Scarifications faciales au Bénin : De véritables marques d’identité en voie de disparition
Jadis symboles de marque d’identité et de fierté, les scarifications faciales sont en passe de mode aujourd’hui. En effet, le contact avec les pratiques occidentales, la modernisation, la globalisation, voire l’acculturation de l’africain en général et du béninois en particulier, ont hélas progressivement fait le lit à l’abandon de plusieurs pratiques culturelles et rites traditionnels dont notamment, les scarifications faciales.
L’homme ne s’est humanisé au cours de l’histoire qu’en devenant progressivement un être culturel, c’est-à-dire un être qui ajoute ou substitue aux activités spontanées et instinctives, une activité réfléchie, finalisée et médiatisée par des artifices divers, qui se sont présentés sous forme d’outils et d’instruments simples, avant de se complexifier prodigieusement au cours de l’évolution. Ces artifices ont eu, tout au début de l’évolution de l’humanité, une finalité pratique et utilitaire, en permettant à l’homme de se procurer la subsistance, et ils avaient alors pour fonction de prolonger ou d’accroître la puissance de la force humaine. Cependant, si tous les artifices culturels inventés par l’homme n’ont pas toujours été utilitaires, les scarifications sont un art qui a constitué, de tout temps et dans toutes les sociétés où elles sont pratiquées, une dimension fondamentale de la culture humaine. Les scarifications sont beaucoup plus qu’une simple activité ludique ou une occupation strictement utilitaire.
En effet, l’histoire des scarifications est aussi vieille que celle du monde. Dans les temps anciens, les populations du Danxomey (actuel Bénin), se servaient des signes divers pour marquer leurs origines raciales ou familiales. On scarifie donc hommes, femmes, enfants, pour les intégrer dans la tribu. Cette pratique pour une grande part, exprime l’appartenance à tel groupe ethnique, telle fraction de la société ou tel échelon de la hiérarchie. Cependant, parfois, les soucis utilitaires présidant à cette pratique n’excluent pas que le besoin esthétique d’embellissement puisse intervenir dans la motivation de certains de cet usage.
Notre pays compte près d’une cinquantaine de groupes socio-culturels. On trouve dans chaque groupe presque des scarifications rituelles, des scarifications identitaires, celles-ci se rapprochant beaucoup plus de celles correspondantes aux groupes socio-culturels.
Les scarifications faciales sont pratiquées tant chez les femmes que chez les hommes. Ces scarifications, de dimensions variables, sont pratiquées soit sur les tempes – elles sont de petites dimensions chez les Peulhs par exemple et peuvent aller des tempes au menton chez les Haoussa et les Bariba ; il s’agit alors de véritables balafres -, soit sous les yeux et sur les joues. Selon leurs dimensions et leur situation sur le visage, il est possible de classer les individus dans une catégorie ethnique et sociale déterminée. Leur caractère ethnique, à base de symbolisme, est très net dans certains cas. Les scarifications selon certains témoignages, ont d’autres fonctions. Parfois, elles sont à but thérapeutiques ou de protection. Ainsi donc, même si en majorité, les béninois le font pour s’identifier dans la société ou pour montrer leur appartenance à une divinité vodoun, on scarifie parfois hommes, femmes, enfants pour les soigner, les protéger… C’est le cas des scarifications non identitaires qui suivent en fait des principes médicamenteux à but thérapeutique ou de protection. Un autre type de scarifications est dit «abikou», destiné aux nouveaux-nés pour leur permettre de survivre, dans les cas des mères qui ont perdu plusieurs enfants.
Une véritable carte d’identité
Les scarifications renseignent au simple coup d’œil l’initié sur l’ethnie, la ville, voire la famille d’un individu. Certains considèrent leurs marques comme un insigne de patriotisme. D’autres y voient encore un gage de beauté. D’autres encore pensent que ce marquage tribal peut, tout en attestant l’origine du sujet, lui valoir un régime en faveur. En milieu rural par exemple, ces scarifications servent à attester la légitimité d’un enfant. Elles leur donnent le sentiment d’être les fils légitimes de leurs ancêtres.
On observe au Bénin, plusieurs types de scarifications dont on ignore parfois l’origine et les significations. Chaque groupe ethnique a un dessin qui lui est propre en la matière. C‘est ainsi qu’une strie verticale sur chaque joue signale par exemple, un homme ou femme de la famille Adjovi de Ouidah, tandis que deux stries verticales au-dessus de chaque tempe est propre aux Hountondji originaires d’Abomey. Quant aux Houédah, on remarque deux stries au-dessus de chaque joue, aux tempes et au front. Cependant, trois stries horizontales sur chaque joue renseignent sur un individu d’Oyo. On rencontre dans le Zou et une partie de la Vallée, les « Holli » qui portent deux stries horizontales sur chaque joue. Dans le Borgou et l’Atacora, on distingue également des scarifications identitaires.
Une pratique douloureuse et à risque
A l’inverse de la peinture et du maquillage, superficiels et passagers, les scarifications créent une modification définitive des tissus cutanés. Le soin de leur réalisation incombe aux patriarches, gardiens de la tradition.
Les scarifications sont donc volontairement créées par l’altération du derme et sont le résultat de cicatrices. L’incision est la technique la plus courante, la peau pouvant être entamée soit par de petites saignées, soit par de longues estafilades. Les instruments sont les mêmes que pour les tatouages, mais s’y ajoutent des lames et des couteaux. Parmi les ingrédients déposés sur les plaies figurent des hémostatiques, (c’est-à-dire des produits qui arrêtent l’hémorragie) mais aussi des cicatrisants. Parfois, on met dans la blessure une teinture naturelle qui colorera la cicatrice.
Il est possible de relever la diversité des motifs en creux ou en relief, dessinant des traits courts et fins, plus ou moins denses, plus ou moins étendus, isolés ou groupés en lignes parallèles.Les marques réalisées par des professionnels varient grandement. Certaines ne sont que de légères incisions alors que d’autres de profondes entailles que l’on élargit avec les doigts.
Une tradition sur le déclin
De nos jours, les scarifications passent de mode. Le fait crève à l’œil aujourd’hui qu’une importante et charmante partie de ce riche patrimoine culturel est en passe de disparition.
En effet, beaucoup de jeunes hommes et femmes seraient très heureux de se débarrasser de leurs marques. Ce qui hier, était un sujet d’orgueil au sein du clan devient un opprobre à cause des railleries dont on est victime dans d’autres parties du pays.
De toute évidence, la popularité des scarifications décline rapidement. Si les psycho-sociologues expliquent ce fait par la modernisation qu’apportent les jeunes happés par la culture occidentale,il faut ajouter à cela que la douleur, les risques d’infection, mais aussi le mépris et la discrimination dont l’enfant risque d’être victime plus tard, sont autant de facteurs qui amènent les parents à rejeter ce marquage de nos jours.
Aujourd’hui, les jeunes préfèrent se faire plusieurs trous dans les oreilles pour y arborer des boucles d’oreilles que de porter de belles stries tribales au visage. D’ailleurs, il n’est pas rare d’entendre dire de ces «jeunes civilisés» que les scarifications sont des pratiques ancestrales dépassées qu’on ne saurait perpétuer de nos jours avec l’évolution actuel du monde. S’acculturer est donc facteur «d’évolution ou de mode». En clair, la société africaine traditionnelle a été gravement ébranlée par le choc de la colonisation. Tout a été remis en cause : les genres de vie et les croyances, les activités quotidiennes et les relations sociales, les valeurs et les règles de conduite, les pratiques religieuses ainsi que les manifestations culturelles.
Beaucoup de manifestations et pratiques dont les scarifications faciales par exemple, comme du reste l’ensemble des valeurs culturelles de la société traditionnelle, ont été bousculées ou abandonnées ou alors progressivement disparu sous les effets de la modernisation, introduite par la colonisation. L’histoire récente révèle à tout observateur attentif qu’au fur et à mesure des progrès de la scolarisation, de la technologie et de l’urbanisation accélérée, donc de la modernisation, les pratiques et les valeurs esthétiques traditionnelles sont abandonnées : les scarifications et autres pratiques culturelles comme le tatouage, les ceintures de perles, les tresses et les graisses végétales, les peintures corporelles.
En effet, en apportant avec elle l’école, l’idéologie et les conceptions qu’elle véhicule, les nouveaux modes de vie, en substituant les manières, les modes et les mœurs occidentales aux pratiques et relations personnelles, la colonisation a introduit des germes et des causes de déstabilisation et de désintégration des structures et des valeurs religieuses, politiques, morales, esthétiques traditionnelles.
De nos jours encore, le mimétisme dans maints domaines de la vie sociale de nos pays dits pourtant indépendants, manifeste le degré avec lequel l’Afrique a été marquée par la domination coloniale.
La jeune fille béninoise dite «civilisée» préfère se procurer un bijou importé d’Europe, s’habiller chez les couturiers de Paris et de Londres ou leurs succursales à Cotonou ; et à la place des tresses traditionnelles, elle arbore la perruque artificielle coiffée dans un salon spécialisé de la place. Elle substitue les produits cosmétiques importés aux matières végétales (huiles et graisses naturelles) ; elle ne porte de camisole et de pagne qu’à la maison ou lorsqu’elle doit se rendre à une manifestation sociale traditionnelle : nos pratiques et valeurs traditionnelles, notre authenticité et l’autochtone relevant pour elle de l’archaïque, de l’arriérisme et du désuet.
Cependant, si cette attirance de la jeune génération à la culture d’ailleurs traduit l’expression féconde d’un libéralisme total dans les comportements, il faut reconnaître que le risque de l’abandon de ses origines propres est grand! C’est dans ce contexte de dissolution des valeurs et de crise que l’engouement et la propension de la jeunesse vers une nouvelle spiritualité et des valeurs nouvelles doivent être promus et soutenus.
Fort heureusement, l’espoir est permis, avec les masses populaires qui, elles, profondément attachées à leur culture et à leurs valeurs traditionnelles, peu concernées par les perturbations, les complexes et les contradictions engendrées par la modernité et saisissant la vanité des fausses valeurs importées, et incitées d’autres part par la crise des valeurs du monde occidental, se remettent et renouent avec la tradition.
L’identité culturelle d’un peuple, c’est le droit qu’il a de rester lui-même envers et contre toutes les formes d’assimilation et de cultures du monde contemporain. Lequel monde contemporain est caractérisé par une tendance au nivellement culturel, conséquence de la dépendance économique ou politique des pays en voie de développement par rapport aux pays développés.
Cir Raoul HOUNGBEDJI
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