Poursuite des mises en cause au sujet du Ppea : Vivement la bonne procédure

Publié le lundi 3 août 2015

Une procédure de poursuite de tout agent convaincu ou soupçonné de malversation existe au Bénin. Le gouvernement, au risque d’être tenu pour responsable de la perte des huit milliards de franc Cfa détournés doit engager les procédures adéquates sans pousser à embrouiller les cartes ou permettre aux vrais coupables de partir avec les fonds publics.

Tous les juristes de haut niveau au Bénin doivent monter au créneau pour indiquer la vraie voie à suivre au gouvernement béninois afin de rapatrier dans les caisses de l’Etat, les huit milliards recherchés dans le dossier Ppea. A défaut, ce serait une complicité notoire voire une honte pour tout un peuple qui sera fiché dans les annales de la coopération internationale comme un peuple corrompu, détourneur et tripatouilleur de procédure.

Personne ne doit être de trop dans cette démarche et c’est là que l’on peut féliciter la récente publication de monsieur Prince Agbodjan qui peut servir de déclic et pousser d’autres juristes ou personnalités de haut rang à montrer la route à ce gouvernement qui traine beaucoup de dossiers de malversation sans que l’on ne sache si les fonds retournent dans les caisses de l’Etat ou pas.

Dans sa publication le 28 juillet 2015, M. Prince Agbodjan lançait un cri en écrivant « Bénin : Affaire PPEA 2, Ne faisons pas des présumés coupables des héros pour mauvaises procédures ! »

Il a exposé entre autre que : L’affaire PPEA 2 qui vient de mettre au grand jour et sur le plan international la cupidité, la déchéance dans laquelle le Bénin est plongée du fait de certains citoyens nous interpelle et pour cause : la manière dont nos autorités mènent la procédure.

Pour lui, bien que le Conseil des Ministres en sa séance du 27 juillet 2015 évoque la prudence dans les procédures et indique mêmes les actes à accomplir,  nous nous demandons si les dispositions légales qui règlement une pareille procédure sont vraiment prises en compte pour un traitement régulier et diligent de cette affaire.

Rappelant quelques règles ou actions dont la non prise en compte risque de faire des personnes impliquées dans ce dossier des héros ayant gagné une procédure même un procès malgré que les faits et les sommes détournées sont indéniables, il a montré quelques pistes.

Après la présentation et l’analyse du rapport d’enquête au cours du Conseil des Ministres du jeudi 23 Juillet 2015, le Conseil des Ministres au cours de sa séance en date du 27 Juillet 2015  a abordé la question des diligences à entreprendre et qui découlent du rapport d’audit d’investigation du cabinet international Kroll. On peut noter dans le compte rendu que :

En ce qui concerne l’ancien ministre en charge de l’Energie, des recherches pétrolières et minières, de l’eau et du développement des énergies renouvelables, monsieur Barthélémy Kassa, le Conseil des ministres a instruit la Garde des sceaux, ministre de la justice, de la législation et des droits de l’homme, pour la saisine immédiate le 28 juillet 2015 de l’Assemblée nationale par les procédures appropriées en vue de sa traduction devant la Haute Cour de justice (HCJ).

En ce qui concerne les fonctionnaires mis en cause, le Conseil des ministres a réaffirmé la nécessité d’engager à leur encontre la procédure de radiation. A cet effet, le Conseil des ministres a instruit les ministres dont relèvent ces agents, le ministre en charge de l’Energie, le ministre de l’Eau…d’enclencher les diligences suivantes :

–    adresser une demande d’explication aux intéressés, prendre un arrêté de suspension des mis en cause,

–    adresser un rapport circonstancier au ministre de la Fonction publique, constituer des commissions de discipline par le ministre de la Fonction publique. Cette procédure est engagée à l’endroit d’une vingtaine d’agents en attendant la décision de la justice.

En ce qui concerne le secteur privé, le Conseil des ministres a instruit dès le lundi 27 Juillet 2015, de la radiation des compétitions d’acquisition des marchés publics de tous les protagonistes du secteur privé impliqués dans le dossier, notamment les équipes de Codo Rémi comprenant une vingtaine de personnes, de Rock Gniré une quinzaine de personnes, et de Tchokotan Kotchénou une dizaine de personnes. A cet effet, un décret sera pris pour entériner cette décision. Il est aussi ajouté que la Garde des sceaux, ministre de la justice, de la législation et des droits de l’homme, est priée d’engager par les canaux et mesures appropriés, les poursuites judiciaires à l’encontre de toutes ces personnes, en vue d’extraction et de recouvrement des deniers publics frauduleusement soutirés. Cette décision sera notifiée aux commissions de l’Uemoa et de la Cedeao pour que ces mesures soient conservées à l’encontre des personnes mises en cause. La Garde des sceaux est également instruite pour lancer dès le 27 Juillet 2015, un mandat d’arrêt international à l’endroit de toutes les personnes impliquées dans ce détournement de fonds publics et qui auraient quitté le Bénin…..

 

Des problèmes tout de même

 

Face à cette démarche, M. Agbodjan s’est demandé s’il n’y a pas là, une procédure déjà viciée au départ ?

  1. Agbodjan constate que dans ce dossier deux actions simultanées sont lancées. Il s’agit d’une part,  une procédure de sanction administrative enclenchée sous la supervision du Ministre de la Fonction publique et d’autre part, une procédure judiciaire sous la direction du Ministre en charge de la Justice, Garde des sceaux. Le ministre de la justice est même instruit aux fins de lancer une procédure de mandat d’arrêt international à l’endroit de toutes les personnes impliquées dans ce détournement de fonds publics et qui auraient quitté le Bénin.

En clair,  que vous soyez agents du secteur privé ou public donc Agents Permanents de l’Etat, dès lors que vous êtes impliqués dans ce présumé détournement de fonds  publics et que vous auriez quitté le Bénin, vous ferez l’objet d’un mandat d’arrêt international.

Dans une pareille procédure, l’article 139 nouveau de la Décision-loi n° 89-006 du 12 avril 1989 modifiant et complétant la loi n° 86-013 du 26 février 1986 portant statut général des agents permanents de l’Etat indique que  « Lorsqu’un Agent Permanent de l’Etat (APE) fait l’objet de poursuite devant un tribunal judiciaire, la procédure disciplinaire est suspendue jusqu’à l’intervention de la décision du tribunal ou jusqu’à ce que celle-ci soit devenue définitive.

L’intéressé est obligatoirement suspendu de ses fonctions lorsqu’une mesure de détention préventive est intervenue à son encontre.…….».

Dès lors, en engageant  simultanément les deux procédures, il se demande « comment voulez vous que l’une des parties notamment les personnes présumées en cause n’évoquent la suspension de la procédure administrative en attendant qu’une décision du tribunal ne soit devenue définitive à leur encontre ».

En alléguant ce moyen qui est pourtant clair dans les dispositions ci-dessus citées, nous assisterons  au maintien des personnes dans leur emploi avec le paiement régulier de leur salaire jusqu’à ce qu’une décision définitive n’intervienne un jour. Nous serons en face d’une situation où malgré tout ce qui est supposé détourné que le peuple déplore, notre Etat à travers nos ressources constituées d’impôts et taxes perçues auprès d’honnêtes citoyens va malheureusement continuer à payer les salaires à toutes les personnes impliquées dans cette affaire jusqu’à la prise d’une décision judiciaire définitive.

Prince Agbodjan regrette alors que si nous prenons en compte la lenteur de notre justice, ce dossier risque d’être rangé dans le même ordre que ceux qui existent sans une procédure disciplinaire correcte. Il fait constater que c’est Bénin que des personnes soupçonnées de détournement, bénéficiant aujourd’hui d’une liberté provisoire sont candidats aux élections législatives, ou bien peuvent se faire élire députés ou se faire nommer Ministre de la République. Des procédures similaires existent contre eux  sans aucune suite pour l’instant.

 

Faire autrement

 

Tel que le dossier est lancé, « nous risquons d’être en face de deux procédures (judiciaire et administrative) inachevées renforçant les présumés coupables dans une situation d’impunité vis-à-vis du peuple béninois ».

Pour nous, dans le cadre de cette procédure, c’est le principe latin  »Bis de eadem re ne sit actio» (Il ne convient pas d’intenter deux fois une action sur la même affaire) qui doit  être pris en compte pour ne pas favoriser les présumés coupables. A ce titre, il est proposé la mise en application des dispositions de l’article 138 de la loi n° 86-013 du 26 février 1986 portant statut général des agents permanents de l’Etat avant d’engager la procédure judiciaire si nous tenons effectivement à faire de ce dossier une exception.

Pour Prince Agbodjan, selon l’article 138 : « En cas de faute grave commise par un Agent permanent de l’Etat, qu’il s’agisse d’un manque à ses obligations professionnelles ou d’une infraction de droit commun, l’auteur de cette faute peut être immédiatement suspendu par le Ministre de tutelle. La décision  prononçant la suspension d’un Agent permanent de l’Etat doit préciser si l’intéressé conserve  pendant le temps  où il est suspendu le bénéfice de son traitement ou déterminer la qualité de la retenue qu’il subit et qui ne peut être supérieure à la moitié. En tout état de cause, il continue à percevoir la totalité des prestations familiales.

Le Conseil de discipline est saisi de l’affaire sans délai  et sous peine de des-saisissement, doit se prononcer dans un délai d’un mois ; ce délai est porté à trois mois en cas d’enquête.

La situation de l’Agent permanent de l’Etat suspendu doit être définitivement réglée dans un délai de trois mois à compter du jour de la décision de suspension a pris effet ; lorsqu’aucune décision n’est intervenu au bout de trois mois l’intéressé perçoit à nouveau l’intégralité de son traitement…. ».

Abordant la décision de radiation dans le communiqué du conseil des ministres, il est constaté qu’il a entre autre indiqué clairement la sanction que devraient encourir les personnes impliquées dans le dossier. Il a insisté que la notion de « radiation» ne se trouve nulle part dans la loi n° 86-013 du 26 février 1986 portant statut général des agents permanents de l’Etat en vigueur au Bénin ni dans le décret  n° 2008-377 du 24 Juin 2008 portant régime juridique d’emploi des agents contractuels de l’Etat.

Selon l’article 131 de la loi n° 86-013 du 26 février 1986 portant statut général des Agents Permanents, les sanctions  disciplinaires de l’APE au Bénin sont :

 

A-    Sanction du premier degré :

–    L’avertissement écrit ;

– Le blâme avec ou sans inscription au dossier ;

– La mise à pied avec suppression de traitement pour une durée ne pouvant excéder trente (30) jours ;

– Le déplacement d’office ;

– Le blocage d’avancement d’échelon pour une année ;

– La radiation du tableau d’avancement.

 

B-    Sanctions du deuxième degré :

– L’exclusion temporaire des fonctions pour une période ne pouvant excéder six (6) mois ;

– L’abaissement d’échelon ;

– La rétrogation ;

– La mise à la retraite d’office;

– La révocation sans suspension des droits à pension ;

– La révocation avec perte des droits  à pension.

En ce qui concerne le décret  n° 2008-377 du 24 Juin 2008 portant régime juridique d’emploi des agents contractuels de l’Etat, l’article 81 dispose que les sanctions qui peuvent être infligées à l’agent contractuel de l’Etat sont :

  1. l’avertissement avec inscription au dossier ;
  2. le blâme avec ou sans inscription au dossier ;
  3. la mise à pied sans solde de quinze (15) jours ;
  4. la mise à pied sans solde de trente (30) jours ;
  5. la rupture du contrat pour faute grave.

Selon l’article 156 de la loi n° 86-013 du 26 février 1986 portant statut général des Agents Permanents, la cessation définitive des fonctions  entrainant la perte de la qualité d’agent permanent de l’Etat résulte :

– de la démission ;

– du licenciement ;

– de la révocation ;

– de l’admission à la retraite.

La notion de radiation évoquée par le Conseil des Ministres dans cette affaire PPEA 2 n’existe donc nulle part dans la loi n° 86-013 du 26 février 1986 portant statut général des agents permanents.

Ilse demande alors, si c’est encore une erreur si nous savons que dans le premier cas, le gouvernement a reconnu cette erreur et l’a même rectifiée dans d’autres communiqués du Conseil des Ministres en date des 25 Juin, 02  et 03 Juillet 2014 ?

Pour s’en convaincre, il suffit de s’en tenir à la décision DCC 15-032 du 19 Février 2015 à la page 4.

Nonobstant cette correction du même gouvernement, nous venons une fois encore dans un autre communiqué du même Conseil des Ministres un an après,  de retrouver la même notion qui n’existe pas dans la loi n° 86-013 du 26 février 1986 portant statut général des agents permanents. Les lois qui réglementent cette matière au niveau des APE ou ACE ne connaissent pas la radiation mais plutôt la révocation.

Même si nous prenons en compte cette notion de radiation à la place de révocation évoquée par le Conseil des Ministres dans cette affaire de PPEA 2, cela pose de graves problèmes qui peuvent aider les présumés coupables à s’en sortir lorsqu’une procédure de radiation ou de révocation serait engagée à leur encontre. En effet, le Conseil de discipline qui siégera sur les cas soumis « devrait » si on s’en tient à la décision du Conseil des Ministres, procéder à la radiation des personnes concernées.  Cette position clairement et publiquement affichée par le Conseil des Ministres présage déjà de l’issue de la décision des Conseils de discipline.  Elle risque d’être préjudiciable à la procédure et pourrait être exploitée par les Conseils juridiques des personnes impliquées dans cette affaire PPEA 2. Il est constant dans les nombreuses décisions de la Cour Constitutionnelle sur la question que, les conseils de discipline qui ne respectent pas les principes constitutionnels de « justice juste et équitable » sont purement et simplement annulées parce que violant la constitution du 11 décembre 1990. Toute personne a droit d’être jugée par un juge indépendant et impartial, dans le cadre d’un procès équitable. Le juge (qui est dans un Conseil de discipline le membre) prendra sa décision en application du droit et non sur instruction d’un Conseil de Ministre. Sa décision est prise après avoir entendu chacune des personnes concernées, dans le respect des règles de procédure à savoir : les principes du contradictoire du respect des droits de la défense, de l’égalité, de l’équité et de l’impartialité des juges.

Comment se défendre devant une institution ou juridiction si déjà la sanction que l’on doit vous infliger est déjà connue de tous et avant le début de la procédure ?

Evoquer déjà la sanction de « radiation des agents » alors que l’article 131  de la loi portant statut de la fonction publique  indique plusieurs sanctions en la matière pose le principe de l’indépendance et de l’impartialité de l’Institution qu’est le « Conseil de discipline » et peut compromettre les principes généraux de droit en ce qui concerne une justice équitable.

N’est-ce pas encore une possibilité offerte aux présumés coupables dans cette affaire d’être célébrées en héros en faisant annuler toute procédure de révocation des Conseils de disciplines prise à leur encontre ?

La procédure disciplinaire de l’agent permanent ou contractuel de l’Etat a des règles organisées dans la loi n° 86-013 du 26 février 1986 portant statut général des agents permanents de l’Etat en vigueur au Bénin et le décret  n° 2008-377 du 24 Juin 2008 portant régime juridique d’emploi des agents contractuels de l’Etat. Le document portant « manuel de procédures des actes de gestion en matière de contentieux  et des archives  du Ministère en charge du travail » en sa page 16  et suivants est plus explicite sur la question car il indique ce qu’il faut faire en cas de faute administrative  (malversation sans poursuite judicaire et malversation avec poursuite judiciaires).

A moins de donner raison à ceux qui pensent que tout est fait dans ce dossier PPEA 2 pour ne pas aboutir à une sanction appropriée et exemplaire à toutes les personnes impliquées dans cette affaire, il faut faire les choses dans les normes et dans le respect des lois de la République pour montrer aux partenaires techniques financiers dans le cadre de cette affaire, que c’est une exception dans les nombreux cas évoqués ces dernières années dans notre pays.

Ce sont là des remarques pertinentes soulevées par le juriste. Pour sanctionner, il faut tenir grand compte des procédures et des  textes en vigueur pour ne pas transformer les délinquants  en héros.

Le gouvernement devrait en tenir compte et les différents conseillers juridiques devraient s’en inspirer pour que les huit milliards reviennent dans les caisses du Bénin.

Junior fatongninougbo


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