Présidentielle 2015 au Burkina Faso : La problématique du vote de la diaspora
La question du vote des Burkinabè de l'étranger en 2015 en plus de faire couler beaucoup d'encre et de salive, est en passe de faire suer à grosses goûtes les autorités de la transition et tout le peuple. La tournée entreprise par la délégation gouvernementale dans les pays de la sous-région pour expliquer davantage les raisons du report de la participation de la diaspora au scrutin présidentiel s'est heurté le lundi 09 mars 2013 à un « iceberg » sur les bords de la lagune Ebrié.
En effet, si au Ghana et au Mali, les échanges avec nos compatriotes de l'étranger se sont relativement bien passés, du côté de la Côte d'Ivoire par contre, les choses ont très vite fait de dégénérer. Des membres du Collectif des Associations et Mouvements de Jeunesse Burkinabè en Côte d'Ivoire (CAMJBCI) ont laissé éclater leur mécontentement vis-à-vis de la décision gouvernementale et ont empêché la rencontre de se tenir comme prévue.
Au regard de la récurrence et de l'actualité de la question, nous avons estimé opportun de proposer pour la gouverne de l'opinion nationale et internationale une synthèse de nos travaux de réflexion sur le sujet. Il faut juste signaler que la réflexion a été menée sous l'angle de l'analyse géopolitique dans un cadre académique.
Des dispositions constitutionnelles et législatives
Le Burkina Faso en passant de la IIIème à la IVème République à travers l'adoption de la Constitution du 02 juin 1991, fixait les principales bases de l'organisation et du fonctionnement des institutions de l'Etat ainsi que les modalités de la conquête et de la gestion du pouvoir d'Etat. Cette Constitution en son article 12 stipule que « Tous les Burkinabè, sans distinction aucune ont le droit de participer à la gestion des affaires de l'Etat et de la société… ». En son alinéa 2, l'article précise qu'ils sont « à ce titre, électeurs et éligibles dans les conditions prévues par la loi ».
C'est finalement en 2009, sous la pression de l'opposition politique et d'une partie de la société civile que le vote de la Diaspora Burkinabè a été institué à travers le vote par les Députés de la Loi N°19-2009/AN du 07 mai 2009 portant révision du Code Electoral. Dans cette Loi, l'article 265 indique que les dispositions relatives au vote des Burkinabè résidant à l'étranger n'entreront en vigueur que pour les scrutins à compter de 2015.
Ce qui veut dire que depuis 1991, les différents gouvernements successifs se sont montrés assez frileux pour permettre à nos compatriotes vivant à l'étranger de jouir de ce droit constitutionnel. En tous les cas, ce ne sont pas les occasions qui ont fait défaut. Le Burkina Faso a organisé sans interruption quatre (04) élections présidentielles en 1991, 1998, 2005 et 2010, sans la participation des Burkinabè de la diaspora. Mieux, ces différentes consultations électorales se sont déroulées sous le règne du Président Blaise COMPAORE et la domination politique du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP).
On constate alors que le pouvoir jadis en place n'a pas tellement fait de sa priorité le respect absolu des dispositions de l'article 12 de la Constitution, c'est-à-dire permettre également aux Burkinabè de l'étranger de jouir de leur droit électoral.
Du contexte sociopolitique actuel du Burkina Faso
Consécutive à l'appel du Président du Faso le 11 décembre 2009 à Ouahigouya à l'occasion de la célébration de la fête de l'indépendance, le Burkina Faso à entrepris des réformes politiques, afin d'être en phase avec l'évolution du contexte national et international. Si toute la classe politique a été d'avis sur l'opportunité d'engager des réformes pour consolider les avancées démocratiques, il n'a en revanche pas été le cas sur la nature des réformes à entreprendre. Le boycott des travaux du Comité consultatif sur les réformes politiques (CCRP) par une partie des partis politiques de l'opposition et des organisations de la société civile (OSC) d'une part, et du rejet de la mise en en œuvre de certaines de ses décisions d'autre part, sont les preuves de ces divergences d'interprétations des réformes à mener.
Ces divergences sur la mise en place du Senat, de la modification de l'article 37 de la Constitution et de l'organisation d'un Referendum, vont conduire les partisans et les opposants à la modification de l'article 37 de la Constitution à des manifestations durant les années 2013 et 2014. Après des tentatives vaines de conciliation des positions des différents protagonistes, les évènements vont connaître leur épilogue les 30 et 31 octobre 2014. En effet, le peuple prendra d'assaut le 30 octobre 2014, le siège de l'Assemblée nationale pour empêcher le vote du projet de loi modificative de la Constitution, aboutissant à la démission du Président Blaise COMPAORE et à son exil en République de Côte d'Ivoire ainsi que d'autres dignitaires de son régime vers l'étranger ou en « clandestiné » dans leur propre pays.
Au régime COMPAORE, succédera une Transition politique animée en partie par les acteurs opposés à la modification de l'article 37 de la Constitution, dont les partis politiques membres de l'ex-Chef de file de l'opposition (CFOP). La mission principale confiée à la Transition restant l'organisation de l'élection présidentielle en novembre 2015.
C'est dans ce contexte particulier que la question du vote des Burkinabè de l'étranger a refait surface dans le débat politique aussi bien à l'intérieur du pays qu'à l'extérieur. D'un côté, il y a les partisans du report du vote de nos compatriotes de l'étranger en 2020, composés principalement des gouvernants d'aujourd'hui et des activistes autrefois opposés à la modification de l'article 37 de la Constitution. On peut citer, entre autres, le Gouvernement de la Transition, la Commission électorale nationale indépendante (CENI), les partis politiques membres de l'ex-CFOP, les OSC ayant participé à l'insurrection. Les raisons avancées pour justifier leur position sont d'ordre technique, financier, organisationnel et temporel. En face, il y a les adversaires du report du vote des Burkinabè de l'étranger, où l'on retrouve les partis politiques de l'ex-majorité et du Front républicain, des OSC et des citoyens. Ceux-ci estiment que la non opérationnalisation du vote des Burkinabè de l'étranger est une violation de la Constitution et un recul démocratique pour le Burkina Faso. Ils estiment que le régime déchu avait déjà fait le nécessaire (amendement du code électoral, facilitation de la mise en place des démembrements de la CENI, lancement de l'opération de délivrance des cartes consulaires, etc.).
Quel double regard faut-il avoir face à ces tirs croisés entre partisans et adversaires du vote des Burkinabè de l'étranger en 2015 ?
Des enjeux géopolitiques du vote des Burkinabè de l'étranger
Même si nous pouvons convenir que certains des acteurs en présence n'ont peut-être pas de visées électoralistes, il n'en demeure pas moins que les questions de vote en général et celles des groupes de populations spécifiques ont de forts enjeux politiques.
Dans un pays comme le Burkina Faso qui a presqu'autant de ressortissants à l'étranger qu'au pays, la participation de ceux-ci aux consultations électorales représente un enjeu de taille. En effet, les Burkinabè de l'étranger sont estimés au bas mot à plus de 10 millions de personnes, dont plus de 05 millions résident en seule République de Côte d'Ivoire.
Porter un regard de géopoliticien sur la question du vote des Burkinabè de l'étranger, permettra sans doute de mieux comprendre les évènements et la façon dont les médias, les hommes politiques en rendent compte. Parce qu'à coup sûr ceux-ci dissimulent souvent l'essentiel sous l'accessoire.
les raisons souterraines des partisans du report du vote des Burkinabè de l'étranger
Même s'il est vrai qu'il y a des raisons valables qui ont été toujours avancées pour ne pas opérationnaliser le vote des nationaux résidant à l'étranger, il n'en demeure pas moins que la non maîtrise du sens de leur vote n'a jamais été une source de motivation pour les tenants du pouvoir. Les acteurs de la transition actuelle n'échappent pas à cette réalité implacable, c'est-à-dire la peur de voir ce vote des Burkinabè de l'étranger faire pencher le résultat des élections présidentielles dans un camp plutôt que dans un autre. Sur ce plan il y a un certain nombre d'éléments qui peuvent être avancés pour soutenir cette appréhension :
La très forte concentration d'une bonne partie des Burkinabè de la diaspora au niveau de la Côte d'Ivoire. Les Burkinabè y sont estimés à près de 07 millions de personnes dispersées sur tout le territoire national. C'est dans ce pays que réside actuellement le Président déchu Blaise COMPAORE, en compagnie de son épouse qui est elle même originaire de ce pays voisin. Les relations diplomatiques entre les deux (02) pays ne sont d'ailleurs pas au mieux depuis quelques mois. Le Président de la Transition l'exprimera en ces termes « Il y a un problème qui nous perturbe un peu, le vote de nos ressortissants en Côte d'Ivoire qui risque d'être assez difficile. C'est la plus forte communauté et c'est aussi le pays où nous n'avons pas assez d'amis ». La Côte d'Ivoire fait en effet partie des pays qui n'ont accepté l'insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, préférant la qualifier de coup d'Etat classique. Cela est peu étonnant, dans la mesure où le Président Blaise COMPAORE est considéré comme le parrain politique des autorités politiques ivoiriennes actuelles. On se rappelle qu'il a contribué fortement à la prise de pouvoir du président Alassane Ouattara en Côte d'Ivoire en octobre 2010 au sortir d'une élection émaillée de violence et de contestation entre lui et le président sortant de l'époque Laurent Gbagbo. On peut supposer que les autorités de ce pays mettront tout en œuvre pour favoriser le camp du Président COMPAORE. Ceci est valable dans de nombreux autres pays de la sous-région où l'ex-Président dispose d'un excellent réseau d'influence.
Les capacités limitées des partis de l'ex-opposition pour conquérir l'important électorat des Burkinabè de la Diaspora, constituent un handicap pour ceux-ci. En effet, dans ce jeu, l'ancien parti majoritaire à plus d'arguments à faire valoir ;
La non maitrise du nombre exact des Burkinabè de l'étranger est un facteur d'incertitude et d'insécurité du vote. Cet état de fait peut laisser cours à toutes les fraudes et à tous les chiffres possibles.
L'extérieur et surtout la Côte d'Ivoire peut se révéler être un piège électoral pour les partis politiques, surtout ceux qui gèrent actuellement la transition. Ces derniers semblent l'avoir assez bien compris à notre sens et mettent tout en œuvre pour contrer la participation des Burkinabè de la diaspora à la présidentielle de 2015, le temps peut-être de mieux contrôler ces derniers. Nous sommes en face du duopole contrôler-contrer.
les raisons souterraines des partisans du maintien du vote des Burkinabè de l'étranger en 2015
La plupart des partisans de l'effectivité du vote des Burkinabè de la diaspora dès 2015, ont certainement des raisons qui vont bien au delà du simple fait de défendre les droits électoraux de cette partie de nos compatriotes.
Dans le contexte sociopolitique actuel, où l'image de l'ex-parti majoritaire est fortement écornée à l'intérieur du pays, où les responsables de ce parti vivent encore dans la crainte d'éventuelles réactions hostiles de la population, où ces derniers ne sont pas confiant pour circuler librement et mener des activités partout dans le pays, se tourner vers les compatriotes de l'étranger parait être une belle opportunité politique.
En effet, le Président déchu à œuvrer durant son règne à plaider auprès des pays d'accueil pour une amélioration des conditions de vie de nos compatriotes. Dans un pays comme la Côte d'Ivoire, les ressortissants Burkinabè restent très reconnaissant à Blaise COMPAORE pour la suppression de la carte de séjour, leur liberté de circulation retrouvée et la fin des tracasseries policières. Cette aura dont-il jouit à l'extérieur, l'ex-majorité compte bien la faire fructifier auprès de la diaspora lors des élections en 2015.
Aussi l'assurance que l'ex-régime peut avoir de ne pas connaître une grande concurrence avec d'autres partis politiques à l'étranger, encourage celui-ci à plaider fortement pour l'opérationnalisation du vote de la diaspora en 2015. Si ce vote venait à être effectif, il est certain de pouvoir compter sur ses ténors actuellement en exil (Blaise et Chantal COMPAORE, Alizèta Gando en Côte d'Ivoire, François COMPAORE au Benin, etc) pour conquérir cet électorat.
Il ne faut pas aussi négliger le réseau d'influence dont dispose l'ex-majorité dans les pays de résidence de nos compatriotes. Que cela soit au plus haut sommet de l'Etat comme en Côte d'Ivoire, au Togo ou au Benin ; que cela soit dans nos représentations diplomatiques ou au sein des communautés, ainsi que dans les démembrements de la CENI qui ont été mis en place en 2013 et 2014.
Ce sont autant de facteurs favorables sur lesquels s'appuie l'ex-majorité pour espérer tirer un meilleur bénéfice du scrutin présidentiel de novembre 2015. Car se sentant plus à l'étroit à l'intérieur du pays, l'ex-majorité mise plus sur l'étranger pour maintenir le cap. C'est le duopole encerclement –désencerclement.
Le vote des Burkinabè de l'étranger bien que consacré par la Constitution depuis 1991, à du mal à se mettre en place de façon pratique. Tributaire des calculs des politiques, l'opérationnalisation de ce droit électoral requiert encore d'énormes efforts de la part de tous les acteurs de la vie démocratique.
Au regard donc de l'important potentiel électoral que représentent les Burkinabè de la diaspora, il ne faudrait pas s'étonner qu'en 2020, nous soyons encore là à mener le même débat, peut-être avec une inversion des positions des acteurs d'aujourd'hui sur la question. Car beaucoup plus que de voir respecter les droits de nos compatriotes, chacun des acteurs se positionne en fonction des intérêts électoraux du moment.
Louomiapy KINI (kinifilho@yahoo.fr )
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