Tribune libre : Lionel Zinsou, premier ministre du Bénin :  Le nouveau visage de la Françafrique ?

Publié le lundi 22 juin 2015

    Le 2 Juillet prochain, le Bénin accueille  François Hollande, président de la République française, dans le cadre d’une tournée africaine annoncée à l’ occasion de la visite officielle à Paris du chef de l’Etat béninois, Boni Yayi, le 9 Juin  2015. A côté du président béninois, une personnalité sera en très bonne place parmi les membres du gouvernement  mis en place le jeudi 18 Juin. Il s’agit de Lionel Zinsou, nommé premier ministre, chargé du Développement économique et de l’Evaluation des politiques publiques.

  Lionel Zinsou ! Si son patronyme en fait un Béninois de souche, voire de très bonne souche, rien dans le parcours de l’intéressé ne le prédestinait, de prime abord, à être aujourd’hui à ce très haut niveau de l’Etat béninois. Et pour cause ! Lionel Zinsou est né  le 23 Octobre 1954 à Paris de père dahoméen- pour tenir compte de l’histoire-et de mère française. Et c’est  dans cette ville qu’il grandit  et fait tout son cursus scolaire  avant d’aller dans d’autres cités européennes et nord-américaines  faire les études universitaires  qui font de lui depuis quelques années  une des sommités des finances au plan mondial. Bien que son géniteur soit un médecin à la renommée bien établie dans son pays d’origine et dans d’autres Etats africains – en particulier le Sénégal où il fut le cardiologue du président Léopold Sédar Senghor- le nom de Lionel Zinsou ne commence vraiment à être familier à la grande masse des Béninois qu’à l’avènement du président Boni Yayi  en 2006. Il fait, en effet partie, des  conseillers spéciaux que le nouveau président de la république du Bénin nomme pour être à ses côtés au lendemain de son investiture. Il restera à ce poste jusqu’en 2011, et son départ n’attirera pas l’attention de manière particulière. Mais, il fait une réapparition  remarquée aux côtés du président Boni Yayi à l’occasion de la table ronde  organisée, il y a un an à Paris,  par le gouvernement du Bénin en vue de  mobiliser les bailleurs de fonds pour le financement des projets de développement du pays. Certaines sources  le présentent même comme l’une des têtes pensantes et  principal  organisateur  de cette assise économique et financière, dont les retombées font partie des préoccupations  du chef de l’Etat béninois qui boucle son deuxième et dernier quinquennat  en Avril 2016.

 »  Et  voici  le dauphin de Yayi : Lionel Zinsou ! «   Ainsi titrait le quotidien La  Nouvelle Tribune  dans sa parution du vendredi 12 Juin 2015, en revenant  sur la visite officielle  effectuée  le mardi 9 Juin   dans la capitale française par le président de la République du Bénin.  Le titre n’a suscité, en son temps, aucun commentaire particulier ; ni de la part de la classe politique, ni du monde des médias  dont on connait pourtant la propension  à monter en épingles certains événements  ou déclarations.  Il est vrai, rien,  dans les faits, déclarations et rencontres  du président Boni Yayi  lors  de son séjour parisien,  ne permet de justifier le titre de La Nouvelle Tribune ; même quand dans le développement de l’article  est évoquée l’hypothèse  de l’entrée  de Lionel Zinsou, en qualité de premier ministre ou de ministre d’ Etat dans le gouvernement  attendu depuis les élections législatives du 26 Avril 2015 .

 Mais depuis le 18 Juin, Lionel Zinsou  est bien premier ministre dans le gouvernement que le président Boni Yayi  a fini par former, après  une période d’attente que les Béninois commençaient à trouver longue.

 Arrivé- ou doit-on dire plutôt dire rentré ?- à Cotonou dans la nuit du vendredi 19 Juin, le nouveau premier ministre  a participé samedi  à la première réunion du conseil des ministres  présidé par le chef de l’Etat, chef du gouvernement. Depuis la conférence nationale de Février 1990, le Bénin a connu bien de avancées à l’aune desquelles observateurs et analystes  politiques se plaisent à évaluer la vitalité de l’expérience démocratique en cours. L’arrivée de Lionel Zinsou dans le gouvernement du Bénin intervient dans un  contexte politique particulièrement sensible, caractérisé par la fin très prochaine  du mandat présidentiel d ‘une part, et d’autre part les rumeurs sur la volonté de Boni Yayi d’imposer, d’une manière ou d’une autre, un successeur de son choix et  acquis à sa cause.

 De fait, l’irruption du franco-béninois  Lionel Zinsou dans la classe politique béninoise est un événement qui vient brouiller, dans une certaine, tous les débats et hypothèses, et pas seulement au Bénin si l’on en juge par certains titres de journaux français consacrés à l’annonce  de sa nomination par le président Boni Yayi. Ainsi  pour le quotidien parisien Le Figaro Lionel Zinsou  est   »  un banquier français nommé premier ministre du Bénin « , tandis que de son coté  La Croix paraissant aussi dans la capitale française  écrit :  »  banquier d’affaires franco-béninois, Lionel Zinsou entre en politique « , et le journal de poursuivre : « figure de l’afro-optimisme, il vise la présidentielle béninoise de 2016 ! « 

 Dans ses premières déclarations à Cotonou, le nouveau premier ministre  se défend  de toute  ambition  au sujet  de la succession prochaine de Boni Yayi, mais  il n’empêche  que  les supputations iront désormais bon train  pendant la dizaine de mois de sa présence dans une équipe gouvernementale  dont la durée de vie est comptée dès sa naissance. Et le contexte  de sa nomination ne permet pas de faire fi  de toutes les rumeurs et conjectures  qui secouent le landernau politique au sujet du candidat idéal pour prendre la relève en Avril 2016. En effet, pour  bon nombre de Béninois  le choix est encore difficile à faire  parmi les  candidats  déjà  déclarés  et des potentiels, au regard des deux quinquennats de Boni Yayi  qui sont  loin d’avoir comblés les attentes suscitées  successivement par ses visions de changement en 2006 et de refondation en 2011.

 Dans les débats actuels  sur le profil  et les qualités  du prochain président  du Bénin, l’arrivée  aux affaires d’une personnalité de la carrure de Lionel Zinsou  ne peut pas être considérée comme un  fait  anodin, sans aucune conséquence  aussi bien pour l’intéressé  lui-même que pour les deux pays dont il a officiellement la citoyenneté. En effet, pourquoi le dirigeant du plus important fonds d’investissement français ( PAI Partners ), une sommité mondiale de la finance et des affaires  accepte  de venir participer  à un régime  en fin de course  et  dans des circonstances  qui sont loin d’être idéales ? Comment, aussi bien le monde des affaires et de la finance  que les cercles politiques de la France perçoivent -ils  cette opération du chef de l’Etat béninois  qui, incontestablement,  a été ficelée au cours de sa dernière visite au président François Hollande ?  Quelles implications  la présence de ce binational à ce niveau de l’Etat béninois  aura- elle sur les relations entre les deux pays ? Autant d’interrogations qui  sont  loin d’être pas sans intérêt  dans  cette atmosphère  de précampagne  singulière que connait le Bénin depuis le début de son expérience démocratique. Ces questions, et bien d’autres  méritent  d’être posées quand on sait que dans Le Figaro du 31 Juillet 2012 est paru sous sa signature du désormais premier ministre béninois   un article  dont le contenu  indique que le financier et homme d’affaires français n’est pas déconnecté des questions politiques qui agitent les relations entre la France et l’Afrique :  »  La Françafrique, le temps des entrepreneurs.  »  Un article qui  peut être considéré dans les circonstances  actuelles  comme une proclamation de foi de son auteur, qui aujourd’hui devient un interlocuteur des acteurs politiques béninois.

  En  acceptant de faire partie du dernier gouvernement de Boni Yayi, Lionel Zinsou  a – il choisi de sauter le pas pour venir mettre en pratique  dans le  pays  de ses racines paternelles  des idées qui lui sont chères au sujet  de cette conception polémique des relations France- Afrique ?  Les semaines et mois à venir ne manqueront pas d’être riches en enseignements,  à travers les actes et décisions de la nouvelle équipe gouvernementale dans laquelle  le premier ministre sera le point de mire…jusqu’à l’élection présidentielle du 28 Février 2016.

 Par Noël  ALLAGBADA


via La Presse du Jour http://ift.tt/1IZhKBi
Categories: ,