République du Bénin : Le retour des exils sous Yayi

Publié le vendredi 12 juin 2015

On avait connu des exils sous le régime dictatorial et révolutionnaire du Général Mathieu Kérékou. Avec l’avènement de la démocratie en 1990, ces pratiques ont disparu. Aujourd’hui, les exils reviennent au Bénin. Les exilés accusent !

Jean-Marie Sèdolo

Officiellement, quatre compatriotes béninois ont fui le Bénin ces dernières années. La raison : ils disent craindre pour leur sécurité sous le régime politique en place. Il s’agit des Sieurs Patrice Talon, Olivier Bocco, le journaliste Ozias Sounouvou et le juge Angelo Houssou. Pourtant, on croyait que cette pratique était révolue au Bénin. Aujourd’hui, Talon et Bocco vivent en France. C’est vrai qu’avec le pardon que leur a accordé le Chef de l’Etat, Boni Yayi, dans les affaires dont-on les accusait être les instigateurs, ils peuvent revenir au bercail. Le juge Angelo Houssou et le journaliste Ozias Sounouvou eux, ont choisi les Etats Unis d’Amérique pour se refugier.
Talon et Bocco
L’homme d’affaires Patrice Talon et son collaborateur, Olivier Bocco, sont cités dans les affaires de «tentative d’empoisonnement du Chef de l’Etat» et «tentative de coup d’Etat». Selon leurs propres dires, ils ont réussi à fuir le Bénin grâce à des amis, détenteurs de l’information de leur arrestation qui se préparait. Leur première destination a été les Etats Unis d’Amérique. Mais les deux Béninois ont été interceptés par la police fédérale, en exécution d’un mandat d’arrêt international lancé par le gouvernement béninois. Finalement, ce n’est pas au Bénin qu’ils ont été rapatriés mais en France. C’est sur leur terre d’accueil (Talon et Bocco disposant de la nationalité française) que les procédures judiciaires ont eu lieu, aboutissant sur leur non-lieu dans les deux affaires. Talon et Bocco ont été alors blanchis par la justice française. Les affaires seront complètement closes après le pardon accordé par Yayi à tous les prévenus. Ces derniers jours, on annonce le retour au bercail de ces deux hommes affaires béninois. Patrice Talon, lui, serait même un potentiel candidat pour la présidentielle de 2016. Un potentiel successeur du président Yayi.
Le juge Angelo Houssou
Comme Talon et Bocco, c’est de façon discrète que le juge Angelo Houssou a quitté le Bénin pour les Etats Unis d’Amérique. Il est arrivé à New York le dimanche 1er décembre 2013 et a aussitôt demandé l’asile aux Etats-Unis. Faut-il le rappeler, le juge béninois avait prononcé en mai 2013 un non-lieu à l’encontre des six prévenus accusés d’avoir participé, sur ordre de Patrice Talon, à une tentative d’empoisonnement du président Boni Yayi et à une tentative de coup d’Etat. Un non-lieu d’ailleurs confirmé en appel. C’est juste après ce non-lieu que les ennuis ont commencé pour le juge, n’a-t-il cessé de dire. Il a alors fait une tentative de fuite vers le Nigéria. Elle a été avortée. Le juge avait justifié cette attitude par le fait qu’il craignait pour sa sécurité. Alors, il a été mis à sa disposition des «gardes du corps» pour le protéger. Quelques jours après, les gardes du corps avaient été rappelés. Toutefois, selon le juge Houssou, il fait l’objet de suivi en permanence par des hommes. Sa maison était surveillée également. Il a donc décidé de fuir son pays pour celui de l’Oncle Sam. Et a demandé l’asile. Selon son avocat, Me Alain Orounla, « il craignait même pour sa vie ». « Le juge Houssou était l’objet de pressions psychologiques terribles. C’est un homme sur lequel était focalisée toute l’attention des autorités. Les menaces ont fini par avoir raison de sa solidité nerveuse», avait-il déclaré à Rfi. Par le même canal de Rfi, le garde des Sceaux, Valentin Djènontin, a battu en brèche la thèse de filature du juge. « Si cela est vrai, à savoir qu’il (le juge Houssou) est tout le temps suivi et filé, comment a-t-il pu s’échapper ? Vous ne voyez pas qu’il y a une grosse contradiction ? Il était totalement libre de ses mouvements», a affirmé Valentin Djènontin à la radio mondiale. Ce dernier ajoutera qu’il s’agit d’une manœuvre destinée à discréditer le Bénin aux yeux de la justice française. Finalement, la demande d’asile a été accordée au juge Angelo Houssou. Il réside depuis aux Etats Unis d’Amérique. Il a annoncé qu’il sera candidat aux élections présidentielles de 2016. Cela suppose que son retour au bercail est imminent, puisque la Constitution du Bénin l’oblige à résider au Bénin six mois avant les élections.
Le cas Ozias Sounouvou de l’Ortb
Sa faute, c’est qu’il a invité le président de la République à être le « Charlie de l’Ortb ». En effet, dans la dernière édition du journal télévisé de l’Ortb du lundi 12 janvier 2015, le journaliste Ozias Sounouvou, a invité le Chef de l’Etat béninois, Dr Thomas Boni Yayi qui venait de participer à la marche républicaine de Paris à aller au bout de son engagement pour la liberté dans son pays en devenant aussi « Charlie Ortb ». (Lire ci-dessous). Depuis, il ne cesse de dire qu’il craignait pour sa sécurité. Alors, lui a aussi a décidé de «fuir». Il n’est plus rentré d’un voyage qu’il a fait aux Etats Unis pour recevoir un prix pour la liberté de presse le dimanche le dimanche 26 avril 2015. Selon nos sources, il a aussitôt formulé une demande d’asile aux Etats Unis d’Amérique. Sa demande, selon les mêmes sources, serait déclarée recevable. L’argument commun à ces quatre exilés est qu’ils seraient persécutés par le régime en place. Un gros mot au Bénin, après vingt cinq (25 ans) de pratique démocratique.

Lire les différentes accusations de Ozias Sounouvou, Angelo Houssou et Patrice Talon contre le régime en place

Ozias Sounouvou : «On aurait aimé que le Chef de l’Etat devienne aussi Charlie Ortb»
« Etre heureux et fier du sens de l’engagement de Boni Yayi devenu Charlie pour la liberté de presse en France, à l’international. Et comme on aurait aussi aimé que pour aller au bout de cet engagement, le chef de l’Etat devienne aussi Charlie Ortb. Charlie Ortb pour la liberté de presse sur le service public de l’audiovisuelle au Bénin. Liberté de presse qui rime avec ouverture des antennes de la télévision nationale aux vrais débats contradictoires sur les grandes questions politiques et autres qui engagent le présent et l’avenir de la Nation. Monsieur le président de la République, sauvez la liberté des journalistes à l’Ortb, précieux héritage de la Conférence nationale, entre autres, et entrez dans l’histoire. Pardon pour cette impertinence. N’est-ce pas là aussi l’esprit Charlie. Clause de conscience et devoir républicain oblige. Monsieur le président de la République, vous êtes notre recours. Rendu obligé ce soir après trois pétitions infructueuses des journalistes de l’Ortb pour le retour de la liberté de presse sur le service public. Nous voulons juste faire notre métier et prendre notre part à la construction de la République. Vive le service public de l’information sur la chaine publique. Vive la République ».

Lettre ouverte du juge Angelo Houssou
(…) C’est la mort dans l’âme que j’ai saisi ma plume pour revendiquer mon droit inaliénable à parler et pour dire l’acharnement continuel dont je fais l’objet de la part des autorités de mon pays.
En raison des décisions que j’ai rendues dans les fameux et sulfureux dossiers de tentative d’empoisonnement sur la personne du chef de l’Etat et d’atteinte à la sûreté de l’Etat, je suis persécuté et mon exil n’a pas arrêté mes poursuivants dans leur vil dessein de me tuer, sinon physiquement, du moins socialement et professionnellement.
Un communiqué de représailles
J’ai appris, avec un certain effarement qu’un communiqué du jeudi 22 mai 2014, diffusé en boucle à la télévision nationale, m’invitait à reprendre service, au plus tard le 26 mai 2014, sous peine d’être considéré comme démissionnaire. Il ne reste que le ridicule achève certains cadres de mon pays!!!
Je ne comprends pas la surdité intellectuelle des auteurs de ce communiqué qui devraient se trouver sur une autre planète quand se déroulait tout le débat sur comment assurer ma sécurité et celle de ma famille après la reddition des ordonnances du 17 mai 2013. Ce débat est toujours d’actualité puisqu’aucune disposition n’est encore prise pour que je puisse exercer, librement et en toute quiétude, mon droit à demeurer dans mon pays et à le servir utilement.
Je suis magistrat et à ce titre, je reste soumis au devoir de réserve professionnelle. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je me suis abstenu jusque-là de faire certaines déclarations utiles à l’éclairage des uns et des autres sur la véritable moralité de ces dossiers que j’ai instruits. Mais pour moi, l’obligation de réserve ne doit pas être perçue comme étant un commandement masochiste transformant tout magistrat en saint Sébastien criblé de flèches. Mon honneur a été attaqué publiquement et mon intégrité professionnelle a été mise en doute. Parce qu’il s’agit là des questions qui touchent profondément à ma dignité, j’ai décidé d’user de mon droit constitutionnel à la parole.
Je dénonce ici donc le machiavélisme versé des auteurs du communiqué. A vrai dire, il est à peine nécessaire de rappeler que, ceux-cine sont pas sans savoir qu’il m’est parfaitement impossible d’aller reprendre service ce 26 mai 2014 et ce, pour deux raisons fondamentales. D’abord, les conditions de ma sécurité ne sont toujours pas clairement réunies au pays. En effet, ma tête reste mise à prix par ceux qui se sont sentis lésés et déroutés par mes deux ordonnances de non-lieu. Ensuite, je suis impliqué dans une procédure d’asile ici aux Etats-Unis. Il s’ensuit que le fait de m’inviter à reprendre service au plus tard le 26 mai 2014, sans donner la garantie de ma sécurité et en faisant fi de ladite procédure, est manifestement insincère et partant, un «non-lieu ». C’est la preuve d’une apoplexie forte…
Il importe d’affirmer que les auteurs du communiqué ont tort de considérer mon exil comme une fiction et de m’appeler à reprendre service comme si j’étais allé en ballade de santé. J’ai quitté le Bénin face à l’incurie complice des autorités compétentes de me protéger contre l’arbitraire et les bas instincts de la vengeance perdante et éperdue.
Burlesque communiqué qui trahit la volonté renouvelée de me faire manger les pissenlits par la racine ! Pour moi, ce communiqué est un «non-lieu». On peut bien s’interroger sur ce à quoi sert ce communiqué du 22 mai 2014 dans cette « recréation », si ce n’est pour prolonger les représailles et les balafres indélébiles qui m’ont été infligées en vue d’assouvir, je ne sais quelle vendetta. Si l’Homme était Dieu? Je sais, et tout le peuple béninois avec moi, là où on veut en venir.
Facile de pardonner quand on a fini de se venger
Je ne suis pas contre le pardon. C’est une bonne chose que de pardonner. Le pardon « réchauffe le cœur et refroidit la piqûre » (William Arthur WARD). Il permet de « reprendre les rênes de notre destin et de reconnaître autrui comme étant toujours susceptible de renouer avec le bien ». François VERILLON l’a dit, le pardon n’est « ni un coup d’éponge ni une lessive, mais une recréation».
Bien qu’étant homme de droit, je ne veux pas m’interroger sur les implications juridiques de ce pardon qui, comme l’ont analysé les juristes sensés, est une sortie par effraction qui ne vide ni le fond des procédures ni ne corrige l’image écornée de mon pays, où fatalement le déficit républicain prend le pas sur le renouveau démocratique.
Le pardon soulève des discussions inépuisables, à savoir: Que cache ce pardon ? Quel est son degré de sincérité ? Dans ce drame qui a tant divisé le peuple et brisé des vies entières, est-ce le mieux à faire ? Pourquoi intervient-il au moment précis où la Cour suprême a rendu ses arrêts dans ces dossiers? Que dire d’un pardon accordé alors qu’il n’a pas été demandé ?Que dire d’un pardon destiné à des personnes qui ont bénéficié d’un non-lieu? Autant de questions qui invitent, en effet, à penser à cette phrase de Josh BILLINGS: « il n’y a pas de vengeance si complète que le pardon ».
La vengeance !Voilà le mal fondamental qui, dans cette affaire, a fait plus de dégâts que les projets funestes qui auraient été fomentés. On me considère comme une victime collatérale dans cette affaire. Ce n’est point une vue de l’esprit, mais j’en ai payé le prix fort. Depuis que j’ai reçu ces dossiers en mon cabinet jusqu’à ce jour, il ne m’est plus arrivé d’avoir ma vie à moi et de la vivre à pleines dents.
Pendant l’instruction des dossiers, j’ai subi toutes sortes de pressions, sous forme d’acharnement, de surveillance outrancière, d’intrusion et d’occupation systématiques de ma vie privée. Ces affaires m’ont isolé de ma famille, de mes proches. Terré, perclus, je n’avais plus de vie, de liberté…désormais à la merci des fileurs et des corbeaux de mauvais aloi.
De mon éducation, j’ai pu tirer l’énergie nécessaire et le courage suffisant pour faire mon travail et l’achever le 17 mai 2013. Sans grande surprise, la persécution bascule dans l’escalade…
Une persécution sans fin
On m’a traité de tous les noms : « juge corrompu », « versé dans le charlatanisme », « menant une vie légère »…J’ai tout subi, tout encaissé. Avec une seule consolation : aucun de mes accusateurs n’est arrivé à apporter la preuve de ses allégations mensongères et mes décisions n’ont point été contredites, du moins juridiquement.
A travers le pays, on a marché contre moi par foules entières, me menaçant de vindicte populaire. Dans tous les tabernacles du pays, on a réclamé ma tête à Dieu et aux dieux. On a lâché contre moi une horde de journalistes et de «journaleurs» avec le vil dessein de salir mon nom à jamais…Des amis et proches sont infiltrés, soit pour épier mes faits et gestes, soit pour apporter des éléments graves et concordants susceptibles de me prendre sur le fait. Certains ont résisté bravement. D’autres ont succombé lâchement… Lorsqu’on a vécu dans ces liens infernaux, quotidiennement à l’article de la mort, l’instinct de survie ne peut être que plus fort.
Escorté par l’invisible bénédiction protectrice du peuple béninois, j’ai bravé le dispositif d’insécurité glané autour de moi, traversant, par un vendredi clément, brousse, boues et fleuve avec le risque de rencontrer la mort à tout moment.
Arrivé aux Etats-Unis, le 1er décembre 2013, c’est comme si je tombais de la poêle vers le cœur du feu. A l’aéroport international John Fitzgerald KENNEDY, il m’a été notifié que mon visa posait problème. Pendant quelques minutes, j’ai eu le profond sentiment d’être un vulgaire citoyen. Mais très tôt, je me suis ressaisi. Il fallait me convaincre de ce que je venais quand même de semer la mort et que je suis dans un pays où la sensibilité à la vérité et aux droits de l’homme est censée être la plus forte au monde. Pourtant, le doute a duré dix-huit(18) jours où j’ai connu la peine et le blues de la détention .Moi qui autrefois, décernais des mandats de dépôt contre certains inculpés au tribunal de Cotonou. La crédibilité de la peur dont j’ai excipée ayant été reconnue, j’ai gagné dans ce pays ultra-organisé, le droit de ne pas être retourné dans l’enfer d’où je venais de m’échapper. Ici, les gens sont plus sérieux et chacun s’attelle à faire son travail sans parti pris. C’est avec beaucoup de respect et étreint d’émotion que je leur exprime un sincère remerciement.
C’est cet homme persécuté à souhait pour avoir fait son travail qui était absent du rappel des faits le jour de l’effusion du pardon présidentiel. Bien évidemment, je ne demande pas être pardonné. Car je n’ai rien fait qui aurait justifié un tel transport à mon égard ! Je ne suis pas détenu dans cette affaire. Je suis contraint à l’exil dans le cadre de cette affaire dont je suis une parfaite victime. On ne pardonne pas à une victime. On lui demande pardon. On lui présente des excuses et on la réhabilite dans son droit inaliénable de vivre en paix et en sécurité dans sa patrie. Le fait d’avoir occulté cela dans le discours officiel du pardon et de se pourfendre en plus d’un communiqué scélérat et facétieux comme celui du 22 mai 2014,est la preuve suffisante que l’œuvre vengeresse est toujours en marche. Facile de pardonner quand on a fini de se venger!
Le pardon, considéré par un proverbe arabe comme « la plus belle fleur de la victoire », parachève manifestement la revanche par laquelle on a compromis l’avenir de tant de Béninois et poussé à l’exil des gens qui, comme moi, par folle passion pour le pays, ne supportaient pas de vivre une semaine entière en dehors du terroir.
Dans le pardon marketing du 14mai 2014, je pressens du rochefoucauldien à l’état pur: administrer ce pardon n’est qu’un moyen sibyllin de demander pardon. Je répète : le pardon ne me concerne pas. Car je ne suis impliqué dans aucune des affaires. Je suis juge, au service du droit. Et en droit, les faits déférés devant moi, ne sont pas constitutifs d’infractions à la loi pénale. Depuis le 17 mai 2013 que je l’ai dit dans mes ordonnances, il ne s’est trouvé aucun autre juge pour apporter la preuve du contraire. Aucun juriste sérieux n’en a pris le contrepied. Mes décisions ont été confirmées en appel. La Cour suprême ne s’est pas prononcée sur mes ordonnances. Elle a plutôt cassé les arrêts confirmatifs de la chambre d’accusation sur la forme et ce, pour un simple problème de visa. Mieux, la décision de la Chambre d’accusation autrement composée du lundi 19 mai 2014 et mettant en liberté provisoire les inculpés dans ces affaires, n’est qu’une exécution partielle des ordonnances de non-lieu du 17 mai 2013.
Une ferme confiance en l’avenir
Respecter la loi, s’incliner devant le droit n’est pas seulement une simple politesse ni un acte banal de sagesse. C’est la voie royale pour donner une chance à la bonne gouvernance dans notre pays. Et plus j’y pense, plus je réalise que j’assume ma destinée jusqu’au bout.
La fonction d’un juge contemporain est fort différente de ce que nous avons connu dans le passé. De nos jours, le juge doit éviter de s’isoler. Il doit s’efforcer non seulement d’être de plus en plus accessible au public, mais aussi il doit s’intéresser à la vie sa cité.
Voilà, donc, autant de bonnes raisons de nature à motiver mon engagement à vivre désormais une citoyenneté plus active basée sur l’exercice de mon droit à la parole et de mon devoir de contribuer à l’amélioration de la gouvernance de mon pays. En entrant dans la magistrature, j’étais préoccupé de contribuer à corriger l’homme et à élever la nation en faisant appliquer la loi. Mais ce serait une entreprise vaine si la politique reste l’apanage de gens dont la tendance à l’échec n’a d’égale que leur goinfrerie.
Je me dois donc de parfaire ma fonction d’aiguillon, de détonateur. Quand on a été aux prises avec certaines tares, quand on a osé dire non au musellement de la maison justice, on ne peut plus se taire tout bonnement. Tout silence prolongé devient une œuvre de complicité, surtout dans un espace public transformé en une arène où les acteurs s’ingénient à faire périr l’intérêt général au profit de leur ventre et de leur orgueil. Tant que la politique tombera aussi bas, le pays ne pourra sortir des bas-fonds du sous-développement.
Au moment où j’achève cette réflexion, une conviction m’habite. Mon pays, en effet, semble livré à des gens sans foi ni loi. Ses dirigeants ont renoncé à leurs charges, celles de travailler à instaurer une société de valeurs, d’ordre, de justice et de sécurité. Le drame de mon pays, ce n’est pas tant l’influence venimeuse de ces pratiques que le silence des consciences lumineuses et la compromission des élites. Tant que la situation en restera là, l’œuvre de développement sera un travail de Sisyphe.
En 2006, nous avions un projet formidable de changement et de progrès. Au fil des ans et des dérives, ce projet de miracle s’est mué en un triste mémorial de l’échec patent des élites dirigeantes. Une honte nationale qu’il faut corriger dare-dare à la prochaine occasion .Rester en marge de ce processus de renouveau serait un crime contre le pays.
Que les consciences lumineuses de tout le Bénin le sachent et s’engagent. Dès maintenant ! Mon pays peut compter sur moi pour jouer ma partition pleinement et sans défaillir. Je n’ai plus peur de rien, même pas de la mort, car me tuer pour une vérité devenue incontournable au point de susciter un pardon, accroitrait inévitablement mes chances d’aller au paradis .Mais il ne s’agit pas de moi, mais du Bénin tout entier. Et on ne le laissera pas périr dans n’importe quelles mains !
New York, le 26 mai 2014
Juge Angelo Djidjoho HOUSSOU

Patrice Talon sur Rfi : «Au Bénin, je suis l’ennemi n°1 du président Boni Yayi»
L’homme d’affaires béninois Patrice Talon est accusé d’avoir voulu faire empoisonner le président Boni Yayi, avec l’aide de la nièce et du médecin personnel de ce dernier. Patrice Talon est en fuite. Le mardi 23 octobre dernier, la justice béninoise a délivré contre lui un mandat d’arrêt international. Pour la première fois, ce 29 octobre, l’homme d’affaires s’exprime, et c’est sur Radio France Internationale (RFI). Patrice Talon se confie au micro de Christophe Boisbouvier. Pour l’homme d’affaires, toute cette histoire s’apparente à un « canular ».
RFI : Vous êtes au centre d’un scandale, au Bénin. Vous êtes accusé d’avoir voulu empoisonner le chef de l’Etat, quelle est votre première réaction ?
Patrice Talon : Canular. C’est un canular qui n’est pas le premier et qui n’est peut-être pas le dernier. Vous savez, le ridicule ne tue pas au Bénin. Je suis l’ennemi n°1 du président et au lieu de construire les choses les plus grotesques pour mettre un Monsieur Talon sous cloche, Dieu fasse que le président retrouve ses esprits et qu’il sache qu’après le pouvoir la vie continue, et qu’il retrouve le calme.
Revenons à cette énorme affaire de tentative d’empoisonnement. Mais disons avant tout que le président Boni Yayi et vous-même êtes brouillés depuis un peu plus d’un an, et qu’avant cette brouille, vous étiez très proches. Avez-vous sponsorisé les campagnes électorales du candidat Boni Yayi en 2006 et 2011 ?
Je ne vais pas le cacher, c’est réel. J’ai été un sponsor du président Yayi Boni. Comme tant d’autres, je l’ai conseillé et introduit là où j’ai pu pour sa conquête du pouvoir, en 2006 puis en 2011.
Après la victoire de Boni Yayi, vous avez décroché de gros marchés, comme la gestion du PVI, le programme de vérification des importations au port de Cotonou. Il y a quelques mois, vous avez perdu ce marché, pourquoi ?
Pour moi, c’est peut-être une punition …
Est-ce pour la même raison que vous avez perdu le monopole sur les importations d’intrants, les engrais, les insecticides, dans le secteur du coton ?
Je peux dire que oui. Toujours à titre de punition, il a été décidé brutalement d’arrêter l’intervention du privé dans ce secteur qui relève des activités privées au Bénin depuis bientôt deux décennies. Tout a donc été arrêté du jour au lendemain. Mais ce n’est pas la première fois. J’ai déjà été dans le passé suspendu comme cela, arbitrairement, pendant deux ans. J’ai attendu. Vous savez, quand on sait qu’on est bon on attend le retour de la vérité. Je suis habitué. Il faut accepter aussi de connaître ce genre de déconvenue et être patient. Ça je sais faire.
C’est l’histoire du surintendant Fouquet sous Louis XIV ! Vous êtes devenu trop riche, trop puissant ?
C’est à croire, mais je pense que mon malheur c’est d’être des fois trop indépendant, de ne pas mettre ma personne totalement au service de choses auxquelles je ne crois pas.
Trop indépendant, dites-vous. Est-ce que, ces derniers mois, le chef de l’Etat vous a demandé des services que vous avez refusé de lui rendre ?
Vous savez, c’est un secret de polichinelle ! Je vais vous le dire et tout le monde le sait : dès que le président Yayi Boni a été réélu en 2011, sa principale préoccupation était de réviser la Constitution.
Pour pouvoir se représenter en 2016 ?
Oui. Pour pouvoir rester au pouvoir, se représenter. Donc, le président m’a sollicité pour que j’accompagne son nouveau projet politique en utilisant mes relations, mes moyens pour obtenir auprès de l’Assemblée le nombre de députés qu’il faut pour voter ce genre de modifications qui nécessitent une majorité qualifiée. Mais j’ai résisté. Comme nous sommes des amis, j’ai pu quand même lui faire comprendre que ce n’était pas indiqué, que ce n’était pas faisable, que ce n’était pas bien. Et même si j’avais voulu, ça n’aurait pas marché. Le peuple béninois est attaché à sa démocratie, donc j’ai refusé.
Mais le président ne vous soupçonne pas de soutenir un de ses rivaux potentiels ?
Il me l’a dit, il me l’a dit en face ! Vous savez, je suis à un point où je peux vous dire certaines choses. Le président m’a dit un jour, dans les dernières discussions que nous avons pu avoir yeux dans les yeux : « Patrice tu sais, tu cours un risque en me résistant. Parce que je suis après tout le président du Bénin. Le président a beau être ton père, ton frère, ou même ton fils, il faut savoir qu’un chef d’Etat peut être dangereux pour toi. Révise ta position ». Je suis encore là.
C’était quand cette dernière conversation ?
C’était en novembre-décembre 2011.
Revenons à l’affaire judiciaire du moment. Ce qui est frappant dans les déclarations du procureur de Cotonou, c’est le luxe de détails. Il vous accuse d’avoir soudoyé la nièce et le médecin personnel du chef de l’Etat pour que ceux-ci administrent au président des médicaments toxiques, qu’est-ce que vous répondez ?
Vous savez qu’au Bénin, je n’en suis pas à ma première accusation. C’est la énième accusation de tentative de déstabilisation, de coup d’Etat, de l’élimination de Yayi Boni par son pire ennemi qui est Monsieur Talon. Vous savez, on a déjà déclaré sur les antennes que Monsieur Talon a détourné 12 milliards de subvention. Puis on a dit : « Il est allé braquer les caisses. Monsieur Talon en personne est allé braquer la douane ! Il a pris deux milliards dans une fourgonnette, il est parti » … Ça a été dit par le gouvernement ! Puis, après, ce canular est passé. On a dit ensuite : « tentative de coup d’Etat, de déstabilisation ». Cela a été dit par le président lui-même le 1er août dernier. Puis on finit par dire çà et là : « Ça y est, il veut tuer le président et il a organisé ça avec son médecin, sa nièce et telle et telle personne. Il faut lui mettre la main dessus ». Je suis parti de Cotonou il y a un mois par la brousse. J’ai fui parce que le Haut-commandement a été instruit par le président pour m’arrêter. Il y a un mois, heureusement qu’on m’a appelé, qu’on m’a dit : « Partez du pays tout de suite parce que dans une heure au plus tard, on viendra vous chercher ». Donc, ce qui est surprenant, ce n’est pas le fait qu’on m’accuse d’une énième tentative de coup d’Etat contre Yayi Boni ; ce qui est surprenant, c’est le caractère ultra-grotesque de ce scénario.
Mais cela dit, on imagine que comme vous étiez très proche du chef de l’Etat, vous avez croisé très souvent sa nièce et son médecin personnel ?
Je connais bien tout ce monde-là, très bien. Et tout le monde le sait.
Est-ce que vous avez rencontré la nièce du chef de l’Etat le 17 octobre dernier dans un hôtel de Bruxelles?
Nombre de personnes, de membres de sa délégation me fréquentent. Lors de la visite du candidat Yayi Boni à Bruxelles, le nombre de personnes qui sont venues me voir est bien au-delà de celui qu’on cite. Et ils le savent très bien ! Ce n’est pas la première fois ! Vous savez, une telle relation entraîne des tentatives de conciliation et de réconciliation : « dites-lui telle chose, faite ceci pour échapper à cela ». C’est quotidien. Dites-vous aussi que je suis parfois demandeur. Parce que ce n’est pas facile de ne pas être bien dans son pays, avec le chef. On essaye par tous les moyens que les choses n’en restent pas là.
Ce qui est sûr en tout cas, c’est que depuis une semaine, trois proches du président, dont sa nièce, sont inculpés pour tentative d’assassinat et sont en prison. Vous pensez qu’ils ont réellement tenté d’empoisonner le chef de l’Etat ?
Mais non ! Maintenant, quel est le scénario des manipulations ? de qui ? de quoi ? J’ai mon idée là-dessus. Ce n’est pas dans nos habitudes, au Bénin, de faire ce genre de choses.
Mais alors s’ils n’ont pas comploté contre le chef de l’Etat, sont-ils les complices du pouvoir dans une machination contre vous-même ?
Vous savez, tous ceux qui connaissent le président savent qu’il peut utiliser n’importe quoi et n’importe qui pour arriver à ses fins. C’est triste. Je ne vais pas dire plus. Ce n’est pas la première fois que je suis victime de manipulation.
Un mandat d’arrêt international est lancé contre vous, est-ce que vous craignez d’être arrêté dans un pays de refuge et d’être livré aux autorités béninoises ?
Je compte bien sûr, dans tous les cas, répondre aux accusations. Ceux qui me connaissent me jugent parfois téméraire, mais je ne suis pas casse-cou. Je prendrai donc des précautions juridiques à ma portée pour répondre aux accusations. Mais sans mettre ma vie en danger.
Sources : Archives de La Presse du Jour


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