Entretien avec Sosthène Sèflimi (journaliste-entraineur de football) : « Je suis fan du décryptage du système de jeu des équipes »

Publié le mardi 3 mai 2016

Il y a quelques jours, Cotonou a abrité un tournoi international des centres de formation remporté par ABI Sports du Bénin. Sur le banc de Alodo Sports, un jeune centre prometteur, nous avons remarqué notre confrère Sosthène Sèflimi. Avec lui nous avons abordé le projet « Alodo Sports », la vie qui se mène dans un centre de formation, les difficultés et surtout sa vocation pour le job d’entraineur. Rassurez-vous, Sosthène Sèflimi sait bien de quoi il parle…

Au lendemain de la fin du Tournoi International des centres de formation, quelle appréciation générale faites-vous de la compétition ?

Il faut d’abord être reconnaissant vis-à-vis de Mounirou Daouda, le promoteur de ce tournoi et de toute son équipe. C’est le seul tournoi réservé aux académies qui fait vraiment la promotion du jeune footballeur béninois. Le promoteur fait venir de véritables recruteurs de grands clubs français à Cotonou, de même qu’il fait venir à ses propres frais d’autres académies de l’Afrique centrale et de l’Ouest. Ce tournoi place les centres de formation sur le marché international et offre à leurs promoteurs l’opportunité de s’évaluer par rapport à ce qui se fait ailleurs.

Ne pensez-vous pas qu’il y a quelque chose à faire pour améliorer la qualité de la compétition ?

La compétition est organisée avec un très grand professionnalisme. On ne peut faire mieux pour le moment. Je pense cependant que le Ministère des sports devrait s’arrimer au promoteur de ce tournoi pour établir un pont. Le public et le privé doivent s’accorder. Vous avez pu observer que pour la deuxième année consécutive, Japhet N’Doram et José Anigo étaient à Cotonou puis, il y a eu Christian Karembeu cette année-ci. C’est très compliqué de faire déplacer vers le Bénin ces personnalités du monde footballistique français. Nous sommes un pays qui ne représente pas encore grand’chose sur la scène du football. Le gouvernement en mettant du sien peut aider le promoteur à aller plus loin et à être d’une utilité certaine pour la Direction de la promotion des formations sportives. Il ne faut pas se contenter de donner des ballons et des maillots pour dit-on appuyer l’initiative de Mounirou Dadouda. Il ne s’agit pas d’un tournoi de sous-préfecture mais, d’une œuvre de grande utilité nationale. Je suis convaincu que le nouveau Ministre saura saisir la perche. Oswald Homeky est très intelligent et je sais qu’il va le faire.

Alodo Sports que vous coachez n’a pu aller aussi loin que vous le souhaitez. Comment cela s’explique ?

Au fait, il y a eu des éliminatoires au plan national pour retenir les académies béninoises qui représenteront notre pays à ce tournoi. Alodo Sports a fini premier. S’il le Bénin devrait présenter une seule académie, c’aurait été la nôtre. Ces performances sont d’abord donc un motif de fierté, au regard de la jeunesse de notre projet. Pour ce qui est du tournoi même, nous avons fini 3ème de notre groupe derrière le 36 Lions du Nigéria qui a terminé finaliste et le Sporting du Ghana qui s’est classé troisième du tournoi. Au classement général, nous sommes 6ème. Nous avons été distingués équipe fair-play au regard de la jeunesse de notre formation et notre Vice-capitaine Tédi Atchou, 15 ans a reçu le prix du 2e plus jeune joueur du tournoi. Au final, nous avons de véritables motifs de satisfaction parce que 90% de nos jeunes joueurs ayant pris part au tournoi était encore dans leur village il y a 8 mois.

Que retenir globalement du projet Alodo Sports ?

Nous organisons des séances de détection à l’intérieur du pays et dans les banlieues de Cotonou. C’est ainsi que nous avons pu recenser de jeunes talents à Pobè, Sakété, Kétou, dans le Plateau, à Bantè, dans les Collines, à Sè, Grand-Popo, Comè, Akodéha, Drè, dans le Mono. Les séances de détections sont gratuites et lorsque nous repérons un jeune talent, nous discutons avec ses parents pour le faire venir à Cotonou et le scolariser. Si l’enfant n’a pas de parent à Cotonou, nous l’hébergeons. Je tiens à dire que nous ne prenons pas de l’argent chez les parents. Tout est gratuit chez nous. Juste parce que les enfants les plus talentueux viennent souvent des milieux défavorisés et nous ne souhaitons pas rater un talent parce qu’il n’aurait pas 1.000F.CFA pour venir à la séance de détection ou bien parce que ses parents n’auraient pas 300.000 F.CFA à nous payer. Nous sommes en partenariat avec un complexe scolaire d’enseignement professionnel qui commence les cours à 7h et les finit à 14h. Nous nous entrainons donc les après-midi à partir de 16h. Nous prenons en charge 70% de la scolarité des enfants. Les parents payent les 30% restants.

Gérer une équipe d’adolescents ne doit pas être une sinécure…

C’est effectivement un peu compliqué. D’abord il s’agit d’adolescents arrachés à leur milieu de vie d’origine. Nous avons donc à gérer une période de sevrage à leur niveau. Ensuite, chacun d’eux nous vient avec son éducation… Et puis, avant d’être avec nous, ils n’avaient qu’une vague idée de l’apprentissage du football de haut niveau et des exigences y afférentes. Il est donc question de leur donner une culture du football. Leur apprendre à gérer leur temps, à respecter les moments de repos pour récupérer de leurs efforts. Les premiers mois sont souvent difficiles pour eux car il est question surtout de répéter les efforts à l’entraînement et lors des matches.  Ce n’est facile ni pour eux, ni pour nous.

Comment réussissez-vous à mobiliser les moyens pour réussir le projet ?

Nous n’avons pas nécessairement de grands moyens mais nous savons organiser nos connaissances, fédérer nos énergies pour atteindre nos objectifs. Pour le moment, nous sommes basés à Cotonou mais nous ambitionnons dans les mois à venir de nous installer en milieu rural pas très loin de Cotonou où nous disposerons suffisamment d’espace pour mettre en place une structure autocentrée.

Sosthène Sèflimi est connu comme journaliste et analyste sportif, homme de théâtre et de lettres… Depuis quand êtes-vous devenu entraîneur de football ?

Rires… Il y a bien d’autres domaines où je suis présent et que vous n’avez pas encore découvert. Je fais tout ce qui me passionne. Disons que par respect pour tous les techniciens qui exercent le métier d’entraîneur par vocation, j’ai du mal à accepter qu’on m’appelle entraîneur. Cependant, ça fait bien 22 ans que j’entraîne. Je n’ai pas connu une grande carrière de footballeur. Autrement vous l’auriez su. J’ai joué dans les équipes scolaires des deux établissements secondaires que j’ai fréquentés puis j’ai joué pour l’équipe de la Flash à l’Université d’Abomey-Calavi. Mais faire carrière comme footballeur ne m’a jamais intéressé puisqu’il n’y avait aucun modèle de réussite qui pouvait m’être opposé. Par contre, j’étais fan du décryptage du système de jeu des équipes que je voyais évoluer. Et les Lions indomptables du Cameroun de Théophile Abéga puis de Louis-Paul M’Fédé m’impressionnaient beaucoup. Les Camerounais pouvaient évoluer en 4-4-2, en 4-5-1 ou en 3-5-2. Mon envie d’entraîner est née de cette observation des dispositifs tactiques des entraîneurs. Moi je regarde la pelouse verte comme un échiquier et les joueurs comme des pions. J’ai par le passé entraîné des clubs de D3 et de D2. Je me suis donné une très grande culture des systèmes de jeu et de leur animation. Ceci a fini par me déformer à telle enseigne que je ne sais plus regarder un match de football pour le plaisir, je ne fais que lire le projet de jeu mis en place par les deux entraîneurs et la manière dont ils se combattent à travers leurs joueurs qui ne sont en fait que des robots à la merci du coach qui les téléguide. J’ai vu le contenu des formations qui sont données aux entraîneurs au Bénin. Vous pouvez aller regarder… Ces formations sont pauvres en tactique. Or lorsque le joueur n’est physiquement et techniquement préparé que pour exécuter un plan tactique. Ceci explique pourquoi vous avez des difficultés à lire le projet de jeu de nos équipes de D1 et de D2. Tout le monde pratiquement joue le 4-4-2. Mais le 4-4-2 peut se jouer au moins, de 6 à 8 différentes manières. Ceci explique d’ailleurs pourquoi les footballeurs africains qui sont trop restés sur le continent ont des difficultés à s’imposer au haut niveau en dehors du continent. Ils sont d’une vacuité tactique inexcusable. De rares entraîneurs béninois se sont cultivés  parallèlement à la formation à eux donnée.

Seriez-vous tenté de prendre en main l’une des sélections nationales du Bénin ?

Entraîner une équipe ne se résout pas à ce que je sais faire. Il y a toute une préparation physique et c’est à ce niveau que je ne suis pas encore suffisamment outillé. Heureusement qu’au niveau de notre académie, il y a quelqu’un qui s’en charge. Pour réponde à votre question, je peux vous dire que le Bénin regorge de très bons techniciens qui ont un très bon profil pour faire triompher nos sélections nationales. Le problème c’est qu’il leur manque une véritable expérience au niveau des clubs. Nous connaissons déjà le niveau de notre championnat et nous savons que depuis plusieurs années, il est irrégulier. Mais au-delà, il faut à nos sélectionneurs nationaux, un accompagnement psychologique parce qu’ils ne croient pas en eux-mêmes et se prennent pour des sous-hommes taillables et corvéables à souhait par le Ministère des sports et le Comité exécutif de la FBF. Un entraîneur qui tremble devant le Président de la FBF ne peut qu’être un mauvais meneur d’hommes.

A deux journées de la fin des Eliminatoires de la Can Gabon 2017, quelles sont encore les chances des Ecureuils du Bénin?

Le football, heureusement n’est pas une science exacte. Les chances du Bénin sont intactes. Mais je souhaite qu’il soit trouvé une formule exceptionnelle pour vite payer à Omar Tchomogo son salaire, si ce n’est pas encore fait. Sa nomination est la pire des formes de clientélisme auquel nous a habitués le régime du changement. Mais, une fois qu’il est en place, il ne faut pas l’affamer. Il doit être à l’aise pour faire le boulot. Être sélectionneur, c’est très compliqué et un sélectionneur national sans salaire n’est pas un homme libre.

Que dire pou conclure cet entretien ?

Le Ministre Didier Aplogan a très bien fait de créer la Direction de la promotion de la formation sportive. Mais la suite est moins reluisante. Je ne connais pas personnellement les cadres qui ont à charge la gestion de cette direction et ne saurais donc mettre en doute leurs compétences. Seulement, j’observe que la Dpfs n’arrive pas à se hisser à la hauteur des ambitions du peuple. Il faut revoir ses attributions et lui donner des moyens conséquents. Aucun sport ne se construit par le toit.

 Propos recueillis par Pascal Hounkpatin


via La Presse du Jour http://ift.tt/23npANj
Categories: ,