Les héros de l'Insurrection : Ismaël Traoré
Ismaël Traoré, secrétaire permanent de l'association des élèves et étudiants handicapés du Burkina, est l'un des artisans de l'insurrection populaire qui a eu raison du régime du président Blaise Compaoré. Il livre dans l'entretien ci-après son témoignage des événements des 30-31 octobre derniers.
Lefaso.net : Vous avez participé à l'insurrection des 30-31 Octobre derniers qui a conduit à la démission du président Blaise Compaoré. Quelles étaient vos motivations ?
Ismaël Traoré : J'ai participé à l'insurrection populaire pour qu'on puisse prendre en compte les droits des personnes handicapées au Burkina Faso. Si la jeunesse est sortie, si toute la population burkinabè est sortie parce que la situation est grave et terrible, pour nous personnes handicapées la situation est encore pire parce que nous souffrons beaucoup. C'est nous qui n'avons pas accès à l'école, à la formation nécessaire. Même quand on a accès à la formation, on n'a pas l'emploi adéquat pour nous prendre en charge. Aujourd'hui, nous n'arrivons pas à nous soigner. Au Burkina, il est difficile d'avoir un fauteuil roulant, une canne blanche, bref de prendre en charge les préoccupations des personnes handicapées pour un Burkina inclusif. Donc, je suis sorti uniquement pour l'inclusion des personnes handicapées dans tous les programmes et projets de développement du pays. Je suis sorti parce que je suis Burkinabè et fait partie du Burkina. Je suis sorti parce que je veux que mes enfants grandissent dans un pays où règnent la démocratie, la paix, le bonheur, l'égalité de chance.
Est-ce à dire que rien n'a été fait en faveur des personnes handicapés sous le régime Compaoré ?
Je ne dis pas que rien n'a été fait sous le régime Compaoré. Il y a certaines choses qui pour nous étaient essentielles dans la vie d'une personne handicapée mais n'étaient pas faites. Prenons l'exemple des concours de la fonction publique caractérisés par une discrimination. Quand un étudiant qui a pu franchir les étapes du CEPE, du BEPC, du BAC et se retrouve à l'université sans bourse, sans soutien, sans rien ; cela revient tout simplement à le transformer en mendiant parce que le système ne fonctionne pas. Même quand il parvient à finir ses études à l'université, il n'est pas intégré et ne bénéficie pas de financements pour la mise en œuvre de leurs projets. Les personnes handicapées non scolarisées n'étaient pas vraiment soutenues. Au lieu de les soutenir véritablement, on leur donne par exemple 300 000 F CFA soit- disant que c'est pour financer leurs projets. Quelqu'un qui a un projet de 5 000 000, 10 000 000, comment voulez-vous que 300 000 F puisse lui permettre de s'en sortir et de devenir autonome. Je ne dis pas que ce n'est pas bien. C'est bien, mais nous disons qu'on doit financer les projets des personnes handicapées en fonction de la capacité et en fonction de ce que la personne veut réaliser et non donner comme cela de l'argent pour dire qu'on a aidé. Et quand l'on finance les projets, il faut que l'on communique sur les sommes reçues et l'impact sur l'amélioration des conditions de vie des personnes handicapées. Par exemple, si on a donné cinq milliards, il faut évaluer pour savoir si ces cinq milliards ont permis de rendre les gens heureux. En outre, des personnes handicapées ne sont pas employées dans les structures en charge de la question des personnes handicapées au sein du ministère de l'Action sociale et de la solidarité nationale. Pour moi, ce n'est pas logique de créer des structures au nom des personnes handicapées et de ne pas y employer des personnes handicapées. Je ne dis pas que tout le personnel de ces structures doit être handicapé mais au moins pour montrer qu'on est de bonne foi il va falloir aussi qu'on prenne en compte des personnes handicapées parce qu'il y a des personnes handicapées qui ont des compétences, des diplômes. Donc, le problème de capacités au sein des personnes handicapées ne se pose plus. Tout est maintenant une question d'inclusion.
Maintenant que le pays a changé de dirigeants, qu'attendez-vous précisément de ses nouvelles autorités ?
Nous attendons des nouvelles autorités qu'elles fassent franc jeu avec nous. Qu'elles prennent en compte la dimension du handicap dans tout ce qu'elles sont en train de faire. Qu'elles prennent aussi les personnes handicapées dans les comités et commissions de transition. Qu'elles prennent aux personnes handicapées de travailler, qu'elles permettent aux personnes handicapées d'avoir de quoi survivre, qu'elles permettent aux personnes handicapées d'avoir des logements, qu'elles permettent aux personnes handicapées d'être éduquées, d'être formées ; qu'elles permettent aux personnes handicapées d'avoir un accès équitable dans tout ce qui est financement de projets.
Avez-vous été consulté dans le cadre de la mise en place des organes de la transition ?
Oui. On a été consulté pour la mise en place du conseil national de la transition. D'ailleurs, on vient de me dire que c'est demain (NDLR, l'entretien a eu lieu le jeudi 20 novembre 2014) qu'ont lieu les élections pour désigner nos représentants. Je souhaite vraiment que les meilleurs gagnent.
Vous avez pris part à l'insurrection populaire. Quelles sont les manifestations auxquelles vous avez participé ?
J'ai été de toutes les manifestations. Le 2 novembre par exemple, c'est quand j'arrivais à la Place de la Révolution que les militaires ont commencé à tirer et j'ai quitté les lieux. J'étais également à la RTB jusqu'à ce que les militaires viennent nous déguerpir.
Vous étiez aussi à la Place de la Révolution le 30 octobre. Comment se sont passés les événements ce jour à votre niveau ?
Effectivement, je me suis rendu le 30 octobre à 6 h à la Place de la Révolution. Je n'étais pas la seule personne handicapée à sortir, tout cela pour montrer que nous sommes aussi des citoyens et que nous pouvions également marcher. De la Place de la Révolution, on a marché sur le Rond- point des Nations-Unies. Et c'est là que ç'a dégénéré et j'ai dû avec l'aide de quelques camarades quitter la foule. J'ai alors pris la voie de l'hôpital Yalgado pour regagner mon domicile.
Et comment s'est passée la journée du 31 octobre ?
Je suis également sorti le 31 Octobre et la nuit j'étais couché avec des camarades en face du rond-point des Nations-Unies, juste devant il y avait des militaires.
Où avez-vous appris la démission du président Compaoré ?
J'étais en route vers la Place de la Révolution quand j'ai appris à la radio la démission du président Compaoré.
Comment avez-vous accueilli la nouvelle ?
C'était une joie immense d'entendre que le Burkina Faso est libéré. Aujourd'hui je suis fier d'avoir participé à quelque chose de grandiose. Je l'ai fait pour que mes enfants ne puissent pas dire un jour que leur papa était un poltron. Je l'ai fait pour que mon fils puisse me regarder et dire fièrement un jour à ses camarades que son père était là le jour où le changement est intervenu au Burkina Faso.
Ne craignez-vous pas une non prise en compte des aspirations du peuple dans la transition et même après ?
J'ai des craintes, mais je crois que c'est à fur et à mesure que nous allons arriver à consolider notre démocratie, à résoudre nos problèmes. Il n'y a pas de solution miracle. Ce qui est sûr, nous trouverons notre voie, nous allons trouver un sens à notre devenir, nous allons tout faire pour être un pays modèle, un pays où règnent la paix, la quiétude et la démocratie.
Propos recueillis par Grégoire B. Bazié
Lefaso.net
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