuse à la baisse des taux de prêts de ces caisses populaires pourrait être entre autre une solution intéressante au chômage. Les différents fonds spéciaux d’appui à la jeunesse seraient donc consolidés pour être administrés en conjonction avec les caisses populaires.
Ce sont là quelques solutions qui, même si bien exécutées, requièrent néanmoins du temps pour que les résultats soient visibles.
Personnellement je travaille déjà avec des aînés au sein d’une ONG dénommée TIC Burkina qui a pour mission la promotion de l’entreprenariat chez les jeunes Burkinabè et le développement humain durable. En tant que faîtière TIC Burkina a déjà vu la création de trois entreprises prometteuses.
Burkina24 : Quel sont les conseils que vous pouvez donner à la jeunesse burkinabè tout particulièrement ?
S.M.: D’abord 2015 est un tournant super important dans l’histoire du Burkina Faso et j’aimerais sincèrement exprimer mes sentiments d’admiration pour la jeunesse burkinabè qui a courageusement au prix de la sueur et même du sang corrigé un destin qui se voulait railleur.
Pour revenir à votre question, en tant que jeune j’ai aussi des limites de vision ; donc je parlerais plutôt de partage d’expériences et de points de vue. Sur le plan humain, je souhaite que la jeunesse burkinabè à travers le monde puisse établir, formaliser et renforcer des liens de partage d’expériences, de coopération et de travail avec les concitoyens de l’intérieur.
Je ne parle pas d’un événement grandiose à cet effet mais simplement d’une conscience collective d’obligation de service traduite en actes concrets individuels pour le bénéfice des autres. La survie des sociétés modernes reposera entre autres sur la bienveillance concitoyenne qui se cultive à travers la conscience d’appartenance commune. L’opération de salubrité menée au lendemain des jours de colère insurrectionnelle en est une illustration forte.
En ces périodes d’examens mes encouragements vont aussi à l’endroit de tous les camarades écoliers, élèves et étudiants à l’intérieur du pays. Tout en leur souhaitant plein succès, je leur transmets ici ce conseil que j’avais moi aussi reçu : par-delà les diplômes la connaissance de l’anglais en plus du français, la débrouillardise en informatique – et dans une certaine mesure un permis de conduire- seront parfois déterminants sur le marché de l’emploi. Ce ne sont pas des garanties pour obtenir un emploi mais ce ne sera jamais de trop !
Burkina24 : Donnez-nous votre lecture de l’actualité politique de votre pays avec récemment l’exhumation de la dépouille du Président Thomas SANKARA?
S.M.: L’actualité politique du Burkina, je la trouve plus dynamique avec une opinion publique plus affirmative et vigilante. Que le pouvoir après tant d’années, soit reconquis par le peuple et que tout roule à merveille est un tour de magie impossible pour les hommes. Pour ma part je comprends les débuts timides, et le difficile processus. Avec chaque jour qui passe, il y a de tout-petits acquis qui s’accumulent ; d’où l’espoir qu’au terme de la transition, le lot des acquis sera plus important que jamais.
J’ai suivi avec grand intérêt le processus d’exhumation. Pour les familles des 13 victimes concernées je pense que c’est un moment humainement intense et je suis de tout cœur avec elles. D’abord la décision politique de faire avancer le dossier Thomas Sankara, est courageuse.
Il reste maintenant un défi juridique à relever ; ce n’est pas facile mais avec de la bonne foi à toutes les étapes du processus tout devrait se poursuivre sereinement. Du reste, je pense que cette exhumation de la dépouille du Président Sankara après vingt-sept ans a une portée symbolique d’appel à la persévérance en générale, et pour les causes justes en particulier. Les vivants peuvent rendre deux grands services aux morts, aux martyrs, aux héros: leur rendre justice et poursuivre leur œuvre.
Burkina24 : Nous sommes à la fin de notre entretien. Votre dernier mot ?
S.M.: Eh bien, je n’oublie pas de souhaiter joyeux anniversaire et bon succès à Burkina24 qui vient de souffler ses quatre bougies. Je vous remercie pour cet entretien et je salue tous vos lecteurs. A tous les Burkinabè je dis « allons seulement » !
Entretien réalisé par Kouamé L.-Ph. Arnaud-Burkina24
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