‘’Béninophobie’’ parce que Lionel Zinsou nommé Premier Ministre?
Peu avant la publication de la liste du nouveau gouvernement du Président Boni Yayi, le nom de Lionel Zinsou, Premier Ministre, circule sur les réseaux sociaux. Que de supputations, de prédictions de commentaires, de ‘’voyances’’, de projections, de bonnes ou mauvaises langues, propagés dans les médias et lors des palabres.
Pour une fois encore, le Président Boni Yayi n’a pas manqué de surprendre le peuple béninois ainsi que la communauté internationale. Le remaniement intervenu à 9 mois de la fin de son 2ème mandat constitutionnel à la tête du Bénin, suscite de vives polémiques et des interrogations. Etait-il nécessaire de former un gouvernement aussi pléthorique à la fin d’un mandat avec des postes aussi importants que ronflants ? Les qualités d’un Président trop ambitieux, parfois rêveur et prétentieux suggèrent pour certains la mégalomanie ou des caractères du Prince Machiavel. Ne fallait-il pas attendre l’issue des élections communales, municipales et locales pour former le gouvernement de contentement ? Pourquoi a-t-il choisi de démultiplier certains postes ministériels ? Pourquoi trois postes de ministre d’Etat ou encore comment justifier le poste de Premier Ministre et d’un Vice-Premier Ministre si l’on sait que ce n’est pas prévu dans la Constitution et que les expériences passées se sont soldées par des échecs ? Comment un Préfet, pourfendeur des libertés publiques, pourrait-il être promu au poste de ministre de l’intérieur, de la sécurité publique et des cultes ? A quoi servirait encore un ministère de l’hydraulique lorsqu’on sait que très récemment, trois milliards de nos francs, se sont évaporés, pour reprendre un terme du vocabulaire devenu fluctuant à l’issue de ce scandale financier ? Selon certaines indiscrétions, le népotisme tant reproché au Président Soglo est toujours d’actualité avec l’actuel Chef de l’Etat. Mais entre les nouveaux beaux-pères et beaux fils, il ne faut surtout pas se hasarder à porter le doigt.
Les déceptions sont multiples et multiformes. Certains anciens ministres auraient souhaité se faire racheter avant la fermeture de la vanne. Mais, ce qui cristallise le plus les attentions, c’est bien la cooptation du Franco-Béninois, Lionel Zinsou, au poste de Premier Ministre, Chargé du Développement…Un poste qui aurait pu revenir au beau-frère national, s’il n’a pas été un peu prolixe et très fâché ces derniers temps après qu’il soit traité de Juda par ses coéquipiers.
Au-delà de l’étonnement que suscite la nomination de Lionel Zinsou parce que non-résident au Bénin, certains s’inquiètent pour ce dernier qu’ils ne s’imaginent pas pouvoir supporter les sauts d’humeur, l’endurance physique et le caractère prolifique des discours du Chef de l’Etat. Que va chercher une si immense personnalité française dans ce merdier ? s’interrogent-ils. N’est-ce pas là, peut-être, une façon pour le prince du changement muté en refondateur et dictateur du développement de se décharger progressivement pour mieux préparer sa retraite politique ? Et d’ailleurs comment pourrait-il continuer à humilier le fidèle professeur Abiola en le faisant Vice-Premier ministre d’un venu d’ailleurs qui ne maitriserait pas les réalités locales ? Ainsi, l’Afro-optimiste, comme on l’appelle, ne serait pas le bienvenu dans un contexte marqué par une vive tension sociopolitique, une crise de confiance latente et des scandales financiers de tous genres. Beaucoup tiennent prétendument que la présence de Lionel Zinsou dans l’arène gouvernementale est un bonus à la France qui multiplie ses stratégies de contrôle des ressources dans les anciennes colonies. Et du coup, les assauts ravageurs et les appétits boulimiques du colon s’en trouveraient renforcés, disent-ils. Par exemple, l’omniprésence de Bolloré au port autonome de Cotonou, sa mainmise sur le projet de la boucle ferroviaire et le reniflement des explorations minières sont suffisamment illustratifs d’une nouvelle hégémonie coloniale cautionnée par le prince qui veut aller toujours plus vite pour résoudre les problèmes de développement pour une véritable intégration africaine.
On en conclut même déjà à l’échec de Lionel Zinsou qui ne serait ni plus ni moins un faux ou mauvais Premier ministre (kpay”) comme ses prédécesseurs, Me Adrien Houngbédji, visionnaire du gouvernement ventilateur, et Pascal Irenée Koupaki, promoteur de la nouvelle conscience, après coup. J’ai même entendu parler du ‘’zinli’’, un rythme funéraire, dont la dénomination serait subitement issue à la fusion des premières syllabes des noms Zinsou et Lionel. On prédit donc la ‘’mort’’ et les ‘’obsèques’’ du gouvernement Yayi et de son prétendu dauphin en 2016. Le k.o pointerait-il déjà à l’horizon parce que Lionel Zinsou est nommé Premier ministre ? On craint même qu’une hypothétique candidature de Lionel Zinsou, débarqué d’urgence pour être le dauphin du Chef de l’Etat, compromettrait les ambitions politiques de Pascal Irenée Koupaki, contre qui Boni Yayi prendrait une certaine revanche suite à sa démission du gouvernement.
Pour le rôle éminemment important qu’il joue auprès du gouvernement français et auprès du Chef de l’Etat Béninois, Lionel Zinsou serait perçu par les chantres du pouvoir comme le chien de garde des intérêts du Bénin auprès de la France et des investisseurs étrangers suite à l’historique table-ronde de Paris.
Mais, en réalité, que craint le Béninois à ce point ? Certes, le chat échaudé craint l’eau froide. Et le mythe du nouveau ou du venu d’ailleurs peut nourrir des réflexions. Mais de là à devenir hostile voire homophobe devrait plutôt inquiéter si tant est que le pays aspire à retrouver ses valeurs d’autrefois dont l’hospitalité et la solidarité. Dans l’atmosphère actuelle, sulfureuse, beaucoup se demandaient si le Président Boni Yayi ne pouvait refaire son image avant de quitter les affaires ? Une chose est sûre, il aurait associé certains attentistes que les discours seraient autres.
D’après mes analyses, le Béninois devrait savoir raison garder. Et ce, pour plusieurs raisons:
1° Le Président Boni Yayi est constitutionnellement fondé pour former son gouvernement comme il l’entend, en associant qui il veut, selon les ambitions qu’il nourrit pour le pays.
2° Lionel Zinsou est Béninois de souche. Même s’il réside en France, il respire d’une manière ou d’une autre Béninois, puisque sa fondation est née et basée au Bénin et que ses enfants sont très implantés et acceptés pour les activités qu’ils mènent dans le domaine de la promotion culturelle.
3° Lionel Zinsou n’a jamais dit, à moins que je n’en sois informé, qu’il serait le bourreau du peuple béninois ou qu’il ignorerait les préoccupations légitimes du Bénin une fois qu’il serait porté à un poste politique.
4°Lionel Zinsou n’a pas encore annoncé publiquement une certaine candidature pour la présidentielle de 2016 même si certains craignent qu’il fasse mal à ceux qui sont pressentis ou annoncés.
5° Le Saint Thomas national n’a pas désigné de dauphin, non plus ; acte de foi oblige! Et même si c’était le cas, les récents événements politiques ayant porté Me Adrien Houngbédji au perchoir de l’Assemblée nationale devraient servir de ‘’paquet d’assurance’’ aux sceptiques. Mieux, la boulimie des choristes de «après nous, c’est nous» n’implique pas nécessairement la soumission du peuple.
6° Des cadres Béninois ont parfaitement réussi leur mission à des postes stratégiques très élevés dans des gouvernements étrangers. Je cite, volontiers, les cas de Gilbert Houngbo, ex-Premier ministre dans le gouvernement de Faure Gnassingbé au Togo; Zul Kifl Salami, Premier Ministre dans le gouvernement de François Bozizé en Centrafrique et d’un certain Acrombessi, dans le gouvernement de Ali Ben Bongo au Gabon.
7° Enfin, peut-on vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué? Pourquoi ne pourrait-on pas essayer Lionel Zinsou qui, plus est, est un compatriote, pour apprécier ses capacités et son amour pour son pays, le Bénin? Doit-on nécessairement opposer un afro-pessimisme à un afro-optimiste ?
Autrement dit, je nous trouve trop pessimistes pour rejeter notre frère sans savoir comment, pourquoi et en quoi il peut aider notre pays. Sommes-nous devenus béninophobes ? Ensuite, nous nous préoccupons trop souvent des sujets de peu d’importance et moins valorisants au détriment des questions essentielles, urgentes et préoccupantes. A cet effet, il me semble aussi que la stratégie de diversion psychologique que j’ai personnellement notée chez le Président Boni Yayi depuis sa aprise de pouvoir en 2006 lui marche toujours très bien au point que très peu de Béninois arrivent à le percevoir. Tenez, à l’heure où la campagne électorale bat son plein pour la prochaine élection des conseillers communaux, municipaux et locaux, les Béninois se fourvoient dans des discussions qui ne pourraient véritablement changer grand-chose. Or, selon les chantres de «après nous, c’est nous», il fallait 50 députés pour changer la donne démocratique au Bénin. A défaut, 60 maires sur 77 pourraient porter le processus à son aboutissement. Retenons là que l’arbitre n’a pas encore sifflé la fin du match mais on se presse de crier victoire. On aurait perdu du temps en laissant les laudateurs de la dictature du développement nous imposer des conseillers «sous-développeurs» sur les cinq années à venir. Même si le débat sur la nomination d’un premier ministre est inévitable, la tournure qu’il prend et les corolaires qu’il suggère sont de mauvais gout. Enfin, il est loisible au Chef de l’Etat de remanier encore son gouvernement autant de fois qu’il lui plaira en l’espace de 9 mois. Peut-être même le ferait-il pour donner raison à ceux qui le critiquent actuellement à propos de la formation de son nouveau gouvernement et montrer sa bonne foi pour se constituer une bonne image de sortie. Pour conclure, je dirais que notre trop grande tendance à nous laisser éconduire dans des échafaudages de communication politique par la tenue des discours frelatés et des présomptions téléguidées nous domine, nous plombe et finira par nous être fatale si nous n’y prenons garde. L’essentiel est délaissé au profit de l’éphémère, de l’accessoire. Avec ou sans Lionel Zinsou, le Bénin vivra.
Par Dr LIGAN Dossou Charles, Expert en Gouvernance et Démocratie, Diplômé de la Chaire Unesco des Droits de la Personne et de la Démocratie.
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